On a toujours eu une affection particulière pour Melissa Auf Der Maur, certainement parce qu’on a grandi avec sa musique, ou plutôt celle des groupes dans lesquels elle a joué : Hole, les Smashing Pumpkins… 5 ans après son premier essai en solo, la voici enfin de retour avec ‘Out Of Our Minds’, un album sans concessions dont elle nous a parlé à l’occasion de son passage en concert à Paris le 11 avril dernier.
Ton premier album solo est sorti il y a 6 ans, pourquoi une si longue attente avant de revenir?
Melissa Auf Der Maur : C’était 5 ans de travail, depuis le début de la création de ‘Out Of Our Minds’. Evidemment c’est une longue réponse, je ne pourrai pas tout détailler, mais je dirais qu’il n’y a pas eu un moment où je ne travaillais pas, ne développais pas, n’expérimentais pas, n’évoluais pas! Il m’a fallu du temps et de la patience, c’était très important car je veux constamment évoluer, faire de nouvelles choses. Dès le début du projet je me suis promise que ce disque serait plus un concept album, qu’il aurait notamment plus d’éléments visuels. J’avais envie de développer le message et le contexte. Il ne s’agissait pas simplement d’écrire de nouvelles chansons, je savais que je voulais faire quelque chose de plus grand. Donc pendant un an j’ai écrit tout en faisant des recherches, en lisant des livres, en regardant des films, et c’est là que la chanson ‘Out Of Our Minds’ a été écrite. Et c’est aussi de là qu’est parti le thème de l’album. En dehors des autres chansons j’ai aussi eu des collaborations qui sont très importantes pour moi, pour faire le film et la bande dessinée, le site internet… Et c’est en plein milieu du développement de ce projet que la maison de disques a décidé de virer tout le monde du jour au lendemain. C’était après 2 ans et demi de travail et l’album était presque fini, mais quand c’est arrivé mon avenir est devenu incertain vis à vis des labels, donc il y a ensuite eu 6 à 9 mois de discussions. C’est là que je me suis dit : « Fuck it! Experiment! » (« rien à foutre, expérimente! »). Pour la première fois j’étais une artiste indépendante et ça m’a permis de me lâcher. C’est là que j’ai vraiment commencé le grand projet avec le film qui a duré un an, et il a fallu travailler à la production, au shooting, au montage, trouver des finances… Et aujourd’hui je suis vraiment une artiste en développement! J’ai fait en quelque sorte mes études dans les autres groupes, je ne développais pas mon style ni ma propre musique. Mon premier album, c’était comme celui d’une fille de 22 ans qui se lance! J’étais jeune quand je l’ai écrit et il y avait encore beaucoup de choses à trouver, alors qu’aujourd’hui ce nouveau disque est un vrai reflet de ma personne.
Après quelques années j’ai aussi décidé de prendre les choses en main, de devenir un peu femme d’affaires, d’être mon propre manager, ma propre maison de disques. Roadrunner s’occupe de moi en Europe, mais pour le reste du monde, c’est moi-même! J’ai dû apprendre beaucoup, moi qui vivait dans le monde un peu à l’écart, celui de la création, des rêves, mais jamais dans la ‘vie réelle’, avec les budgets, les plannings… Rien que ça, ça m’a pris un an, et c’était très, très dur, mais maintenant que l’album sort, j’ai l’impression d’être une artiste un peu plus complète, car j’ai acquis ces nouvelles compétences mais aussi un côté beaucoup plus indépendant. Bref, tu vois, beaucoup de choses se sont passées!
Je trouve effectivement en écoutant ton nouvel album qu’il a un côté plus indépendant, mais plus atmosphérique aussi, es-ce que tu penses que c’est lié au film?
Melissa Auf Der Maur : Oui, certainement. Le film est justement lié à l’indépendance, au fait que j’ai décidé de dire au revoir à la musique pendant un an. La nouvelle manière de travailler et de collaborer liées à ce film, comme aller tourner dans les bois, et trouver le bon moyen de faire passer cette ambiance à l’écran ont eu des conséquences. L’album a changé à cause de ça.
Il y a par exemple des morceaux instrumentaux.
Melissa Auf Der Maur : Oui, ça ne vient pas que du film mais de quelque chose de très simple en fait: j’ai décidé d’écrire avec ma basse. Le premier album, je l’avais composé seule avec une guitare. Je me suis ensuite promise de changer ma façon d’écrire afin de pouvoir évoluer. Par exemple ‘The Hunt’ a seulement été écrite avec une basse et une batterie. C’est aussi le cas de ‘Out Of Our Minds’, ‘ Lead Horse’… J’ai écrit ’22 Below’ avec juste un doigt sur un piano, j’ai utilisé une auto harpe sur ‘This Would Be Paradise’. Il y a aussi ‘Father’s Grave’ avec Glen Danzig. Là, j’ai écrit une chanson pour quelqu’un d’autre, c’était un cadeau pour l’un de mes ‘héros mythiques’. J’ai fermé les yeux et essayé de me mettre dans la peau de quelqu’un d’autre et de créer une chanson aux accents Blues, quelque chose que je n’avais jamais fait de ma vie! Je voulais faire des expérimentations musicales parce que toutes les années que j’ai passées avec Hole ne reposaient que sur un système unique, pas seulement par rapport aux maisons de disques, mais aussi à la musique des années 90 qui a été une période intense. Du coup mon premier album correspondait bien à un cliché, un ‘instantané’, celui d’une fille qui avait la vingtaine dans les années 90. Le disque était très marqué par cette époque, j’en suis contente et fière, mais aujourd’hui j’ai plus de 30 ans, on est dans le nouveau millénaire, c’est complètement différent, notamment toutes les nouvelles technologies qui ont forcément eu une influence sur le résultat.
Et quel est le sujet du film? C’est un peu influencé par ces changements?
Melissa Auf Der Maur : Un peu… Surréalisme, symbolisme et psychédélisme définissent bien le film. C’est vraiment inspiré de l’histoire dans la chanson ‘Out Of Our Minds’. J’ai essayé de prendre le refrain : ‘Travelling out of your mind into your heart standing by’ et d’inviter l’auditeur à ne pas intellectualiser les choses mais à les sentir. Donc dans le film je me suis demandée comment raconter ce type d’histoire très abstraite dans un cadre plus spécifique. C’est l’histoire d’une femme qui voyage dans le temps, et qui cherche le coeur.
Le film a été diffusé au Festival de Sundance, quelle a été la réaction du public?
Melissa Auf Der Maur : Très bonne. Je crois que le fait qu’il s’agisse d’une collaboration entre un réalisateur et une musicienne a donné quelque chose de très ‘bizarre’. C’est comme une chanson, mais ce n’en est pas une. Plusieurs personnes m’ont dit que c’était un peu un nouveau style, un nouveau format, et ça c’est quelque chose dont je suis très fière. Dans les années 70 il y avait un tradition de films musicaux, comme ceux de Pink Floyd ou Led Zeppelin, mais aujourd’hui ce n’est plus aussi courant. Il y a aussi le fait de faire un film instrumental sans voir d’instruments, ce n’est pas un clip. Donc je pense que ça a surtout plu aux gens qui ont vu dans ce film quelque chose de différent.
Est-ce difficile de sortir un projet de cette envergure à l’heure de la dématérialisation de la musique?
Melissa Auf Der Maur : Quand j’avais expliqué ça à Capitol Records en 2006, le film et la BD, ils ont pensé que j’étais folle, mais je pense qu’aujourd’hui c’est quelque chose de plus commun. Quand j’ai commencé ce projet il n’y avait pas beaucoup de gens qui faisaient ce genre de choses, mais je pense que depuis ça s’est développé. De toute façon je fais ce que j’ai envie de faire, quel que soit l’état du marché!
Quand on regarde la vidéo d’Out Of Our Minds’, il y a beaucoup d’imagerie: le feu, le casque de Viking, un penchant pour la sorcellerie… Que cherches-tu à montrer à travers tout cela?
Melissa Auf Der Maur : Comme j’en parlais, le retour vers le coeur et le monde intérieur, c’est-à-dire les rêves, les symboles, la mythologie, le spiritualisme, tout cela sert à illustrer mon propos. Mais c’était aussi important d’utiliser des symboles que tout le monde peut comprendre, comme le Viking: c’est un homme de pouvoir qui veut découvrir de nouveaux mondes, et les sorcières des femmes magiques.
Et dans ta musique il y a également un côté ‘progressif’, proche du Métal, mais ce n’est pas du Métal. C’est un genre que tu aimes, qui t’influence?
Melissa Auf Der Maur : Oui, absolument! Mes deux albums préférés de 2009, c’est ‘Crack The Skye’ de Mastodon et ‘Fever Ray’. Les deux sont progressifs. L’un est Métal, l’autre est expérimental, mais j’écoute des disques qui racontent des histoires et ma connexion avec la communauté du Métal, c’est qu’eux aussi évoquent beaucoup le fantastique, la mythologie. Que ce soit en musique, littérature ou cinéma, je suis passionnée par tout ce qui traite de l’autre côté du miroir!
J’ose cette dernière question pour terminer… Aujourd’hui Hole se reforme pour une tournée, qu’en penses-tu? As-tu eu envie de les rejoindre?
Melissa Auf Der Maur : Ah!.. Hum, c’est compliqué évidemment, parce que c’est comme un mariage fini… Mais Courtney m’a appelée l’année dernière. On n’était plus en contact depuis 10 ans. Elle m’a parlé de ce comeback, mais ce qui m’intéresse c’est de pouvoir faire une vraie rétrospective de ce groupe de femmes des années 90, et si elle refuse de faire une rétrospective du travail qui a été déjà fait, les chansons, les vidéos, les interviews… pour moi, c’est non. Il y a beaucoup de matériel à exploiter. Eric (Erlandson), le guitariste et co-fondateur du groupe a une tonne d’archives. Donc si Courtney veut revenir pour offrir quelque chose aux fans, ou aux les femmes du futurs qui ne connaîtront pas Hole, ça c’est intéressant. C’est quelque chose qui aurait beaucoup de valeur pour moi et qui serait très intègre, voilà ce que je lui ai dit.
Propos recueillis le dimanche 11 avril 2010 à Paris.
Un grand merci à Melissa Auf Der Maur, Olivier Garnier de Replica Records, Sabrina et Karine de Roadrunner.
Pour plus d’infos:
Lire la chronique de ‘Out Of Our Minds’
Voir la galerie photos du concert à la Flèche d’Or, le 11 avril 2010
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