Il aura suffit d’un EP à Jade Bird pour se faire un nom et redéfinir les règles de l’Americana. Comme quoi on peut être British et conquérir l’Amérique. Mais la jeune anglaise qui a récemment sorti son premier album éponyme est déjà partie vers d’autres contrées, sa Folk initiale a muté vers une musique Pop/Rock tout en gardant la force naturelle de ses débuts, le fruit de longs mois passés sur la route et d’une évolution avec un groupe depuis maintenant plus d’un an. Rencontre avec une auteure-compositrice déterminée qui ne compte pas en rester là.
Peux-tu d’abord me parler un peu de toi, d’où tu viens et quand tu as commencé à jouer de la musique ?
Jade Bird : Je viens d’un peu partout ! Mon père était dans l’armée, donc j’ai beaucoup bougé entre l’Allemagne, Londres et le Nord de l’Angleterre. Mes parents écoutaient beaucoup de musique des années 90 – je suis un bébé des 90’s – The Chemical Brothers, The Prodigy… Ma mère écoutait aussi Alanis Morissette. Puis j’ai découvert la guitare acoustique, et en même temps Neil Young, Bob Dylan, Black Rebel Motorcycle Club. J’ai découvert tous ces musiciens et singer songwriters fous qui m’ont ouvert la porte à la musique acoustique. C’était une grande révélation.
Tu es une artiste britannique mais tu pourrais facilement être prise pour une chanteuse Country Folk américaine, l’amour pour cette musique ne vient donc pas de ta famille ?
Jade Bird : Je crois que j’ai toujours été attirée par des choses qui ne sont pas nécessairement celles du moment. J’ai le sentiment que ce genre a longtemps été négligé, qu’il n’était pas « sous les feux de la rampe » et j’aime beaucoup l’honnêteté de cette musique et des auteurs compositeurs Folk, quel que soit le nom que tu lui donnes. Je ne dirais pas que c’est nécessairement américain. Je pense que « Something Américain » était un hommage à ce genre musical et à ses artistes. Mais je crois que l’humour et ma façon de chanter son d’une certaine manière assez britanniques.
Tu as d’abord signé avec Glassnote Records aux Etats-Unis, et c’est là qu’on a d’abord commencé à beaucoup parler de toi. Le public américain est-il plus réceptif que le britannique ?
Jade Bird : Ça s’équilibre aujourd’hui mais au début ils ont certainement été les premiers à me soutenir. Ils m’ont apparemment remarquée avant les autres, et ce fut un énorme atout pour moi, pour aller de l’avant. Je pense qu’ils ont tendance à comprendre, il y a beaucoup d’autres artistes féminines là-bas comme Alanis Morissette par exemple, donc en en voyant une nouvelle arriver ils se sont peut-être sentis un peu moins intimidés ou surpris. En tout cas ça semblait avoir plus de sens pour eux lorsque j’ai débuté.
Et te sens-tu un peu en décalage avec le reste de la scène britannique ?
Jade Bird : Ces derniers temps je me suis concentrée sur une musique plus axée autour des guitares, j’ai écouté pas mal de groupes alternatifs c’est pourquoi ma musique a évolué dans cette direction. Je pense que cela a plus de sens aujourd’hui, on assiste à une résurgence des groupes à guitares au Royaume-Uni. Il y a des radios comme Radio X qui les soutiennent, et Radio 1 plus récemment. En un sens je me sens effectivement probablement un peu différente des autres artistes du moment. Je veux que les jeunes filles aspirent à être plus « Rock », à ne pas avoir peur, c’est une chose qui a manqué au Royaume-Uni pendant très, très longtemps. Je n’arrive pas à penser à une artiste féminine en solo avec une guitare électrique…
A moins d’être comparée à PJ Harvey…
Jade Bird : Oui, mais c’est assez fou, alors qu’aux États-Unis il y a un retour en force des chanteuses qui jouent de la guitare et c’est super.
Tu as donc été acclamée par les médias très tôt dans ta carrière, quel effet cela a-t-il eu sur toi, as-tu ressenti plus de pression ?
Jade Bird : Je ne dirais pas nécessairement de la pression. Si j’essayais de faire autre chose, quelque chose qui n’est pas vraiment « moi », de créer dans un autre style, alors là oui je ressentirais de la pression ! Sinon personne n’a ce genre d’attente envers moi, à part moi-même, donc ç’a toujours été plutôt un avantage. J’ai ressenti tous les articles publiés sur moi comme un grand accomplissement.
Parlons un peu de l’album. Tu l’as écrit et composé seule ?
Jade Bird : Oui, c’est moi de A à Z. C’est important, un peu comme un mémoire de mes deux années passées. Maintenant qu’il est terminé, c’est comme un nouveau départ. J’ai vraiment besoin de me mettre au projet suivant et travailler sur mon ressenti des choses. C’est comme un nouveau « moi ». Et c’est pour ça que je trouve assez approprié de lui avoir simplement donné mon nom car ce disque est comme mon reflet.
Les chansons ont été écrites après ton EP ?
Jade Bird : Je dirais moitié-moitié. Je ne pensais pas être capable d’écrire en étant heureuse, mais je l’ai plutôt été l’année dernière et j’en ai fait la moitié, environ 6 chansons. C’était une sacrée révélation pour moi !
Les paroles de « Lottery » et « Uh Huh » sont-elles inspirées par ton propre vécu ?
Jade Bird : C’est le cas de « Lottery », notamment lorsque je parle du ‘Number 4 Ferdinand Street’, c’est un bar de Blues de Candem Town à Londres. C’est une conservation que j’ai eue avec mon ex. J’avais 19 ans et lui 23, tout était vrai, alors que « Uh Huh » c’est l’inverse. J’ai écrit ces deux chansons le même jour et j’en étais très satisfaite, elles marquaient un nouveau départ, une nouvelle phase dans l’écriture de mon album, qui a vraiment démarré avec « Lottery ». Mais « Uh Huh » était plus une histoire. Je suis obsédée par la trahison depuis mon plus jeune âge, et c’est de cela dont elle parle.
« I Get No Joy » semble assez autobiographique pour moi, peut-être en raison de ce que tu disais de ton passé avec ton père dans l’armée ?
Jade Bird : D’une certaine manière oui. Je ne dirais pas qu’elle ait vraiment à voir avec mon père cependant. Il s’agit plutôt d’un état d’esprit, quand tu réfléchis trop comme moi et que tu as des pensées plein la tête. C’est une routine, un cycle de sentiments où tu te dis que rien n’est jamais assez bon, même sur scène parfois. La plupart du temps je suis assez heureuse, ça arrive assez rarement. C’est presque une manière inconsciente de reconnaître ça et de le combattre ainsi. Il faut être conscient des mauvais sentiments autant que des bons dans les chansons, c’est cathartique.
Tu joues aussi quelques morceaux au piano sur l’album, quand as-tu appris à en jouer ?
Jade Bird : Avant la guitare ! Quand j’avais 7 ans j’ai eu une formation classique. Je me suis toujours sentie assez limitée par ce que j’ai appris, sans doute parce que je ne suis pas allée assez loin pour me libérer de la théorie. Puis j’ai écrit « My Motto » qui a commencé sous ma douche,et j’ai écrit un refrain. J’ai toujours voulu faire ça, je trouve que ça a quelque chose de magique ! J’ai composé au piano « My Motto », « 17 » et « If I Die » qui est probablement ma chanson préférée parmi toutes celles que j’ai écrites. J’en suis vraiment très fière. Tout l’intérêt de l’écriture de chansons, ou de la poésie, est de dire les choses d’une façon qui n’a jamais été faite auparavant. Et je pense que c’est le cas pour « If I Die », j’en étais vraiment satisfaite.
Donc tu n’as pas composé au piano spécifiquement pour cet album ?
Jade Bird : C’est surprenant, le piano représente une grande part de mon écriture, je compose beaucoup avec, mais il n’arrive pas sur les versions finales parce que la guitare me représente mieux aujourd’hui. Mais ça change, j’écris de plus en plus au piano et les tournées ont aussi une influence sur ma façon de composer. Donc nous verrons bien de quoi le prochain album sera fait. Quand tu es musicien, ce n’est pas l’instrument utilisé pour communiquer qui a forcément le plus d’importance, mais le fait de s’exprimer.
Tu as enregistré l’album avec le producteur Simon Felice. Peux-tu me parler de votre travail ensemble ?
Jade Bird : C’est probablement la meilleure expérience de ma vie jusqu’ici ! Je voulais quelqu’un d’excentrique pour produire l’album et Simon a apporté cela avec le lieu, car c’est très inhabituel pour une artiste britannique d’enregistrer à Woodstock. Nous l’avons aussi enregistré avec David Baron, c’est un producteur phénoménal. Nous avons tout enregistré en live avec des musiciens extraordinaires comme Matt Johnson qui était le batteur de Jeff Buckley sur « Grace » mais aussi Zack Alford qui a passé 20 ans avec David Bowie. Ces gars m’ont tellement appris. Les prises étaient donc live et nous refaisions les voix ensuite, sauf « My Motto » qui fut enregistré en une seule prise. Il y a un mixage derrière mais je voulais vraiment de vrais instruments, pas de rythmes synthétiques, ni de synthés bien que je sois revenue sur ma position sur ce dernier point après avoir entendu l’album de Carl Barât.
Tu voulais donc lui donner une énergie live ?
Jade Bird : Absolument. Toutes les chansons que tu peux entendre sur l’album ont été testées en concert avant d’être choisies. L’opinion du public a beaucoup de valeur pour nous. Si les gens n’aiment pas une chanson, alors elle ne finit pas sur l’album. Il y en a une qui nous divisait mais que nous jouons toujours maintenant en concert et les gens avaient l’habitude de dire « Oh, Elle est plutôt Rock ! » et finalement nous ne l’avons pas retenue.
Tu as passé beaucoup de temps sur la route depuis un an et demi. Ça te fait quoi de voyager tout le temps ?
Jade Bird : Parfois c’est dur mais honnêtement la plupart du temps c’est fantastique de voir autant d’endroits et de gens, de goûter à la nourriture et à la culture locale. Et mes meilleurs amis, c’est mon groupe, ce n’est pas un groupe de sessions ou ce genre de choses. C’est un grand voyage ensemble. C’est important de passer tout ce temps avec des gens que tu aimes vraiment et avec qui tu vas bien t’amuser.
Et qui sont les membres du groupe ?
Jade Bird : Il y a Luke qui était songwriter, et moi aussi, nous nous sommes rencontrés comme ça (Luke Prosser à la guitare, ndlr). Et son meilleur ami était mon bassiste, Linus (Linus Fenton, ndlr). Donc quand nous sommes devenus proches, Linus nous a rejoints et nous sommes devenus un trio, puis Alex est arrivé plus récemment, c’est un batteur phénoménal et nous avions vraiment besoin de quelqu’un de solide et il nous a apporté ça.
J’ai vu quelques vidéos de toi en concert et tu sembles très douée pour conquérir les foules. Elles ne te font jamais peur ? Comment te sens-tu lorsque tu montes sur scène ?
Jade Bird : Le public est bien plus important que tout le reste. C’est un expérience que nous partageons ensemble, il ne s’agit pas juste de moi. Je joue avec les gens comme si nous avions presque une conversation. C’est quand tu as un bon public que tu fais les meilleurs concerts, et ce n’est pas le cas quand la foule ne se réchauffe pas. C’est ainsi que ça marche, c’est donnant-donnant. J’aime ça plus que tout au monde, je sais que je fais ce que j’ai toujours voulu faire et ce à quoi j’étais destinée. C’est une énorme sensation, je ne prends pas ça pour acquis.
Finalement es-tu heureuse de l’atmosphère générale de l’album, correspond-elle à ce que tu espérais ?
Jade Bird : Oui. L’enregistrement a été assez tortueux, c’était un peu tremblant et parfois même très dramatique. Je ne savais pas si j’étais heureuse de ce que j’avais fait. Je sens qu’avec cet album je n’aurais pas pu en faire plus. Je veux évidemment m’améliorer, et même si c’est la meilleure chose que j’ai faite dans ma vie j’espère que ce n’est pas le cas, parce que tu veux toujours continuer à être meilleure. J’aime cet album car il représente ce que j’ai été pendant ces deux dernières années.
Propos recueillis à Paris le samedi 16 février 2019.
Un grand merci à Jade Bird, Xavier Chezleprêtre pour avoir rendu cette interview possible, ainsi qu’au Pop Up du Label.
Pour plus d’infos :
Lire la chronique de « Jade Bird » (2019)
Le Pop Up du Label, Paris, samedi 16 février 2019 : galerie photos
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