Il y a longtemps, très longtemps que nous espérions cette rencontre avec Olympia, chanteuse australienne auteure d’un superbe premier album en 2016 intitulé « Self Talk ». Alors quand nous avons appris qu’elle effectuait les premières parties de Julia Jacklin en Europe, avec un passage à Paris en avril dernier nous avons sauté sur l’occasion. Elle revient aujourd’hui avec « Flamingo » et nous dit tout sur ce nouveau disque qui vient de sortir le 5 juillet dernier.
Tout d’abord pourrais-tu me parler un peu de toi et de tes débuts dans la musique ?
Olympia : Je vis à Melbourne en Australie et je fais de la musique depuis très longtemps. J’ai grandi dans une maison qui était vraiment très attachée à la musique et où chacun jouait sans le moindre ego. C’est ainsi que j’ai découvert la musique. Je n’étais pas vraiment à la recherche de rock stars ou d’icônes, c’était plus égalitaire. C’est ainsi que j’ai trouvé ma propre voie, en essayant toujours d’élever mes compétences à la hauteur de ce que je pouvais entendre dans ma tête.
Tu as commencé avec la guitare ?
Olympia : J’ai appris le piano quand j’étais enfant, à contrecœur. C’était terrible, je ne suis pas allée très loin. Ma mère fabriquait des tenues incroyables pour des récitals où elle nous envoyait. J’ai laissé tomber tout ça et des années plus tard commencé la guitare en autodidacte. Je regardais des vidéos Youtube de George Benson, Wilco, Neil Young – la B.O. de « Dead Man » a eu une grande influence sur mon jeu. Je ne m’en rendais pas compte à l’époque mais je le vois maintenant, je jouais de la guitare comme du piano. Je ne jouais pas des accords, il s’agissait plus de mélodies. J’adore le Post Punk : Television, Gang of Four… et leur façon de jouer de la guitare c’est presque comme le piano, en captant les mélodies.
Tu avais une idée en tête lorsque tu as choisi le nom de scène Olympia ?
Olympia : Tellement de choses ! Et chaque jour j’en trouve de nouvelles, comme le mouvement pour les droits des femmes qui a commencé à Olympia dans l’état de Washington, c’est assez excitant même si ce n’est pas ce que j’avais en tête à l’époque. J’ai joué pendant plusieurs années sous mon propre nom mais je voulais que le public pense plus à la musique. Je voulais être moins dans la peau d’un singer songwriter, donc je me suis dit que prendre un nom de groupe ou un pseudonyme permettrait à mon audience d’utiliser cet espace pour mieux se voir dans ma musique, au lieu d’écouter quelque chose d’autobiographique. Ce n’est pas ce qui me motive en tant qu’auteure, j’essaie de puiser dans ce que les gens ressentent et pas juste moi-même. Et quand nous faisons un album tous les instruments comme la basse occupent un rôle spécifique pour construire cet environnement sonore, c’est pour ça que j’ai choisi d’avoir un pseudonyme.
Ton premier album a apparemment très bien marché en Australie, mais son succès est resté relativement local. Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de sortie internationale à l’époque ?
Olympia : Nous essayons juste de rester indés et de demeurer sous la barre des 2000 fans… Haha, non je plaisante ! En fait je pense que c’est plutôt une question de timing. S’il fallait le refaire peut-être aurait-on procédé autrement. Nous n’avions pas de représentant à l’international alors que maintenant j’ai signé au Royaume-Uni sur la label Opposite Number. Je suis très excitée, c’est un label dirigé par des amoureux de la musique qui comprennent vraiment mon travail et ils ont des projets pour me faire jouer ici plus souvent, ce que j’adorerais faire. Et j’ai de la chance parce « Self-Talk » est un peu comme un secret pour le public européen, il n’a pas entendu ce disque, donc maintenant j’ai deux albums à présenter !
Ton premier album avait été nominé aux Aria Awards (les Victoires de la Musique australiennes, ndlr). La reconnaissance de l’industrie musicale est-elle importante pour toi ?
Olympia : Je pense que le plus dur pour moi c’est de me plaire à moi-même. J’ai de grandes ambitions musicales et j’ai mis tellement d’énergie dans « Self Talk » – qui était plus conceptuel – et dans ce nouvel album, que c’est un bonheur de jouer les chansons, particulièrement devant le public européen. Je ne sais pas, il se passe quelque chose de spécial ici, les gens écoutent et partent à la rencontre de moi et de ma musique, et c’est là que je ressens que toute la préparation en amont de mes disques porte ses fruits. Le reconnaissance est vraiment importante parce que nous sommes toute une équipe à travailler sur l’album : le service de presse, Alex Smith qui a travaillé sur les vidéos de « Smoke Signals », Burke Reid avec qui j’ai enregistré le disque et qui est un ami très proche pour avoir fait deux albums ensemble, et j’en suis si heureuse. Je trouve ce genre de satisfaction sur scène, lors d’un bon concert, et ça vaut probablement beaucoup plus qu’une récompense ou une nomination, mais c’est tellement bien pour tous les autres qui travaillent dur et restent dans l’ombre.
Il y a un lien fort entre la musique, les paroles de tes chansons et leurs vidéos, où trouves-tu ton inspiration, dans les arts visuels aussi, je suppose ?
Olympia : Oui. J’ai hâte d’aller visiter des galeries à Paris demain, je me demande combien je vais avoir le temps d’en voir. J’adore les arts visuels. J’ai fait des études de design et de mode, je ne sais plus trop pourquoi, mais ça m’a appris à comprendre quelles sont les idées derrière la façon dont nous nous habillons, la façon dont nous construisons notre identité. Et tout cela a documenté mon écriture plus que toute autre chose. Ça m’a permis de regarder ailleurs, particulièrement sur le nouvel album, parce que je voulais créer quelque chose de nouveau. Je ne suis pas assez bête pour croire que c’est ce qu’il y a de plus nouveau au monde, c’était juste pour moi-même, je voulais me mettre à l’épreuve. Comment crées-tu quelque chose de nouveau en musique ? Tout le monde chante sur l’amour. Quand je suis allée en Angleterre j’ai vu les œuvres de Francis Bacon, et j’aimais aller boire un verre dans un bar français à Soho. J’ai fantasmé sur le fait d’en avoir tiré plus d’inspiration qu’en réalité mais Francis Bacon disait qu’il fallait ramener les choses au système nerveux du spectateur, et la tradition de la peinture est bien plus vieille que celle de la musique pop, de l’art-pop ou de l’Indie rock. Comment ces arts peuvent-ils percer, comment avons-nous des Pollock, des Monnet, des Francis Bacon qui sont autonomes ? J’ai lu toutes les interviews de Bacon dans lesquelles il était tellement intéressé par la façon dont il pratiquait don art, et cela explique beaucoup comment j’ai écrit mon nouvel album… Et ça explique pourquoi il me faut autant de temps pour écrire ! (Rires).
Tu as travaillé avec la réalisatrice Leilani Croucher sur la vidéo « Shoot to Forget », que peux-tu me dire sur elle ?
Olympia : Elle est incroyable. C’est une amie proche d’Alex Smith avec qui j’ai beaucoup travaillé. Je lui ai juste donné la chanson pour qu’elle la traite à sa façon et quand j’ai lu le script je me suis dit qu’elle avait vraiment compris ce morceau. J’étais reconnaissante pour ça. Tu ne peux pas t’attendre à ce que tout le monde comprenne tes intentions, mais elle a compris que tu peux traverser des moment de joie, de liberté, mais aussi de tristesse et que ces expériences peuvent s’entrelacer. C’est une chose que j’explore constamment. Tout a beaucoup de poids pour moi, même les moments les plus heureux. Et ce film est une lettre d’amour à toutes les parties de nous-mêmes que nous écrasons afin de mieux s’insérer dans la société. J’ai trouvé ça charmant.
C’est donc plus qu’être simplement photographié et ne plus penser à rien.
Olympia : Pour la chanson c’est ça. Tout a commencé avec une citation de John Berger qui a dit « La caméra nous soulage du fardeau de la mémoire. Elle enregistre pour oublier. » Je suis tellement reconnaissante envers lui, je trouve qu’il a brisé pas mal de frontières du monde artistique et l’a rendu accessible pour pas mal de gens comme moi. Aujourd’hui avec les téléphones les gens prennent constamment beaucoup de photos. Mais si nous ne les publions pas sur les réseaux sociaux, elles n’existent pas, et tu te retrouves juste à passer ta soirée à tuer le temps en regardant ces images. Prendre une photo de quelque chose c’est comme en prendre possession. J’ai l’impression qu’il y a définitivement un sentiment d’avoir le droit à ce moment, de propriété. Et je pense qu’en amour c’est un peu similaire au thème de ma chanson « Honey » : la valeur que nous donnons l’un à l’autre dans une relation et l’idée d’aller de l’avant en oubliant le passé. Certains y arrivent, d’autres non.
Et j’imagine que tu t’impliques pas mal dans la réalisation de tes clips également ?
Olympia : Oui… C’était beaucoup de maquillage ! Leilani a fait tellement de travail préparatoire et rassemblé le matériel nécessaire. Elle parle vraiment mon langage. Puis nous avons travaillé avec un excellent styliste, mais c’est Leilani qui a réalisé le plus gros du travail.
Les paroles de la chanson « Star City » sont assez abstraites pour moi, peux-tu me les expliquer, pourrait-il s’agir… de rêves brisés ?
Olympia : Je pensais à cette artiste qui a écrit sur une publicité Gucci « Qu’allons-nous faire de tout cet avenir ? » (le fruit d’une collaboration entre Alessandro Michele, directeur artistique de Gucci, et l’artiste espagnol Coco Capitán, ndlr). Ça m’a aidé à écrire « Star City » qui a l’apparence d’une chanson où tout brille, ou tout va bien, fondée sur les rêves. J’avais cette phrase en tête : le « sentiment d’aller jusqu’au bout de soi-même ». Je suppose que c’est une question de capacité. Par exemple si tu as un ballon, c’est un objet tout à fait trivial, mais tu sais qu’il pourrait exploser en devenant trop gros. J’imagine que nous avons tous cette capacité, ce potentiel, et « Star City » réfléchit sur les rêves que tu as quand tu es jeune, ce futur imaginé de toi-même, de toucher les étoiles, de tous ces nouveaux mondes que tu peux découvrir, rêver d’essayer de créer quelque chose à partir de rien.
Pourquoi as-tu appelé ton nouvel album « Flamingo » ? C’est aussi le titre de l’une des chansons.
Olympia : Je suis contente que nous ayons pu parler de Francis Bacon parce qu’il parle de risques, comment perturber les attentes du spectateur, juste retenir leur attention suffisamment longtemps lorsqu’ils regardent quelque chose pour qu’ils se disent que c’est peut-être quelque chose de différent. Sur « Flamingo » il s’agit vraiment de mon processus créatif et la recherche de l’expression de la couleur. Le rose vif. Cet album est assez personnel. En Australie nous n’avions qu’un seul zoo avec des flamands roses, et il n’y en avait plus que deux à partir des années 70. Un jour trois gamins de 16 ans sont venus et ils l’ont battu… Horrible. Il a survécu à ses blessures mais il est mort quelques années plus tard. Le zoo ne pouvait acheter des flamands que par lots de 100 ou quelque chose comme ça, et pas juste un seul, parce qu’effectivement ils affluent par millions, on le voit dans le National Geographic. Ils ne pouvaient pas en faire venir une centaine parce que ça aurait effrayé le seul survivant. Il leur a donc fallu attendre qu’il meure. Les jeunes enfants venaient pleurer en lui disant « je suis désolé pour toi, tu es si seul » … Je pense que nous ne méritons pas toute cette beauté. C’est l’essence de l’album.
Et tu ne voulais pas afficher cette couleur sur la pochette de l’album qui est en noir et blanc ?
Olympia : Je ne voulais pas que ce soit trop évident. Quand j’ai commencé à composer cet album j’ai mis les couleur rouge et rose sur mon mur, avant d’écrire les paroles, et j’avais vraiment le sentiment d’écrire un album rouge. Je sais, ça sonne très obscur, mais je sentais vraiment une disproportion. Curieusement, au même moment Anna Calvi a sorti un album rouge, Courtney Barnett, Sarah Blasko… Beaucoup d’albums rouges sont sortis et je me suis dit que c’était peut-être dans l’ère du temps. Mais au sujet du noir et blanc, comme je le disais c’est un album personnel et assez différent de « Self Talk » que je voulais faire et je suis heureuse d’en avoir eu l’opportunité, mais je voulais le représenter comme un négatif de « Self Talk » qui est assez coloré.
Une grande partie de l’album est plus directe dans ses mélodies, était-ce également ton intention ?
Olympia : Oui, absolument. J’espère que les gens vont ressentir quelque chose en écoutant ce disque alors que je pense que « Self Talk » était assez cérébral. Avec « Flamingo » j’ai essayé d’être plus viscérale, c’est plus conversationnel, argumentatif.
« Hounds » est l’un de mes chansons préférées de l’album, peux-tu m’en parler ?
Olympia : C’est une forme de colère… Mais je trouve que ça réduit pas mal la chanson. Je dis dans cette chanson « I just released a single hound » (« Je viens de relâcher un seul chien ») comme on libère une part d’énergie, qui est ici de la rage, parce que quelque chose de stupide vient d’arriver. C’est juste un de ces moments où tu regardes quelqu’un se ridiculiser. Ce fut un tournant quand Burke et moi avons commencé à dessiner l’empreinte sonore de l’album… Je pense que c’est également ma chanson préférée ! Ce que je sais, c’est qu’elle est étrange !
Est-ce que ce fut difficile de te remettre à l’écriture après la tournée et le succès du premier album ?
Olympia : Oui… Tu as le sentiment que ton énergie va et vient. J’y pensais aujourd’hui parce que nous remontions en voiture depuis le sud de la France, et tu regardes juste par la fenêtre et tu absorbes tout ce que tu vois, tous les panneaux, les pubs, les boutiques, et je trouve ça très difficile d’écrire lorsque j’absorbe autant d’informations à la fois, parce que j’adore ça. J’ai vraiment besoin d’un peu de calme pour pouvoir écrire. Donc je suis allé à Taïwan et j’ai commencé à écrire dans un cylindre en béton, ça faisait beaucoup penser à l’URSS. Il fallait vraiment que je me coupe de tout pour m’y mettre.
Où as-tu enregistré l’album ?
Olympia : Je l’ai enregistré avec Burke Reid au studio The Grove où nous avions également enregistré « Self Talk ». C’est le studio ou INXS enregistrait à l’époque. Tu connais INXS ?
Oui bien sûr, d’ailleurs j’avais vu Courtney Barnett avec un T-Shirt INXS en concert il y a quelques années !
Olympia : Oh ! Eh bien Courtney a aussi enregistré là-bas, et Julia Jacklin avec Burke Reid également. C’était marrant, je terminais tout juste mon album et Julia arrivait pour enregistrer le sien. Nous ne nous étions pas encore rencontrées à l’époque. J’imagine que quelque chose s’est passé entre nous grâce à ça ! C’est dans le bush australien, coupé de tout, c’est super.
Cette tournée avec Julia Jacklin est ta première vraie tournée européenne, bien que tu sois venue jouer quelques fois au Royaume-Uni notamment. Quelles sont tes attentes ?
Olympia : Je ne suis pas sûre de ce à quoi je m’attends, mais la réaction de public a été si incroyable que quelles qu’elles aient pu être, mes attentes ont été largement dépassées. Ce voyage a été très inspirant et énergisant. J’ai hâte de revenir et de recommencer.
Il semble que les artistes australiens aient le vent en poupe à l’heure actuelle au niveau international. Il y a Stella Donnelly, Middle Kids, Alex Lahey, Courtney Barnett bien sûr, Ali Barter, Jen Cloher…
Olympia : Laura Jean, Aldous Harding – bien que techniquement elle est Néo-Zélandaise !
Penses-tu qu’il y ait une raison pour laquelle cette scène explose aujourd’hui, et pas avant ?
Olympia : Je ne suis pas sûre. En allant au Royaume-Uni ces deux dernières années j’ai ressenti cette soif du public d’entendre des groupes australiens. Il ne semblait pas y avoir beaucoup d’artistes dans cette niche jusque-là. Je ne sais pas si ça explique tout ça, le fait de faire tomber les barrières de la distance. C’est drôle parce qu’avec la globalisation c’est difficile de savoir où commencent et s’arrêtent les influences, où est la source, mais je trouve que le public européen est très différent de l’australien. Peut-être est-ce le fait d’avoir travaillé dur et tourné en Australie qui paie aujourd’hui.
Je sais que tu as interviewé Anna Calvi l’année dernière, une artiste que j’ai eu le plaisir d’interviewer moi-même deux fois, serais-tu prête pour une carrière de journaliste musicale si… les choses tournent mal ?
Olympia : Oui, c’était terrifiant ! La chose la plus terrifiante que j’ai faite dans ma vie !
Je suis un grand fan…
Olympia : Oui, moi aussi ! Et je me suis dit que je ne voulais pas le faire parce que j’étais trop fan. J’ai été si honorée par cette expérience que j’ai pourtant faite à contrecœur parce que je suis tellement fan d’Anna Calvi que je savais que je ne pourrais probablement pas m’empêcher de lui dire. Je voulais lui poser des questions que j’ai toujours voulu qu’on me pose et ne pas lui poser celles que je déteste, mais tu sais quoi ? J’étais tellement nerveuse que je me suis complètement plantée et j’ai fait tout ce que je m’étais promise de ne pas faire ! Heureusement, ce qu’ils ont publié était étrangement plus intéressant !
Propos recueillis à Paris le 5 avril 2019.
Un grand merci à Olivia Bartley AKA Olympia, à Sophie Vilain pour avoir rendu cette interview possible, à Bigwax Distribution et au management d’Olympia. Crédits photos Pierre Toussaint.
Pour plus d’infos:
Lire la chronique de « Flamingo » (2019)
Les Etoiles, Paris, vendredi 5 avril 2019 : galerie photos
Lire la chronique de « Self Talk » (2016)
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