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Pom Pom Squad : « J’ai cessé d’aspirer à être quelqu’un d’autre »

A l’occasion de son passage au festival Pitchfork Avant-Garde, Mia Berrin, l’artiste originaire de Brooklyn qui se cache derrière Pom Pom Squad, nous parle de son parcours musical et de son nouvel album « Mirror Starts Moving Without Me » qui marque un changement par rapport à ses racines grunge, reflétant l’évolution de ses compétences en matière d’écriture et de production. L’album, dont la création a duré trois ans, explore les thèmes de la découverte de soi et de la guérison dans une ambiance à la croisée du rock et de la pop. C’est pourquoi Pom Pom Squad nous explique l’importance de suivre ses instincts créatifs et les défis que représente l’équilibre entre la liberté artistique et les attentes de l’industrie musicale.

Pom Pom Squad © Eliza Jouin
Pom Pom Squad © Eliza Jouin

Peux-tu me parler un peu de toi ? D’où viens-tu, quand as-tu commencé à faire de la musique ?

Oui, je m’appelle Mia. Mon projet Pom Pom Squad Squad existe depuis 2015 environ, mais j’ai commencé à sortir de la musique plus sérieusement il y a seulement quelques années. Je viens de Brooklyn, New York, et c’est là que nous sommes tous basés (Pom Pom Squad et ses musiciens, ndlr).

As-tu grandi dans un environnement musical ?

Oui, mes parents sont de grands amateurs de culture pop, et j’ai donc grandi entourée de beaucoup de médias, de beaucoup de musique. Ils ont tous les deux des goûts très différents. Mon père aimait le Classic Hip-Hop, et ma mère était très branchée sur la New Wave, son groupe préféré était The Smiths. Et nous écoutions beaucoup de musique alternative dans la voiture, tous ensemble. C’était un peu le terrain d’entente entre leurs goûts musicaux. J’ai donc l’impression d’avoir reçu une éducation musicale très complète de leur part.

Et tu as commencé avec des groupes ou seule ?

J’ai commencé seule. J’enregistrais des démos dans ma chambre. Puis, quand je suis retournée à New York pour étudier à l’université, j’ai commencé à jouer dans des groupes avec divers line-up, et c’est là que j’ai trouvé tous les gens qui sont encore en tournée avec moi aujourd’hui.

Il y avait une touche très 90’s dans tes premières compositions, et même Grunge sur ton premier EP. II semble que tu t’en éloignes maintenant d’un point de vue sonore. Qu’est-ce qui a provoqué ce changement ?

Oui, je pense qu’au cours des dernières années de ma carrière, j’ai beaucoup appris sur l’écriture et la production. Le Grunge fera toujours partie de ce que je fais, c’est comme ça que j’ai commencé, mais je suis devenue très enthousiaste à l’idée de continuer à progresser en tant qu’autrice-compositrice et en tant que productrice. Et donc ça a été très excitant de me permettre d’expérimenter différents genres et différentes idées sur cet album, juste en me basant sur l’acquisition de plusieurs compétences.

Le fait d’être devenue meilleure musicienne t’apporte donc une certaine aisance, l’envie d’aller plus loin ?

C’est ce que j’espère. J’espère toujours devenir une meilleure musicienne. Je me sens certainement plus compétente, surtout en tant que productrice, et c’est très important pour moi. J’ai intégré une école de musique au milieu de mon parcours universitaire pour apprendre spécifiquement à produire et à devenir ingénieur du son. Le Grunge et la musique DIY (« maison », ndlr) sont si accessibles, et c’est l’un des aspects les plus incroyables de cette musique. Mais je voulais me mettre au défi afin d’en faire plus, d’apprendre des choses plus difficiles et de me forcer à accomplir des tâches qui sortent un peu de ma zone de confort.

Avais-tu peur d’être étiquetée ? Que l’on dise que Pom Pom Squad, c’est de la musique 90’s ?

En effet, je craignais qu’on me colle une étiquette. J’adore la musique des années 90 et le Grunge. Je pense que ça fait partie de mes goûts. Mais ce n’est pas l’ensemble de mes goûts. Quand j’ai commencé à apprendre à faire autre chose, il m’a semblé que la démarche naturelle était de suivre un autre aspect de ma créativité.

Oui, les gens écoutent beaucoup de choses différentes aujourd’hui. J’étais dans un groupe de Rock dans les années 90, on écoutait de la Britpop et aussi les groupes de Shoegaze, ou les Pixies. Quand j’écoutais quelque chose de complètement différent, c’était perçu comme une trahison…

Oui, je pense qu’il y a encore un peu de ça dans le monde du Rock. Mais je pense que la musique Pop est tellement amusante. Et encore une fois, il y a tellement de musiques incroyables dans le monde en ce moment qu’il est facile de s’inspirer de tout un tas de choses différentes.

Pom Pom Squad © Bao Nao
Pom Pom Squad © Bao Nao

Parlons du nouvel album. Comment le décrirais-tu d’un point de vue thématique ?

Je dirais qu’il est définitivement centré sur l’identité et sur « l’identité désolée », comme la croissance personnelle et certaines des choses que j’ai traversées ces dernières années pour me trouver en tant qu’adulte et pour faire face à cette personnalité et carrière un peu publiques. Il s’agit aussi de revenir aux racines de ma créativité et aux raisons pour lesquelles j’aime faire de la musique. C’est un album qui m’a fait beaucoup de bien.

A-t-il été plus difficile à écrire que le premier album ?

Absolument. Ça a été vraiment différent. Je pense qu’il y a une sorte d’adage qui dit que l’on a toute sa vie pour écrire son premier disque, et que l’on a un an pour écrire le deuxième. J’ai mis trois ans à écrire celui-ci, mais c’est vrai. Tu sais, quand tu commences en tant qu’artiste, tu as beaucoup de temps pour affiner ta créativité et ton art et trouver ce que tu veux dire. Et puis personne n’a les yeux rivés sur toi parce que tu commences à peine, donc il y a moins de pression. On a vraiment le temps de comprendre les choses avec ce disque-là. Les gens se sont intéressés à mon dernier album, et c’était vraiment incroyable, mais le revers de la médaille, c’est la pression. J’ai commencé à penser aux attentes des autres, à ce que je devrais faire, à ce que les fans voudraient, à ce que mon label voudrait, et cela m’a définitivement éloignée de mes instincts naturels d’artiste, alors que je pense qu’il est de ma responsabilité, en tant qu’artiste, de suivre mon cœur et de faire quelque chose d’honnête. Il m’a donc fallu un certain temps pour revenir à mon identité, et cet album m’a aidée à y parvenir.

Sur la pochette de l’album, tu traverses un miroir. Comment peut-on l’interpréter ? Cela illustre-t-il justement ce que tu viens de dire ?

Cette image est inspirée d’Alice au pays des merveilles, l’une de mes histoires préférées. Elle parle aussi d’identité, de trouver sa place dans le monde et de savoir qui l’on est en fin de compte. Et je me suis clairement inspirée d’Alice au pays des merveilles et de l’imagerie de la découverte de soi tout au long de l’album. Mais oui, je pense que le miroir symbolise en quelque sorte, pour moi, la personnalité. Nous avons tous une facette publique que nous affichons dans notre vie quotidienne, devant les autres, et puis il y a la personne que nous sommes au fond de nous, à l’intérieur. J’ai commencé à avoir l’impression que ces deux personnalités étaient très éloignées l’une de l’autre. Et je voulais revenir à ce que je suis.

Le titre lui-même fait référence au miroir. Est-ce également inspiré par Alice au pays des merveilles ?

Oui, mais c’est aussi une référence à un cliché courant dans les films d’horreur, où le personnage se regarde dans un miroir et le miroir fait quelque chose que le personnage ne fait pas, et cela représente généralement une sorte d’ambition sous-jacente, ou une tension entre le moi extérieur et le moi intérieur du personnage. Il est clair que je reviens souvent à cette métaphore.

Y a-t-il beaucoup d’artistes visuels ou d’œuvres d’art qui t’inspirent ?

Oui, je m’inspire beaucoup du cinéma, et l’un de mes réalisateurs préférés est David Lynch. J’aime beaucoup l’horreur étrange. De qui d’autre me suis-je inspirée ? Beaucoup du monde de la mode. Allison Williams, que j’ai déjà mentionnée, est une source d’inspiration évidente. Mais oui, je tire définitivement une grande partie de mes références du cinéma.

Parlons un peu des chansons de l’album, en commençant par « Downhill », qui me donne l’impression que tu as entamé ce disque en partant d’un coin sombre, et que tu t’en sors pour aller de l’avant.

Oui, c’était l’idée. Je suis heureuse que tu l’aies comprise. Je voulais vraiment que l’on ait l’impression que, pour moi, cet album ressemblait à bien des égards à un nouveau départ en tant qu’artiste, en essayant de repartir d’une page blanche. Et, oui, je voulais que son premier mouvement soit un peu tendu et solitaire. C’est aussi une sorte de référence à ma carrière passée : elle commence comme une chanson Indie Rock avec juste une guitare et une voix, et puis elle s’épanouit dans une production plus importante. Donc oui, et je pense que ça reflète aussi un peu le voyage de tout l’album.

« Spinning » semblait être un choix évident comme premier single ?

Je pense que oui, ça m’a sauté aux yeux quand on l’a écrit. Je pense que la mélodie est fun, mais les paroles et le thème me touchent beaucoup, et représentent ce sentiment de perte de contrôle que j’avais à l’époque.

J’ai regardé le clip. Tu ne chantes pas vraiment sous l’eau ?

Non. Je ne chante pas. Je fais de la synchronisation labiale sous l’eau, mais c’était vraiment un truc de fou à réaliser. Je ne savais pas si j’allais pouvoir le faire. Je suis contente que ça ait marché.

« Doll Song » est l’une des chansons que j’aime beaucoup sur l’album me fait penser à la musique de Mitski et de St Vincent.

Oh, merci ! C’est un beau compliment !

Oui je le pense, en termes de style et d’évolution dans la chanson. Et j’ai le sentiment que c’est une chanson charnière de l’album. Les paroles sont très personnelles – tu parles d’une relation toxique, et tu ne veux plus faire ce qu’on attend de toi – mais c’est aussi une émancipation, il est question d’être soi-même et de faire ce que l’on a vraiment envie de faire.

Oui, tu as plus ou moins mis le doigt sur l’essentiel. Et j’aime Mitski et St Vincent, alors j’apprécie vraiment ta remarque. J’ai écrit cette chanson il y a longtemps, et pour moi, quand j’ai commencé à la composer, c’était indéniablement à propos d’une relation. Mais je pense qu’au fur et à mesure que j’ai grandi avec cette chanson – c’est l’une des plus anciennes de l’album – j’ai eu l’impression qu’elle reflétait le voyage de ma vie dans un sens plus large à ce moment-là. Je me sentais vraiment à la merci des institutions et des gens qui m’entouraient au moment de ma vie où j’ai commencé à écrire cette chanson. Donc oui, je me sens beaucoup plus libre depuis que j’ai sorti l’album.

En fait, en parlant de St Vincent, je l’ai interviewée lorsqu’elle n’était pas encore très connue, comme toi, plus ou moins au même stade de sa carrière, ce qui peut te donner une idée de ce qui va suivre si les choses se passent bien ! Ça me rappelle les paroles d’une de tes chansons. Quand tu dis « j’ai l’impression que tout le monde continue à avancer sans moi » (sur « Everybody’s Moving On », ndlr). Crains-tu que l’on t’oublie très vite et que les gens passent rapidement à autre chose si tu abandonnais la musique ?

Oui, c’est toujours le risque que l’on court quand on fait de sa musique une carrière plutôt qu’une passion. Je pense qu’il est très facile de se comparer à d’autres personnes dans l’industrie. J’ai dû m’efforcer de ne pas le faire. Et je trouve aussi que typiquement, quand je me compare à d’autres, à leur niveau de succès ou de célébrité ou quoi que ce soit d’autre, c’est comme si je me sentais bloquée d’un point de vue créatif. C’est un bon signe pour moi d’avoir besoin d’écrire plus et d’être plus créative, parce qu’évidemment il n’y a pas deux artistes identiques. Et j’ai cessé d’aspirer à être quelqu’un d’autre à ce stade, du moins j’essaie, et je pense qu’à cette étape de ma vie, j’essaie de moins penser à l’aspect commercial et de me concentrer davantage sur la créativité. Je pense que c’est la seule façon de rester sain d’esprit dans cette industrie.

Pom Pom Squad © Eliza Jouin
Pom Pom Squad © Eliza Jouin

En parlant de contrôle et de créativité, tu as participé à la production et enregistré avec Cody Fitzgerald, du groupe indépendant de Brooklyn Stolen Jars. Peux-tu me parler de cette expérience ?

Oui, nous nous sommes rencontrés lors d’un stage de composition, et je suis généralement très exigeante en ce qui concerne la co-écriture. Auparavant, je n’avais travaillé qu’avec une poignée de co-auteurs, et il a été un excellent collaborateur pour moi. Pour la production, il est très important que je sois aussi impliquée que possible. Au fur et à mesure que j’avançais dans ma carrière, j’essayais d’être de plus en plus à l’aise en prenant davantage de responsabilités en tant que productrice, et j’ai travaillé avec des personnes vraiment extraordinaires au fil du temps, notamment avec Sarah Tudzin (de Illuminati Hotties, ndlr) sur le précédent album, et elle est absolument incroyable. Elle a beaucoup plus d’expérience que moi, et c’était la collaboratrice idéale à ce moment-là. Je savais que pour ce projet je voulais suivre mes instincts au plus près de mes capacités, me mettre à l’épreuve et me pousser à aller plus loin. Et il a été un collaborateur formidable, parce qu’il m’a vraiment laissé diriger et n’a jamais essayé d’outrepasser ou d’imposer ses idées d’une manière qui aurait pu sembler intrusive. Il est d’un grand soutien en tant que collaborateur, et c’est un type formidable. Il est vraiment, vraiment talentueux.

Et penses-tu que la production ou l’écriture soient des choses que tu aimerais faire à un moment de ta carrière, pour quelqu’un d’autre ?

Oui, j’aimerais beaucoup. J’aime vraiment ça, j’ai écrit pour quelques personnes à ce stade, c’est une expérience d’écriture différente et c’est vraiment bien, parce que je suis très attachée à ce que je fais. Donc quand j’écris pour quelqu’un d’autre, je peux en quelque sorte m’oublier et oublier mes propres problèmes liés à mon projet pendant un moment et me concentrer sur l’accomplissement de la vision créative d’un d’autre. Et c’est agréable. Cela m’aide à élargir encore plus mes capacités.

Pour revenir au début de ta carrière, qu’est-ce qui t’a poussée à t’habiller en pom-pom girl ?

Je pense que l’archétype de la pom-pom girl représente quelque chose de très spécifique, surtout dans la culture américaine, mais aussi dans le monde entier. La pom-pom girl est une figure très américaine et pour moi, en tant que jeune femme, cela représentait vraiment une sorte de version idéale de la féminité ou celle à laquelle on est censé aspirer, alors que je me sentais à l’opposé de cette image. Je pense que lorsqu’on imagine une pom-pom girl, on se représente une blonde, un peu joyeuse, optimiste, une fille populaire, oui c’est exactement ça. Et je pense que le personnage de la pom-pom girl a été réécrit de façon étonnante ces dernières années. Il y a des créations incroyables avec des réinterprétations queer de la pom-pom girl. Nous voyons davantage ce personnage comme un athlète et quelqu’un de fort. Mais je pense que quand j’étais plus jeune, on me voyait plus comme une idiote, jolie, comme une bimbo, tu vois ce que je veux dire. Et pour moi, en tant que femme de couleur et queer, j’avais l’impression que cet idéal de féminité ne me correspondait pas. Donc, commencer à m’habiller comme une pom-pom girl, c’était un peu ironique. Et puis, bizarrement, cela a affecté la façon dont les gens dans mon entourage ont commencé à me percevoir, et c’est devenu cette chose étrangement valorisante où on commence à me regarder comme cette figure intimidante ou puissante, parce que, encore une fois, la pom-pom girl, c’est une image très forte pour beaucoup de gens. Ça fait aussi penser à la fille qui vous tyrannise à l’école. Cela a vraiment changé le regard des autres, ce qui était un signal fort montrant que je pouvais choisir la façon dont je voulais être perçue.

Peut-être n’est-ce plus tellement l’image que tu veux renvoyer aujourd’hui. Elle est très attachée à ton adolescence et tu as évolué depuis ?

Oui, sans aucun doute puisque je suis une adulte maintenant. Mais même si j’ai beaucoup fait pour réécrire ce personnage pour moi et idéalement pour d’autres, les gens sont encore très méprisants envers les jeunes femmes. Ce n’est pas pour ça que je ne le fais plus, je pense je ne m’en sens simplement plus aussi proche, par rapport à ma situation actuelle et aux thèmes sur lesquels j’écris. Mais j’ai toujours eu beaucoup d’amour pour cette image et cette partie de ma carrière, et je suis vraiment fière de ce que j’ai pu faire.

Je pense que cela pourrait s’appliquer à n’importe quel pays, mais dans la société américaine aujourd’hui, est-il difficile d’être ou de se sentir différent, notamment après les résultats des dernières élections ? Est-ce une période difficile pour les personnes qui ne rentrent pas dans le moule ?

Absolument. Et je pense que ce sera encore plus difficile dans les quatre prochaines années. C’est une période vraiment effrayante pour les personnes marginalisées en ce moment, mais j’ai de l’espoir. Je me sens très chanceuse parce que j’ai pu créer ce projet et parler à des gens comme moi et qui se sentent concernés par ce que j’ai vécu, je peux organiser mes propres spectacles, faire des concerts, regarder la foule; me sentir en sécurité, soutenue, et savoir que le public en face de moi ressent la même chose et partage mes valeurs. Ça me soulage beaucoup, et j’espère que je pourrai continuer à créer cet espace pour ceux qui en ont besoin, parce que je pense que les temps à venir vont être très durs.

Propos recueillis à Paris le vendredi 8 novembre 2024

Un grand merci à Pom Pom Squad et au label City Slang pour avoir rendue cette interview possible.

Pour plus d’infos :

POM POM SQUAD – Death of a Cheerleader (2021)

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