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Sylvie Kreusch : « Je voulais créer une ambiance cinématographique »

A quelques jours de son retour à Paris pour un concert dans le cadre du festival Les Inrocks 2025, pleins feux sur Sylvie Kreusch ! Nous avons eu le plaisir de rencontrer en décembre dernier après la sortie de son nouvel album « Comic Trip », un disque plein de vie sur lequel elle partage des histoires personnelles que nous explorons avec elle, à travers les aspects enfantins de sa musique et son imagerie inspirée de la bande dessinée, mais aussi l’évolution de sa carrière depuis ses débuts, ses nombreux défis et la nécessité de se découvrir en tant qu’artiste en gardant ses sens ouverts pour voir le monde d’une manière différente.

Sylvie Kreusch © Eloïse Labarbe-Lafon
Sylvie Kreusch © Eloïse Labarbe-Lafon

Tu fais de la musique depuis un certain temps déjà. En fait, tu as fait partie de plusieurs groupes de musique électronique et de rock indépendant dans les années 2010. Qu’est-ce qui a déclenché l’envie de commencer une nouvelle carrière en tant qu’artiste solo au début des années 2020 ?

Je pense que c’était vraiment bien de commencer dans un groupe, parce qu’il y a beaucoup de choses que l’on ne connaît pas vraiment, et à plusieurs on se sent plus fort. J’ai tellement appris au cours de ces années. Mais à un moment donné, je me suis dit : « Ok, j’ai vraiment besoin de me découvrir en tant qu’artiste, et aussi en tant qu’écrivaine ». Il a donc fallu que je rompe avec tout cela et que je me mette dans cette position effrayante de faire les choses par moi-même. Warhaus était également un projet très intéressant. Mais je me suis dit que je devais aller de l’avant et raconter ma propre histoire.

Maintenant, sur scène, tu es vraiment au centre des concerts. Tu chantes, tu danses, tu bouges beaucoup, mais avant cela, il y a la composition qui est un exercice à l’opposé du live. Comment procèdes-tu habituellement pour composer ?

Je garde toujours à l’esprit le fait que la musique sera jouée en live, et que je veux de vrais instruments et de vrais musiciens sur scène. Avec le premier album, j’avais commencé par tout faire sur Ableton (un outil pour les créateurs de musique, ndlr). La pré-production était déjà très avancée avant d’entrer en studio, et c’est parfois très difficile parce que c’est plus simple de faire de la musique électronique sur un ordinateur, et j’ai beaucoup travaillé avec des samples. Je voulais créer une ambiance cinématographique. Pour cet album j’ai commencé par écrire avec Jasper Sejos. C’est mon guitariste, et c’était plus amusant dans le sens où nous pouvions commencer avec le piano et avoir les mains plus libres. C’était plus organique.

Il y a une vraie dynamique de groupe dans tes chansons. Est-ce que le groupe commence à participer après avoir écrit et travaillé sur les chansons en studio ?

Oui, c’est ça. D’abord, nous écrivons tout, mais ensuite, bien sûr, mon batteur vient en studio, et il se fait sa propre idée. Il sait ce qui est le mieux parce que c’est un batteur. Je lui fais donc totalement confiance.

Ton premier album oscillait entre ton passé électronique et tes collaborations plus indie-rock, mais avec celui-ci tu sembles t’orienter vers un nouveau son et te pencher, d’une certaine manière, vers les grands horizons américains ?

Oui, enfin je ne sais pas… Je pense que ma musique sonnera toujours plus européenne. Il y a, bien sûr, une touche Western, mais elle a été plus inspirée par un artiste belge, parce que j’ai beaucoup écouté Toots Thielemans, l’harmoniciste. C’était l’un des plus grands artistes en Belgique, il a fait tous les films où l’on entend de l’harmonica. C’est pourquoi j’ai commencé à utiliser cet instrument, et tous les autres éléments évoquant les Westerns qui se sont insérés dans ma musique. Mais je ne sais pas, j’ai toujours tendance à retourner dans le passé, et je m’inspire toujours des artistes des années 60 et 70, parce que je suis une personne très nostalgique. Mais je ne commence jamais à écrire un album en me disant « je vais faire un disque qui sonne comme ceci ou cela ». Ça ne marche pas comme ça pour moi. Ça s’est fait au fur et à mesure.

Sylvie Kreusch © Eloïse Labarbe-Lafon
Sylvie Kreusch © Eloïse Labarbe-Lafon

Le premier extrait était « Comic Trip », un titre qui semble avoir été particulièrement influencé par l’univers de la bande dessinée quand on voit son clip ?

Oui. Je voulais donner l’impression de lire une bande dessinée. Au début, je voulais travailler avec une vraie animation. Mais ensuite je me suis dit que l’on devrait peut-être essayer de créer un monde entier en miniature, et me mettre à l’intérieur.

C’est à la fois une BD et un Western !

Oui, c’est une coïncidence mais ça va très bien ensemble. Ce n’est qu’après coup que je me suis aperçue que tous ces éléments allaient vraiment bien ensemble.

La plupart des chansons, notamment à travers leurs chœurs, sont très enfantines. Essaies-tu de réveiller l’enfant qui sommeille en chacun de nous ?

Tout à fait, c’est mon but avec cet album, et j’espère vraiment que les gens pourront s’identifier à cette sensation, surtout les adultes. En fait, de nombreux d’enfants aiment ma musique. Et c’est vraiment cool. J’aime beaucoup le fait que des gens de tous âges aiment ma musique. Je voulais vraiment défier l’enfant qui est en moi parce que je faisais face à un conflit intérieur : je vieillissais et tout était comme très paisible, mais avec le temps il y a tellement de choses auxquelles tu dois penser : avoir une vie équilibrée, prendre soin de tout… Ce n’est pas vraiment chose très inspirant quand tu dois créer, parce que quand tu crées tes sens doivent être ouverts pour voir le monde d’une manière différente, pas réaliste. Donc l’idée était de me dire que je devrais peut-être me replonger dans une version plus jeune de moi-même.

Sur ton premier disque le titre « Walk Walk » me faisait penser à Charlotte Gainsbourg, mais là c’est plutôt son père, avec ses « PAAW PAAW ! BANG BANG ! KACHAAAAW ! WHEM BLEM » et son titre en clin d’œil au « Comic Strip » de Serge Gainsbourg ?

Ouais, ouais, c’était vraiment drôle, parce que quand j’ai composé les mélodies de cette chanson, j’avais déjà en tête, comme, le « PAAW PAAW ! BANG BANG ! ». Je ne savais pas encore de quoi il s’agissait. Mais je me suis dit : « Oh, ça me rappelle vraiment quelque chose ». J’ai été inspirée par « Comic Strip » de Serge Gainsbourg, par la façon dont il utilisait les sons et les mots… Et j’aime aussi vraiment le fait qu’il ait mélangé une musique adulte avec ce côté très enfantin. L’influence de « Lolita » s’est toujours fait sentir dans sa musique. Il s’en servait très bien. Ça a toujours été une grande source d’inspiration pour moi, et pas seulement cela. Quand j’étais enfant, je savais déjà que je voulais chanter, j’écoutais toujours des groupes d’enfants, et j’étais aussi dans un groupe avec des enfants qui se produisaient sur scène. Et quand j’entends ces chansons aujourd’hui, j’aime toujours écouter les enfants qui chantent ensemble, comme si c’était un sentiment très libérateur. J’apprécie ce côté imparfait. Je dis toujours à mes choristes de ne pas être trop parfaits. Je veux que le résultat soit enjoué.

Et quelle est l’histoire derrière l’ambiance Western de « Ride Away » ?

J’avais en tête l’image d’une mariée en fuite, une femme qui connait ses limites dans une relation et qui a le courage de partir. Je l’ai imaginée montée sur son cheval et voilà : si vous n’êtes pas assez bien traité, vous pouvez juste tourner les talons et vous enfuir et ne pas rester dans une situation merdique, et apprendre par la même occasion à vous connaître vous-même.

Sur un ton très différent, « Sweet Love (Coconut) » est en fait une chanson très douce, quelle est l’inspiration derrière celle-ci ?

Mon petit ami et moi avons mis du temps à oser avoir une vraie relation, parce que nous avions tous les deux un peu peur de tomber amoureux, de sauter le pas. Je me souviens que lors de ma dernière séance avec ma thérapeute, elle m’a demandé : « Ok, mais si tu es sur une île déserte avec lui, et qu’il n’y a personne, quand le monde entier s’écroule et qu’il n’y a plus que toi et lui, voudrais-tu encore être avec lui ? » Je lui ai répondu « oui », et un an plus tard nous allions de l’avant, nous nous sommes finalement choisis l’un l’autre. Puis nous avons voyagé d’île en île, c’était un peu comme une lune de miel. Nous sommes restés là-bas pendant un mois, toujours ensemble, sauf quand il allait chercher une noix de coco pour moi, ou moi pour lui… Nous étions obsédés par les noix de coco et l’un l’autre. Je me revoie en train d’écrire les paroles, les pieds dans l’eau. C’est une chanson très légère. J’aime le moment où tu entames une relation et le monde entier disparaît, le travail et tout le reste n’ont plus d’importance, il n’y a plus que nous deux contre le monde, la vie est juste simple et nous sommes heureux.

Et pourtant juste après, « Ding Dong » semble décrire des sentiments plus mitigés, une sensation d’insécurité ?

Oui. « Ding Dong » parle en fait de moi, car j’ai beaucoup de mal à exprimer mon amour par les mots, surtout parce que je n’ai pas grandi avec ça. Beaucoup de gens grandissent en se disant « je t’aime » après chaque phrase. Pour moi ça a toujours été un peu bizarre de le faire, je n’osais pas parce que ça ne me paraissait pas naturel. Je trouvais ça vraiment drôle parce que dans mes chansons je suis toujours très honnête et très expressive. Et ça me semblait plus facile d’être honnête devant le monde entier que devant la personne à qui je parle au quotidien, un peu comme si j’étais timide. C’est aussi parce que j’ai l’impression d’être très timide quand il est question d’amour. Je ne flirte pas, je suis juste celle qui reste dans un coin en attendant d’être remarquée.

On sent que les chansons sont très personnelles. La chanson « Butterfly » reflète-t-elle les défis auxquels tu as été confrontée lorsque tu travaillais dans la mode ?

Oui, mais je n’ai jamais été vraiment mannequin, c’est plus en tant qu’artiste, parce que je suis toujours très inquiète quand je pense au fait que je vieillis et on a souvent l’impression que les gens veulent voir de très jeunes filles sur scène. Et elles sont bien plus acclamées. Par exemple Billie Eilish est super talentueuse, on entend beaucoup d’éloges à son sujet, qu’elle est si jeune et tout ça, mais ça n’arrive jamais vraiment de voir une chanteuse qui a la quarantaine exploser. J’ai tellement de respect pour ces femmes parce qu’elles n’abandonnent jamais. Si tu regardes les réseaux sociaux, je pense que c’est un très gros problème de voir toutes ces publicités pour rester mince et sur la chirurgie plastique.

Penses-tu que l’univers de ce nouvel album contribue à façonner une nouvelle image pour toi en tant qu’artiste ?

Oui, je pense qu’il y avait une grande partie de moi que les gens ne connaissaient pas vraiment avant, parce qu’ils ont toujours vu, comme je l’ai lu dans les interviews ou les critiques, que je suis une sorte de « femme fatale » très sombre. Et tous mes amis et les gens qui me connaissent m’ont dit : « tu es tellement différente de ce que les gens écrivent sur toi dans la vraie vie, tu es beaucoup plus colorée, gaffeuse et garçonne ». Je me suis dit que je voulais vraiment montrer ce côté-là. Et ça me faisait très peur parce que je pensais que les gens n’accepteraient pas cette facette. Je crois aussi que plus je vieillis, plus j’ai confiance en moi sur scène, et plus je m’amuse, plus j’ose sourire. Je pense qu’il y a quelques années, j’avais toujours un visage impassible, très sérieux.

Sylvie Kreusch © Eloïse Labarbe-Lafon
Sylvie Kreusch © Eloïse Labarbe-Lafon

Une fois de plus, la pochette de ton album est superbe. Il semble y avoir quelque chose de magique derrière ce bocal vert et ton costume, comme dans le titre « Hocus Pocus » en fait. Qui l’a dessinée et quelle était l’intention derrière ce dessin ?

C’est une artiste française qui vient de Paris. Elle s’appelle Eloise Labarbe-Lafon.  Je l’ai rencontrée alors que son petit ami était en tournée avec moi, il faisait mes premières parties. Elle crée des images, elle prend des photos et les peint. J’ai lu une interview d’elle, et la façon dont elle aborde son art est un peu similaire au mien, à celui de « Comic Trip ». C’était la rencontre parfaite. C’était très agréable de voir sa façon très audacieuse, mais aussi très ludique d’utiliser les couleurs. On peut l’imaginer comme le ferait un enfant, ce n’est pas du tout réaliste. J’ai donc emporté un grand bocal à poisson à Paris. Je l’ai pris avec moi dans le train. Je ne pouvais pas me casser sinon la séance photo était foutue et l’idée de voir ma tête dans bocal était plus un symbole, comme si j’étais le bocal.

Tu as participé en tant que musicienne à des défilés de mode, collaboré avec des photographes et des créateurs. La mode est-elle toujours intimement liée à ta carrière musicale ?

Oui, mais je ne suis pas vraiment les tendances. Je pense que la mode peut être très amusante, c’est très ludique car on entre aussi dans un personnage. Je pense que j’ai besoin de ce genre de robes et de grands costumes pour entrer dans la peau d’un personnage. Mais ça dépend du lieu. Quand je joue ici, comme c’est un peu plus petit, j’ai tendance à m’habiller plus simplement. Je m’habille plus comme je suis. Mais une fois que je monte sur une très grande scène, il faut que ce soit grand !

Confectionnes-tu tes propres vêtements ?

Oui, je les dessine mais ne les fais pas moi-même. Je les crée avec une fille qui les fabrique toujours pour moi. Et c’est tellement bien, parce qu’on peut les garder, il y a toujours un souvenir qui s’y rattache. Je les garde dans ma maison, j’ai une pièce dédiée à ça maintenant.

Les vêtements que tu portais lors de tes précédents concerts à Paris (une large tenue marron à la Boule Noire, une rouge au Point Ephémère) m’ont fait penser au Glam Rock et à David Bowie dans les années 70, est-ce une influence ?

Oui, peut-être, d’une certaine manière. Je recherche également des costumes pour la façon dont ils bougent. C’est également très important que le tissu bouge avec moi. Et j’ai vraiment aimé ces costumes parce qu’ils étaient si grands, je me sentais libre dedans, comme si je ne portais pas de vêtements. J’aime beaucoup les robes fluides, et jouer avec les tissus sur scène.

A chaque fois que tu viens jouer à Paris, les salles et le public sont plus grands, et les dates au Royaume-Uni et en Europe s’enchaînent. Rêves-tu d’une carrière internationale ?

Bien sûr, je l’espère vraiment ! Mon but est d’avoir une carrière internationale mais aussi une vie de tournée équilibrée. Ce serait même un rêve de faire une grande tournée où je puisse emmener avec moi mon chien, ma vie privée, pour que je me sente un peu comme à la maison, et aussi tous les membres de mon groupe. Parfois, par exemple à Londres, nous devons faire quelques concessions parce que ce n’est pas possible, et c’est probablement encore pire depuis le Brexit. C’est important que les finances soient suffisantes pour que je puisse payer tout le monde, amener toute l’équipe et donner les mêmes concerts qu’en Belgique.

Propos recueillis au Hasard Ludique, Paris, le mercredi 4 décembre 2024.

Un grand merci à Sylvie Kreusch et à Camille de La Mission pour avoir rendue cette interview possible.

Pour plus d’infos :

Chroniques :

Comic Trip (2024)
Montbray (2021)

Le Point Ephémère – Paris – Mardi 28 mars 2023
La Boule Noire – Paris, mercredi 23 février 2022

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