Le quintet canadien Alvvays avait été qualifié l’an dernier par le NME de « groupe dont tout le monde va parler après SXSW » (le festival à Austin, Texas). Ils n’avaient pas tort. Leur premier album a su séduire tout le monde grâce à un son très vintage et des mélodies imparables. A l’occasion de leur concert parisien nous avons pu rencontrer les têtes pensantes d’Alvvays, Molly Rankin et Alec O’Hanley, qui nous dévoilent tout sur la genèse du groupe et de l’album.
Pouvez-vous me parler de vos débuts ? D’où venez-vous, comment s’est formé le groupe ?
Molly : Nous venons d’une province du Canada qui s’appelle The Maritimes et de Prince Edward Island. A l’époque Alec et moi vivions sur deux îles séparées. On est devenus amis quand je suis allée à l’un de ses concerts. Durant les deux années qui ont suivi cette amitié a évolué vers la création d’un groupe. Je travaillais avant sur mes propres projets et Alec dans d’autres groupes, et puis finalement tout cela a évolué vers Alvvays.
La musique c’est ce que vous avez toujours voulu faire ?
Alec : Je crois que Molly voulait être vétérinaire, puis elle est également allée dans une école de théâtre. Pour ma part j’étais plutôt parti dans une voie scientifique, j’ai étudié la chimie à l’université mais je ne voulais pas vraiment finir dans un laboratoire. Nous ne voulions pas nécessairement devenir des musiciens depuis notre naissance, mais la famille de Molly était certainement plus orientée vers la musique que la mienne (The Rankin Family, célèbre au Canada, ndlr). Mais nos parents ont toujours été ouverts et nous ont encouragés à poursuivre dans la voie que nous avions choisie tant que nous ne tombions pas dans la délinquance !
Molly, j’ai effectivement lu que tu viens d’une famille de musiciens inconnue ici mais très célèbre chez toi, est-ce qu’ils t’ont encouragée à jouer et à faire une carrière dans la musique ?
Molly : Ils m’ont apporté autant de soutien qu’Alec avec sa famille. En grandissant dans un tel environnement je savais que c’était quelque chose de difficile à poursuivre sur le long terme, j’étais réaliste.
Alec : Le père de Molly faisait aussi de la musique à un moment ou l’industrie musicale était en bien meilleure santé quand les gens achetaient encore des disques.
Molly : Oui, ils étaient très actifs pendant les années 90 quand les gens achetaient encore beaucoup de CDs.
Alec : Donc ils étaient dans une situation beaucoup moins précaire que ce que l’on peut espérer aujourd’hui. Mais on se fait plaisir, on aime les tournées, celle-ci en Europe tout particulièrement avec des concerts à guichets fermés au Royaume-Uni. On n’avait jamais joué dans tous ces endroits auparavant, en France, en Scandinavie. C’était bien de pouvoir découvrir tous ces nouveaux endroits. On avait envie d’aller à Glasgow, en Suède et bien entendu Paris, c’est sympa, c’est un peu comme des vacances avec un peu plus de stress, un peu moins de liberté mais toujours beaucoup de plaisir.
Molly, apparemment au début Alvvays était considéré comme étant ton projet solo, à quel moment as-tu vu cela évoluer vers un groupe ?
Molly : La façon dont j’écrivais mes chansons convenait mieux à un groupe que quelque chose de plus épuré. En fait j’ai toujours joué avec des groupes. Et quand nous sommes partis enregistrer nos nouvelles chansons à Calgary au Canada je crois qu’il y a eu cette prise de conscience, que nous étions devenus un groupe sans même nous en rendre compte.
Alec : Oui le groupe n’était pas si éloigné de Molly, c’était plutôt une transition subtile qu’une coupure radicale avec ce qu’elle faisait auparavant. Déjà sur son premier disque en solo on y affichait des ambitions plus larges qu’un simple projet d’auteur compositeur. On explorait des styles comme celui de Roy Orbison notamment du point de vue de la production ou des choses acoustiques à la Paul Simon. On expérimentait beaucoup, on essayait notamment d’y inclure des sections de cordes.
Molly : Il y avait aussi pas mal de gens qui jouaient avec nous quand ils étaient libres, puis deux d’entre eux nous ont fait savoir que ça leur plairait de rester avec nous à plein temps. J’étais aussi vraiment excitée par le fait que ça les intéressait de tourner parce que ce n’est pas toujours le cas. Et tourner c’est une chose que l’on adore, que l’on joue devant 5 ou 500 personnes. Et ils sont toujours avec nous ; Kerri, Phil et Brian ont vraiment cimenté le groupe en devenant des membres permanents. C’est formidable d’avoir un vrai batteur et de ne pas « emprunter » quelqu’un pour le week-end, ils sont tous totalement investis dans le groupe, ça nous aide beaucoup.
Venons-en à l’album. Vous l’avez sorti en cassette un an avant sa sortie officielle en CD & vinyle. Pourquoi ? Y-a-t-il une différence entre les deux versions ?
Alec : On a fait ces cassettes nous-mêmes parce que c’était un prérequis pour faire des concerts et quelques festivals d’été chez nous au Canada. Donc on ne pouvait pas vraiment appeler ça une sortie, c’était plutôt quelque chose à mettre sur la table de merchandising, on a dû en faire une cinquantaine.
Molly : C’est toujours bizarre de faire des concerts où les gens se pointent et tu n’as rien à leur donner. Ils réagissent bien et là tu leur dit « Oh ! Merci d’être venus, mais on n’a rien à vous offrir que vous puissiez emporter avec vous pour le réécouter plus tard ! ». Pour nous c’était logique de donner aux gens un petit quelque chose, parce que s’ils voulaient écouter le disque avant sa sortie ils méritaient d’avoir au moins cette cassette ! De cette façon le disque ne s’est pas retrouvé immédiatement sur internet et perdu de son intérêt avant même d’être sorti.
C’est vrai que je vois parfois des groupes étrangers, Américains ou autres, qui jouent parfois en France et n’ont rien à vendre parce que leur album n’est pas encore sorti en France, même s’il est disponible chez eux !
Alec : Oui, c’est toujours un peu tragique, pour les fans notamment, il faut essayer de faire coïncider tout cela autant que possible. Si les labels US ou internationaux s’étaient intéressés à nous au moment où nous avons fait cette cassette on l’aurait sorti à ce moment-là. On a dû l’envoyer à tout le monde et s’y reprendre à plusieurs fois.
Molly : On en riait ! Il n’y avait littéralement personne au Canada qui voulait sortir notre album… à part nos amis !
Alec : Et nous savions que les chansons étaient bonnes donc on a continué à pousser et prendre notre mal en patience, et nous y voilà !
Dans quel environnement avez-vous écrit les chansons de l’album, j’imagine donc que certaines d’entre elles ont déjà été écrites il y a un bon moment ?
Alec : Oui, certaines ont été écrites dans différentes villes, d’autres à Montréal pendant l’hiver. Beaucoup de morceaux ont été écrits pendant l’hiver, certaines à Charlottetown dans un lieu qui s’appelle Winter Bay. Molly et moi habitions dans une ferme à côté d’une route d’au moins 500 mètres de long toujours enneigée, on utilisait des motoneiges qui appartenaient à notre propriétaire parce qu’il y avait trop de neige, on était tout le temps coincé…
Molly : C’était une période assez sombre !
Alec : Donc on a fait quelques chansons là puis on est parti pour Toronto, on a mis toutes nos affaires dans une remorque. On a écrit d’autres morceaux dans le sous-sol de notre maison à Toronto. Heureusement notre propriétaire travaillait pour le National Film Board et il était très sympa et enthousiaste que l’on travaille sur un projet artistique. On en a donc fait 3 ou 4 là-bas.
Molly : Et la majorité ont été écrites pendant la période la plus grise et la plus froide de l’hiver.
Alec : Oui, quand tu attends avec impatience l’arrivée du soleil ! Quand tu vis dans un climat nordique tu profites pleinement de l’été parce que c’est tellement court, on avait certainement ça en tête. Ce fut donc certainement un effort « multi-provincial », un procédé d’écriture d’un endroit à l’autre.
Vous avez enregistré l’album au studio de Chad Vangaalen, comment s’est passé votre collaboration ?
Alec : C’était très fun. On faisait ça en journée, il a deux filles dont il doit s’occuper à partir de 17h donc pour nous c’était un peu étrange, en général c’est l’heure où on se réveille !
Molly : Oui, à la maison en général on s’y prend tard dans la journée, donc il a fallu s’adapter, on s’est retrouvé dans une partie totalement différente du Canada et il fallait voir terminé à 17h précises! On se demandait ce qu’on allait faire pendant les 5 heures qui suivent, parce qu’on se trouvait au bord d’une autoroute. On a dû faire ça 10 nuits d’affilée, jusqu’à ce que l’on se rende compte que l’on devait aussi travailler de nuit parce que sinon on n’aurait jamais terminé à temps. Mais c’était fun, il est vraiment cool, c’est quelqu’un de très optimiste. Calgary est peut-être l’endroit le plus morne du Canada, c’est une ville industrielle, pétrolière, qui peut être super déprimante et grise. Mais marcher dans l’univers de Chad c’est aussi se retrouvé protégé à l’intérieur d’une bulle d’optimisme. Il est toujours occupé, il anime des projets, travaille dans la musique, il écoute de la musique africaine ou plein d’autres choses, c’est quelqu’un de très rare.
Alec : Il avait beaucoup de BDs de Tintin dans le studio, je me souviens qu’il aimait beaucoup ça !
Et comment vous êtes-vous rencontrés ?
Molly : On ne l’avait pas rencontré, on est allé à Calgary sans s’être jamais vu auparavant. On lui a envoyé par email quelques démos et il était intéressé. Il avait justement deux semaines de libres. On a eu de la chance en terme de timing. Certains de nos morceaux ont vraiment bénéficié de son aide. Il est très ouvert.
Alec : Il est doué pour prendre du recul.
Et de manière générale, quels sont les groupes que vous écoutez ?
Alec : On n’essaie de ne pas se limiter. A un moment on écoutait pas mal Sparklehorse, mais aussi Françoise Hardy, Stereolab… ABBA !
Molly : The Teenage Fanclub a été une grosse influence sur les chansons de ce disque. On aime aussi John Maus, The Chills, The Feelies, The dB’s… Mais ça change en permanence. Mes groupes préférés du moment, Dolly Mixture ou Shop Assistants sont des groupes que je ne connaissais même pas avant d’enregistrer l’album mais on nous a beaucoup comparés avec eux.
Avez-vous été surpris par la réception très enthousiaste de l’album de la part de la critique ?
Molly : Je pense que personne ne semble avoir déroulé le tapis rouge pour nous, mais toutes les critiques ont été plutôt positives et justes, personne ne nous a blessés. Il semble qu’on nous accueille bien partout.
Molly : Oui, tout le monde a été poli et nous a en quelque sorte ‘autorisés’ à continuer. Certains médias sont dédaigneux des groupes avec une fille à la guitare.
Alec : Certaines personnes sont parfois assez réac’.
Sur l’album il y a un fabuleux hit, « Archie, Marry Me », comment est venue cette chanson… Qui est Archie ?
Molly : Haha ! On n’a pas vraiment d’Archie, Carrie qui est dans le groupe partage avec moi un cousin en commun dont le nom est Archie, mais c’est le seul qu’on connaisse. Il s’agit plus d’une chanson romantique. Alec a vécu en Australie pendant environ un mois, moi j’étais à Charlottetown avec un boulot de serveuse et j’écoutais beaucoup ‘A Catholic Education’ de Teenage Fanclub, tous les jours, sur le chemin du travail. J’ai alors fait une démo que j’ai envoyée à Alec et il a compris ce que j’essayai de faire, il sait bien faire ça même quand je ne fais pas les choses d’une manière très compréhensible! C’est en quelque sorte un prétexte pour ne pas être complaisant et de se contenter de ce qu’un adulte devrait être selon les règles de la société. Tu es d’accord Alec ?
Alec : Oui, je dirai qu’il s’agit de continuer la fête. C’est une vraie chanson d’amour pour moi. C’est notre bébé depuis longtemps, on a essayé de l’enregistrer pas mal de fois et on voulait vraiment bien le faire. Tout ce que l’on fait est au service des chansons, et on voulait vraiment que celle-ci en particulier tourne bien. C’est l’enfant dont on a dû prendre soin pendant longtemps.
Molly : Et je crois que c’est l’une des raisons pour lesquelles nous n’avons jamais abandonné, parce qu’on avait toutes les raisons d’arrêter, on n’avait ni agent, ni label, mais on se disait qu’on avait quelques bonnes chansons, et particulièrement ‘Archie, Marry Me’ qui devait voir la lumière du jour, pas seulement au Canada, mais peut-être aussi aux Etats-Unis et en Europe !
Je suppose que votre nom se prononce ‘Always’, les gens se trompent-ils souvent ?
Molly : Oui, souvent. Mais ça ne nous ennuie pas, c’est plutôt marrant.
Alec : Oui, si tu te retrouves irrité par ce genre de choses c’est un comportement difficile à défendre !
Alors pourquoi les deux « V » ?
Alec : On a juste coupé le W en deux, comme on dirait en Français le ‘double V’. Je pense que les Français comprendront mieux celle-là !
Molly : A l’ origine c’était Always avec un W, mais il y a un autre groupe qui porte le même nom et nous ne le savions pas au début. On était attaché à ce nom, dont on s’est dit que si on mettait deux V suffisamment proches l’un de l’autre ça marcherait. Et immédiatement les gens ont dit ‘Alvays’.
Je voulais également vous parler des clips de vos chansons, ils ont une texture similaire, filmés en Super 8. Qu’est-ce qui vous attire dans ce format ?
Alec : C’est quelque chose que l’on maîtrise. On ne sait pas encore rendre belle une vidéo au format digital, et on ne peut pas se payer les objectifs qui permettent d’obtenir un bon résultat. Donc avec le Super 8 on le met à l’arrière du camion et on peut l’emporter partout avec nous. Dès le départ ça donne du caractère au résultat, une certaine qualité et du goût aussi. C’est pour les même raison que nous avons enregistré l’album en analogique, comme un disque des années 80 enregistré sur 8 pistes. Ca lui apporte plus de distorsion, qu’elle soit visuelle ou sonore. Il y a dans tout cela une certaine magie qui n’existe toujours pas dans le digital.
Molly : Aujourd’hui les gens ont ce côté nostalgique où ils essaient de mettre des filtres Super 8 sur des fichiers digitaux pour les rendre charmants, comme Instagram et ce genre de choses.
Ce n’est pas aussi authentique en effet. Et vos vidéos conviennent au son des chansons également, on y retrouve ce côté un peu « à l’ancienne ».
Alec : Oui elles ont l’air compatibles, il y a des clips des années 80 filmés en Super 8 que l’on aime beaucoup, c’est fun. C’est amateur mais c’est sympa de pouvoir faire ça soi-même.
Je crois qu’il y a eu un accident avec la caméra pendant le tournage de ‘Archie, Marry Me’ ?
Molly : Oh ! Oui, la batterie a explosé ! On était sur un voilier à filmer toute la journée. Il appartenait à un couple qui avait vendu sa maison pour l’acheter et faire le tour du monde. Ils nous ont donc autorisés à tourner, c’était une belle journée, et soudainement on a entendu cette énorme explosion. Ça venait de la caméra, l’acide de la batterie coulait de partout.
Alec : Je l’ai ouverte et un liquide visqueux et noir en est sorti ! J’en avais plein les mains, je me disais « mais qu’est-ce que c’est ? » ! On a dû prendre une bouteille de vinaigre, ou de jus de citron, je ne sais plus trop, dans la cuisine du bateau afin de pouvoir neutraliser la fuite, et on a pu y mettre une nouvelle batterie. J’imagine que la prochaine fois on investira dans une batterie de meilleure qualité, c’est la leçon que l’on en a retenu !
Enfin pour terminer je voudrais vous parler de la pochette de l’album. Qui l’a réalisée et quelle est l’idée derrière ce montage ?
Molly : Pour beaucoup de choses que l’on fait, que ce soit pour un poster, un single, un pochette, on aime trouver de vieilles photos provenant par exemples de vieux magazines comme Life ou The National Geographic et on les mélange avec de nouvelles textures. Dans le cas présent je suis tombée amoureuse de cette image. J’y avais renoncé pendant un moment parce que je ne pensais pas que nous obtiendrions les droits pour l’utiliser, mais aucune de mes autres idées ne me convenait. Nous sommes tous au milieu de la pochette avec une main sur la bouche. J’aime aussi sa palette de couleurs. C’est un peu abstrait mais sentimental en même temps.
Alec : C’est une belle palette de couleurs primaires. C’est une photo d’Helen et Frank Schreider. On les a contactés. Helen vit quelque part au Nouveau Mexique, elle doit avoir plus de 90 ans.
Molly : C’est un couple qui voyageait beaucoup et prenait des photos qui étaient utilisées par le National Geographic.
Alec : On a donc eu l’autorisation de l’utiliser. C’était chouette, ils nous ont envoyé un scan digital de l’original mais on l’aimait moins, peut-être parce que c’était digital. On a donc gardé la coupure originale que l’on avait trouvée, elle nous avait accroché l’œil et n’a jamais arrêté depuis.
Propos recueillis à Paris le lundi 16 février 2015.
Un grand merci à Alvvays, à Yann Roskell pour avoir rendue cette interview possible, ainsi qu’à toute l’équipe de Pias France.
Pour plus d’infos:
Lire la chronique de ‘Alvvays’ (2014)
Galerie photos du concert au Badaboum, Paris, le 16/02/2015
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