Gaz Coombes a bercé notre adolescence et les années qui ont suivi avec Supergrass, puis il s’est lancé en solo il y a 3 ans avec ‘Here Come The Bombs’. Fort de cette première expérience, le chanteur d’Oxford revient le 26 janvier avec un nouvel album intitulé ‘Matador’ et s’entretient avec nous sur la création et le contenu de ce disque sur lequel il s’impose aujourd’hui comme un songwriter de premier ordre.
Sur ‘Here Come The Bombs’ tu t’étais écarté du son de Supergrass vers quelque chose de plus expérimental d’une certaine manière, on sentait que tu voulais essayer de nouvelles choses. Penses-tu revenir vers quelque chose de plus direct avec ce nouvel album ?
Gaz Coombes : Je ne sais pas si c’est plus direct mais je pense que ça a évolué. Il y avait effectivement beaucoup d’explorations sur le premier album pour découvrir où je me situais, comment était ma voix et ce que je pouvais être en tant qu’artiste solo, loin d’un groupe. Je pense être plus décontracté pour ce disque, mieux dans ma peau, j’ai gagné en confiance.
As-tu pris le temps de digérer ton premier disque avant de te remettre à l’écriture où t’es-tu lancé dedans juste après ?
Gaz Coombes : Je m’y suis mis tout de suite, j’ai continué à écrire et ‘Buffalo’ a été l’un des premiers titres à émerger. Dès que j’ai terminé cette chanson je savais que j’étais sur une bonne piste, ça m’a donné la confiance nécessaire pour aller de l’avant et composer le reste de l’album.
Et pourquoi as-tu choisi d’appeler cet album ‘Matador’ ?
Gaz Coombes : C’est juste arrivé comme ça, un jour pendant les sessions. J’avais quelques paroles en cours qui évoquaient la métaphore d’un matador et j’ai donc choisi d’appeler l’album ainsi parce que je trouve que ça fonctionne. C’est plutôt direct et j’aime l’analogie de ce matador qui fait face à cette énorme bête qu’il faut esquiver puis vaincre.
Pour en venir aux chansons, j’ai lu dans le communiqué de presse qui accompagne ce disque qu’il y a des chansons liées aux drogues et à la psychose ?
Gaz Coombes : Oui! Enfin je pense que ça reste assez vague. Il y a un titre en effet…
Ce serait ‘Detroit’ ?
Gaz Coombes : Oui, ‘Detroit’ parle d’un moment précis, à une époque où je ne prenais pas vraiment soin de moi. J’avais passé une très mauvaise journée à Detroit, avec quelques soucis avec la police. La scène où nous jouions était grillagée de partout et j’ai juste pété les plombs. J’étais un peu parano, j’ai appelé ma copine la maison pour lui dire « il faut que je sorte de là, il faut que je rentre ! ». On a parlé et elle m’a aidé, elle m’a dit de me calmer, que tout irait bien. Elle m’a aidé à m’en sortir et je pense que la chanson parle plutôt de ça. Ce n’est pas une chanson sur la drogue ou la psychose qui en découle, c’est juste un élément. Quand tu es jeune tu fais des choses comme ça, tu ne fais pas attention à toi-même et ça peut parfois te mettre dans des situations délicates. Mais ici je parle de comment traverser tout ça et s’en sortir, c’est ça qui compte.
Tu as également écrit une chanson avec ta femme, ‘Seven Walls’, elle est écrivain ?
Gaz Coombes : Oui, elle est écrivain, mais au sujet de cette chanson j’avais en fait écrit quelques lignes, un bon début, puis je me suis retrouvé face à un mur de briques et je n’arrivais pas à la terminer. Donc je suis monté la voir pour lui demander si elle pouvait m’aider à la terminer. C’est inspiré du jour où nous nous sommes rencontrés il y a des années et de la beauté de ce moment. Donc je me suis dit qu’elle pourrait m’aider sur le sujet ! Elle m’a juste aidé sur quelques paroles, je ne pouvais pas vraiment la créditer alors je lui ai acheté un cadeau à la place ! Je lui ai dit « merci, voilà une paire de bottes! ».
Haha, c’était peut-être la meilleure chose à faire!
Gaz Coombes : Oui, je pense, ça a marché !
Il y a également une chanson qui s’appelle ‘The English Ruse’, parle-t-elle de politique, de pouvoir ?
Gaz Coombes : Ce n’est pas sur la politique, c’est peut-être plutôt un moment de désillusion, de se sentir complètement déconnecté des figures publiques ou de ceux qui sont au pouvoir, personnellement je n’ai aucune connexion avec eux, aucune compassion. C’est un drôle de sentiment quand tu te dis « merde, tiens je vais juste faire ma valise et partir ailleurs ». J’en ai un peu marre de l’Angleterre en ce moment.
Oui c’est un sentiment que les gens pourraient avoir en France avec l’actualité.
Gaz Coombes : Oui, tu peux voir ça en France quand on voit des mouvements d’extrême droite remonter, l’approche nationaliste. C’est ridicule de blâmer les immigrants, tout le monde a le droit à une meilleure vie. En Angleterre on a quand même tous beaucoup de chance, ce n’est pas un pays du tiers monde et on vit assez bien. Donc si vous voulez avoir une meilleure vie, venez dans notre pays, entrez, vous êtes les bienvenus ! (S’adressant à tous, ndlr) Ayez une meilleure vie, quittez les guerres ou les problèmes qu’il y a chez vous. Je ne comprends pas l’attitude nationaliste de certains gouvernements et le rapprochement de l’extrême droite. Mais je suis conscient d’avoir de la chance de vivre dans un pays qui n’a pas un ton guerrier, mais ça ne m’empêche pas pour autant d’avoir des moments de frustration. C’est de cela que parle cette chanson. Au quotidien je ne passe pas mon temps à m’inquiéter constamment de tous ces problèmes, c’est juste un moment, comme le sont en fait toutes les chansons de l’album. Ce sont des moments, des instantanés dans le temps.
Et à travers ces différents thèmes, penses-tu te mettre à nu, livrer plus de toi-même avec ces chansons ?
Gaz Coombes : Oui je le pense. En avançant j’apprends à écrire de meilleures paroles, je n’aurais pas la prétention de dire que je sais tout et écrire immédiatement sur ce que je veux. Mon écriture s’améliore par le travail. J’ai aimé écrire les paroles de ce disque et sur les précédents aussi, mais je progresse. Donc je pense que ça me permet d’être un peu plus honnête, et je n’ai peut-être pas peur d’être honnête émotionnellement également, et d’explorer les côtés sombres de la vie. Et je pense également que c’est ici un mélange de lumière et d’obscurité, il y a des moments de joie, d’euphorie, de bonheur et des moments plus sombres, de troubles. Mais à mon avis c’est ce qui rend la vie si belle, on ne peut pas avoir l’un sans l’autre.
Peux-tu me parler de l’enregistrement de cet album, tu l’as fait à la maison, c’était plus confortable pour toi ?
Gaz Coombes : J’aime mon studio et le fait qu’il ne soit pas parfait, qu’il y ait des limitations. Il faut que je travaille pour obtenir ce que je veux. Il y a quelque chose dans les studios professionnels que je trouve un peu réconfortant parfois, et c’est trop facile d’avoir le son désiré très rapidement, tout marche à merveille, avec des dizaines de micros très chers. J’aime travailler dans un environnement où il y a des limitations, où tout ne marche pas parfaitement. J’ai un vieux matériel vintage un peu bancal qui ne marche pas toujours bien, bruyant aussi… Toutes ces choses font partie du charme de la création musicale. Quand j’écoute de la musique je veux entendre quelque chose de vrai, qui ne soit pas manipulé et bourré d’effets juste pour le rendre plus beau et brillant. C’est l’imperfection qui rend ça cool.
Et tu joues aussi presque tous les instruments sur cet album, c’était quelque chose de compliqué à faire ?
Gaz Coombes : Pas vraiment, c’était plus une nécessité pour les chansons et surtout le fait d’enregistrer mes idées rapidement. Parfois je voulais que ce soit fait vite alors que j’avais ces idées encore en tête, je décidais donc de le faire tout de suite au lieu d’appeler quelqu’un et d’organiser une session et toute la logistique que ça implique. Le temps d’en arriver là je me serais dit « Je voulais enregistrer quoi déjà ? ». J’ai donc fini par en jouer pas mal tout seul, mais ça ne me posait pas de problèmes. Que ce soit moi ou n’importe qui d’autre ça n’avait pas vraiment d’importance. J’ai invité Loz Colbert, le batteur qui joue avec moi en tournée (et batteur de Ride, ndlr), à venir jouer chez moi sur trois ou quatre morceaux. Il y a aussi d’autres personnes sur le disque, mais c’est principalement moi en effet.
J’imagine que d’une manière plus générale, l’écriture et l’enregistrement en solo sont totalement différents de ce que tu as connu avec Supergrass ?
Gaz Coombes : Oui, énormément. Quand tu es dans un groupe tu es dans une pièce avec eux, tu improvises et tout le monde travaille les idées ensemble, mais tout seul je pouvais débuter avec n’importe quel rôle, sur un sample, à la batterie, sur un riff de guitare, et commencer à partir de là. J’entends les chansons dans ma tête et il s’agit surtout de les retranscrire. Mais mon but était vraiment de faire ça aussi instinctivement que possible, sans trop réfléchir.
Quand je faisais de la musique ça m’arrivait aussi, sauf que je n’ai souvent pas été capable de retranscrire les miennes !
Gaz Coombes : Ca m’arrive beaucoup à moi aussi tu sais et alors le monde s’écroule autour de moi. Je me dis alors « Oh! C’est terrible! Je suis nul, je n’y arriverai pas!” mais le lendemain tu réessaies et ça arrive comme ça.
Est-ce que tu penses avoir retrouvé aujourd’hui un plaisir d’écrire que tu aurais pu avoir perdu à la fin de Supergrass ?
Gaz Coombes : Oui ça ne fait aucun doute. Ça n’était pas fun à la fin de Supergrass, je ne prenais plus de plaisir à écrire. On n’était plus sur la même longueur d’ondes et c’était devenu un combat d’écrire. Après ça, avec mon premier album et jusqu’à celui-ci je sens que je traverse de vrais élans dans l’écriture et l’enregistrement. Je pense que ça m’a soulagé, après avoir écrit le premier album. Après des titres comme ‘White Noise’ ou ‘Hot Fruit’ je me suis demandé si je serais capable d’en écrire d’aussi bons encore. On doute toujours, je me demande toujours si je peux continuer et faire mieux. C’est là qu’il se passe en général quelque chose, j’ai écrit ‘Buffalo’, puis ‘20/20’ et je me suis dit « oui, c’est mieux, il y a une amélioration, ça évolue d’une belle manière ». Et avec ça tu gagnes en confiance.
J’imagine que ce n’étais pas facile de se lancer en solo après presque 20 années passées dans un groupe ?
Gaz Coombes : Oui, c’est un challenge, mais comme je le disais auparavant il s’agit d’évoluer et de changer. En sortant de Supergrass je savais que je voulais faire quelque chose de différent, ne pas faire du sur place et vivre de l’héritage de ce que j’avais fait par le passé. Je crois que c’est très dangereux. Quand je serai vieux, en chaussons, et que j’aurai raccroché ma guitare je pourrai regarder en arrière avec plaisir à l’époque de Supergrass. Mais aujourd’hui je veux continuer à changer, évoluer et essayer de nouvelles choses. Certaines fonctionnent, d’autres non, mais c’est important de continuer à aller de l’avant et évoluer. C’est ce que j’essaie de faire.
J’imagine que tes tournées en solo sont également différentes de celles avec un groupe ? D’ailleurs tu as un groupe en tournée ?
Gaz Coombes : Oui j’ai un groupe avec 5 membres, des types super ! Ils ont été capables de reproduire ce que j’ai fait sur le disque, ça s’est vraiment très bien passé. Ils bossent très dur et je les fait travailler dur aussi ! Mais la récompense est belle ! Et en plus on s’entend très bien, donc j’adore ça.
Tu es également passé des grandes salles avec Supergrass à des lieux plus intimes ou des premières parties, ça te fait quoi ?
Gaz Coombes : C’est super et je pense que c’est ainsi que ça devrait être. Quand je me suis lancé en solo je savais que je voulais repartir du début, et on part toujours d’en bas. Je ne m’attendais pas à reprendre les choses là où je les avais laissées, et que tous les fans de Supergrass se mettent subitement à accourir vers moi. Ça ne marche pas comme ça. Donc je savais que je ferais des salles de 300/400 personnes, parfois moitié pleines, c’est parfait, ça me convient. Ça aide à donner du caractère à mon projet, à le construire. Je pense que j’ai envie de me construire une fanbase. Je pense que le plus gratifiant c’est lorsque de nouveaux fans viennent me voir en me disant « Je ne connaissais pas Supergrass mais j’adore ton disque !». Ça fait vraiment plaisir à entendre parce que ça veut dire que ça fonctionne. Tout cela ‘valide’ mon nouveau départ.
Pour finir je voulais te poser la question suivante : nous vivons une époque où plein de vieilles gloires des années 90 se reforment pour des tournées ou plus, comme Ride par exemple, un groupe d’Oxford ! Qu’est-ce que tu penses de tout cela ?
Gaz Coombes : Je suis excité par le comeback de Ride et de pouvoir le voir jouer à nouveau. C’est l’un des premiers groupes que j’ai vus à Oxford quand j’étais gamin donc ce sera super de les voir. Ils ont de super chansons. Ça fait un moment qu’ils ont arrêté et beaucoup d’eau a coulé sous les ponts, donc je crois qu’ils méritent de montrer à tous combien leur musique était bonne. Ensuite tout dépend du groupe vraiment !
Propos recueillis à Paris le mercredi 17 décembre 2014.
Un grand merci à Gaz Coombes, Anthony et Florian de Yalta, ainsi qu’à toute l’équipe de Caroline Records. Crédits photos : Rankin
Pour plus d’infos :
Lire le chronique de ‘Here Come The Bombs’ (2012)
Chroniques de Supergrass :
Diamond Hoo Ha (2008)
Road To Rouen (2005)
Life On Other Planets (2002)
I Should Coco (1995)
Supergrass, l’Olympia, Paris, mardi 8 avril 2003
http://www.gazcoombes.com/
https://www.facebook.com/GazCoombes
http://twitter.com/gaz_coombes