Brisa Roché a pendant longtemps évoqué pour nous la sophistication, avec une image très ‘branchée’, par son look, son côté mystérieux et sa musique entre influences Jazz ou Folk psyché. Mais c’est avec un disque résolument Rock qu’elle nous fait vibrer aujourd’hui, au point d’aller la rencontrer pour parler de la genèse de ‘All Right Now’ et surtout constater qu’elle est une artiste aussi simple et sympathique que complète…
Pour commencer je voulais tout d’abord te féliciter, parce que j’ai découvert en te voyant pour la 1ère fois sur scène l’an dernier que tu étais enceinte… Alors, garçon ou fille ?
Brisa Roché : C’est une fille !
Et tu penses que ça va changer des choses par rapport à ta carrière ?
Brisa Roché : Je fais le maximum pour que ce ne soit pas le cas, mais c’est vrai que c’est prenant ! En tout cas depuis le début de ma grossesse j’ai tout fait pour que l’album se fasse, les concerts aussi… parce que si l’album allait être un échec je ne voulais pas penser que ça puisse être lié à ça. D’ailleurs j’ai vraiment tout fait jusqu’au bout, au concert dont tu parles au Divan du Monde j’étais presque enceinte de 8 mois, j’ai accouché mi-novembre ! Il ne m’arrive jamais de refuser des trucs, mais là je viens d’annuler juste des « petites » choses – heureusement – parce que je me rends compte que j’ai par moments l’impression que je vais tomber dans les pommes !
Bon je suis venu pour te parler de l’album quand même!
Brisa Roché : Oui, super !
Je te rencontre surtout à l’occasion de la sortie d’une nouvelle édition de ton album avec un EP de remixes, alors comment est venue l’idée, ou comment s’est présentée l’opportunité de faire ces remixes ?
Brisa Roché : En fait depuis mes débuts, il y a toujours eu des gens qui m’ont dit « Ah ! j’aimerais bien faire un remix », mais sans que ça n’arrive jamais réellement. Donc cette fois-ci, sachant que quelques mois allaient se passer entre la sortie du disque et la tournée je voulais quand même qu’il y ait un peu d’actualités entre temps. Et comme j’avais rencontré plein de gens qui m’avaient dit « oh oui, je veux faire un remix ! » cette fois-ci j’ai juste harcelé tout le monde afin que ça se fasse vraiment. Et puis je trouvais ça ludique.
A quoi peut-on s’attendre, des titres plus ‘Dance’ ?
Brisa Roché : Il y a 4 remixes. Deux sont très Electro, je pense que tu peux plus ou moins danser sur ces deux-là ! De toute façon le morceau, ‘Sweat King’, est dansant à l’origine. Il y a aussi un remix Reggae. J’avais fait auparavant un morceau Reggae avec Bost & Bim, c’était une reprise de la chanson ‘American Boy’ d’Estelle. On avait fait ‘Jamaican Boy’, c’était super fun ! Donc les mêmes personnes ont fait le remix Reggae de l’album. Quant à celui du titre ‘Penetrate’ c’est Sliimy qui l’a fait, avec une voix aigue, falsetto, un peu comme Prince, c’est fun !
Qu’est-ce que tu penses des remixes en général, c’est quelque chose que tu aimes ?
Brisa Roché : En général non, ce n’est pas une chose à laquelle j’accroche trop. Mais j’aime bien l’idée de recyclage, qu’un morceau ait plusieurs vies. Par exemple quand j’écris des textes, parfois des amis m’en demandent, donc j’envoie tout, qu’ils aient servi ou non, et ce qui est curieux c’est que les gens composent des morceaux très différents, qui n’ont rien à voir les uns avec les autres, avec les mêmes textes. Ce sont des mondes complètement à part, ça j’adore ! Ca pourrait être comme ça pour des remixes, mais comme c’est en général très Electro, je préfère pouvoir poser ma voix sur une base électronique et qu’après des gens la remixent plutôt que de transformer mon son qui n’est pas à l’origine dans cette veine là. Ça m’a étonné qu’ils n’aient pas mis plus de reverb sur certaines choses, c’est resté assez tonique, ce qui est bien, mais d’habitude c’est un effet qui marche bien sur les voix féminines dans ce style là!
Revenons à l’album. On t’a souvent collé de nombreuses étiquettes, du Jazz à la Folk un peu psychédélique, en tout cas ce nouveau disque est résolument Rock, en l’écoutant on se dit que c’est quelque chose dont tu avais vraiment envie, alors pourquoi cet album Rock ?
Brisa Roché : Les versions live de chacun de mes projets ont toujours été plus Rock. L’idée derrière cet album était surtout de profiter de mon groupe, parce qu’on venait de faire une longue tournée pour l’album précédent et on était très soudé, en symbiose. Donc puisque c’était ça la racine de l’album, il était évident qu’il allait être plus Rock, c’est le côté ‘live’ en fait. On a composé et enregistré les morceaux live ensemble, ce qui est assez rare aujourd’hui puisque les gens enregistrent piste par piste, et avec quelques clics de souris ils changent des choses, ils raffinent, ils éditent, etc. Là l’idée n’était pas que ce soit parfait mais que ce soit émotif et vivant, que ça retranscrive notre dynamique ensemble. Donc là il n’y a pas de clics, de coupes, ce sont de vraies prises live. Evidemment par nature c’est plus Rock. Et puis il faut ajouter qu’on sortait aussi des festivals d’été, on avait dansé, on avait fait la fête et on avait plein d’énergie. Ensuite j’ai ramené tout mon groupe chez mes parents en Californie du Nord pour composer. Eux étaient très motivés d’être là, et j’étais assez détendue dans cet endroit là. Ca m’a peut-être permis de me libérer un peu plus et d’utiliser cette voix grave qui donne aussi à l’album cet aspect Rock. Il y a un côté presque rigolo en fait, presque second degré, même si ma musique n’est pas au second degré, de se servir de cette voix un peu « sérieuse » (elle prend une grosse voix, ndlr), presque autoritaire, il faut être détendue pour le sentir, et je l’étais, du coup c’est venu naturellement. On avait envie de danser aussi, je dansais pendant la composition. Même si j’aime beaucoup de musiques différentes, le Jazz par exemple, c’était une expérience très Punk Rock pour moi, vraiment. Pareil pour la Folk, ça se croise bien avec l’esprit Rock. Au lieu de dire que j’ai tout vécu d’une façon Folk, Jazz ou psyché, je pourrais dire que j’ai vécu toutes les musiques d’une façon Rock.
Et j’imagine que la composition en groupe était quelque chose de nouveau pour toi aussi. Alors ça s’est passé comment, tu arrives avec tes textes, tes chansons, et le groupe adapte ?
Brisa Roché : En fait c’était assez magique. On n’avait jamais composé ensemble donc on ne savait pas comment ça allait se passer. J’ai prié très fort pour que ça se passe bien parce que j’ai emmené tout le monde chez mes parents. J’ai dû construire un studio à énergie solaire, louer un camion pour récupérer le groupe à San Francisco, remonter la côte pendant 7 heures… Tout un bordel d’organisation et d’investissement qui reposait sur le fait que l’on compose ensemble. On ne le savait pas encore, mais je le sentais. Avant d’installer le studio je me suis empêchée de composer toute seule parce que je voulais vraiment que le groupe soit investi dès le début. J’avais seulement composé 2 morceaux, pas plus. On a fait tout le reste ensemble. J’avais mes textes, c’était le seul élément très structuré, avec les couplets, les ponts, les refrains. Une fois dans le studio, moi je n’avais pas d’instrument dans les mains mais mes textes, j’étais au centre avec le groupe tout autour. Je lançais alors un sujet, ou une métaphore pour que tout le monde imagine ce que ça veut dire et commence à jouer dans la cacophonie, le chaos ! Parce que je voulais que tout le monde improvise sur le thème que j’avais décidé, qui n’avait rien à voir avec les textes que j’avais dans la main, c’était juste un thème comme ça. Donc chacun jouait à fond ce que ça lui inspirait, moi j’écoutais tout, et puis physiquement, quand j’entendais la personne qui m’intéressait le plus, je l’indiquais aux autres et à ce moment ils trouvaient leurs arrangements pour se caler sur cette personne jusqu’à ce qu’une boucle soit formée. Pendant que la boucle tournait je regardais mes textes et franchement c’était très facile de trouver celui qui convenait rythmiquement et émotionnellement. Je chantais très fort, sans micro, pendant la boucle, et ensuite le groupe venait se caler sur mon chant. C’était très intéressant comme façon de travailler. Il y avait rarement des moments où il fallait qu’on arrête pour chercher.
On avait aussi des instruments inhabituels parce que j’ai dû composer un studio sur place : le clavier de ma petite sœur, la batterie d’un copain, une basse louée, et ma guitare à moi. On était donc aussi influencé par les sons, comme ce clavier qui avait un son des années 80… assez terrible ! D’ailleurs on voulait un clavier identique pour l’enregistrement mais celui que l’on a utilisé était un modèle un peu plus récent. On se disait qu’on aurait le même son, mais non, ça n’était pas exactement la même chose. On a été déçu, parce que ça sonnait tellement ‘cheap’ – mais dans le bon sens – on voulait vraiment ça.
Donc à l’arrivée c’est vraiment un album de groupe ?
Brisa Roché : Oui, complètement.
Ensuite vous avez enregistré tes morceaux dans une église, pourquoi pas un studio ?
Brisa Roché : C’était un studio, un studio dans une église ! Je voulais travailler avec Henry Hirsch avec qui j’avais mixé l’album précédent et entretemps il avait ouvert ce studio dans une église gothique, donc c’était juste un heureux hasard, parce que c’était quand même magnifique de jouer dans cet endroit, avec juste la lumière des vitraux.
Et il y avait peut-être aussi une reverb naturelle ?
Brisa Roché : Je ne sais pas si ça a vraiment eu un grand effet sur le son, mais en tout cas ça nous a gardé coupés de la vie quotidienne, protégés des jugements extérieurs, vu que nous avions en plus composé avant chez mes parents, perdus dans la montagne. Cette église c’était aussi un peu une autre planète. On est resté dans notre cocon !
Et c’est toi qui a produit l’album, tu n’avais pas envie de faire appel à un ingénieur du son ?
Brisa Roché : Si en fait. Dans l’église l’ingénieur du son était Henry Hirsch, il était là, il a fait des prises de son. Mais quand on dit produire, ça veut aussi dire tout organiser, vérifier que tous les instruments sont là, que tout le monde a à manger, est payé. J’ai fait ‘travel agent’ pour le groupe. Déjà, je suis le « chef » du groupe, et je trouve ça sain, parce qu’un groupe marche mieux quand il y a un leader. J’aurais pu avoir tout ça sans ‘produire’, mais quand tu produits tu dois prendre beaucoup de décisions qui ont un impact sur l’album, j’ai donc composé, arrangé, j’étais là pendant tout le mixage, l’argent aussi a un effet sur la production… C’est global.
Est-ce que tu penses que du fait que cet album soit plus puissant, tu as pu plus déployer ta voix ? Tu parlais des graves, mais dans les aigus aussi je trouve que c’est plus poussé sur certains morceaux.
Brisa Roché : Oui, déjà c’est le premier album où je chante réellement. C’est vrai que les enregistrements sont très crispants, notamment sur les deux premiers albums où il y avait un parti pris plus intimiste et j’étais trop crispée pour chanter. Cette fois-ci j’étais détendue et les morceaux étaient vraiment faits pour être chantés. Mais tu as raison, puisque j’ai utilisé une voix grave, ça m’a aussi confortée pour utiliser une voix pure et aigue, parce que ça n’était pas trop ‘girly’, féminin, parce qu’il y avait une contrepartie. Si j’avais juste fait un album avec une voix aigue, ç’aurait été perçu comme Joan Baez Ou Joni Mitchell, je ne sais pas, un truc Folk et féminin je crois.
Sur ton 1er disque tu avais 2 titres en Français, c’est quelque chose que tu aimerais refaire ?
Brisa Roché : De temps en temps j’en fait. J’avais composé deux morceaux en Français pour cet album au cas où, mais finalement je pense que je ferai soit tout un projet en Français, surtout des duos, des choses comme ça, ou sinon dans des collaborations avec d’autres personnes. Mais mélanger Anglais et Français sur un album, ça je ne le sens pas finalement.
Et as-tu choisi la France comme pays d’adoption, tu te sens chez toi ici aujourd’hui ?
Brisa Roché : Non, pas du tout, mais c’est ça que j’aime, me sentir comme une étrangère. C’est ça ce qui est intéressant, la nouveauté, les challenges, les choses à apprendre. Et puis se sentir un peu en conflit avec son environnement , ça permet de mieux se définir en tant que personne, par rébellion peut-être. Et puis ça te libère aussi parce que la France est beaucoup plus rigide que les Etats-Unis en terme de façon de vivre et je n’aimerais pas être née Française. Enfin quand tu y es né tu ne t’en aperçois pas forcément, mais venant de l’extérieur je le remarque et du coup on ne m’oblige pas à être comme ça, et en plus je suis une artiste donc on me laisse tranquille avec ma façon de vivre.
En dehors de la musique tu peins et tu fais tes propres vêtements, c’est quelque chose de très important pour toi aussi?
Brisa Roché : Par vagues, oui. Là, actuellement, je n’ai pas eu beaucoup de temps pour faire ça. Je ne m’occupe pas trop de mes vêtements en ce moment après mon accouchement, mais en général dans la vie oui, la mode m’intéresse beaucoup. Et puis se sublimer pour la scène, graphiquement, je trouve ça important parce que la scène ce n’est pas quelque chose de banal. Je pourrais y aller en jean et en T-Shirt, mais ils seraient investis de quelque chose de spécial pour moi dans ce cas. Sinon oui, j’aime bien coudre, créer. J’ai quelques idées pour les tenues de la tournée et j’impose un certain style à mon groupe aussi parce que le côté visuel est important. Et puis je trouve que même humainement, l’acte de mettre un uniforme pour faire quelque chose est un rituel positif. Tu te mets dans la peau de ce que tu vas faire, comme si tu passais une porte.
Et sinon oui, je peins… Enfin, pas beaucoup récemment non plus! En revanche je viens de dessiner pour la première fois depuis longtemps pour un magazine de dessin qui m’a contactée. Le thème c’était ‘Les Temps Modernes’. J’avais plein de tableaux sur le sujet, je leur ai envoyé des photos et ils m’ont dit « Non, non… on veut des dessins, pas de la peinture! ». Là je me suis OK, c’est quoi la différence entre dessin et peinture? Parce qu’il y a plein de choses entre les deux, comme les pastels à l’huile, les feutres épais, les crayons de couleurs que tu humidifies et qui donne un résultat comme l’aquarelle. Donc j’ai cherché la définition exacte qui dit que pour le dessin tu n’es pas sensé avoir de la couleur en fait, juste des lignes en noir et blanc. Donc j’ai fait des dessins assez grands, un peu dans le même genre de graphisme que celui que tu peux voir sur mon CD (sur le disque lui-même, il vous faudra donc l’acheter pour le voir! ndlr) et que j’avais dessiné à l’origine sur la grosse caisse de mon batteur pour l’ancienne tournée. Donc ce sont des gens vus d’en haut avec des ordinateurs portables sur leur dos comme des ailes, et au milieu un personne donc le visage est juste fait d’une bouche ouverte avec des ordis portables. Mais cette histoire de dessiner au lieu de peindre c’était assez curieux parce j’ai voulu remplir pas mal d’espace et il a fallu le faire juste avec un crayon. Ca a pris du temps, d’abord j’étais agacé mais j’aime bien ces contraintes imposées.
Propos recueillis le mercredi 9 mars à Paris.
Un grand merci à Brisa Roché, ainsi qu’à Xavier Chezleprêtre d’attitude.net pour avoir rendu cette interview possible.
Pour plus d’infos:
Lire la chronique de ‘All Right Now’
Voir la galerie photos du concert au Divan du Monde, le jeudi 23 septembre 2010
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