La voici enfin, cette interview tant convoitée! N’ayant pu rencontrer Anna Calvi à l’époque de son premier album en raison de son planning très chargé, nous avons pu cette fois-ci nous entretenir avec elle à l’occasion de la sortie de son nouvel opus, ‘One Breath’, qui atterrit dans les bacs le 7 octobre. Un disque fort et nuancé, à l’image de son talent, dont elle nous dévoile la genèse et les détails tout au long de cet entretien. Et si vous n’aimez pas lire – et que vous êtes anglophones – vous pouvez aussi écouter la version audio de l’interview en bas de cette page !
Ma première question a probablement été sur les lèvres de nombre de tes fans qui t’ont vu sur ta précédente tournée : comment va ta main ? A-t-elle guéri ?
Anna Calvi :Oui, ma main va bien maintenant, parce que j’ai passé à peu près un an sans jouer. Le problème c’est que je n’avais jamais l’occasion de la laisser se reposer. Concert après concert, le fait de jouer tous les jours maintenait l’inflammation. Mais j’ai ensuite pu lui donner le temps nécessaire pour guérir, il n’y a plus à s’en inquiéter.
Ton as enregistré ton album en France, au Black Box studio. Beaucoup de très bons groupes ont enregistré là-bas, ce lieu a-t-il quelque chose de particulier ?
Anna Calvi : Oui, c’est dans la campagne, c’est un très bel endroit entouré de champs. C’était bien de pouvoir rester concentrée et de ne pas avoir de distractions venant de l’extérieur. Et puis j’aime beaucoup les propriétaires de ce lieu qui y travaillent aussi. Et comme j’y étais déjà allée avant je m’y sentais plus à l’aise, au lieu d’aller dans un endroit complètement nouveau.
C’est toujours Peter Deimel qui s’en occupe ?
Anna Calvi : Oui, il est charmant.
J’ai lu que tu étais végétarienne, ce n’était pas trop dur de t’accoutumer à la nourriture locale, au milieu de la Vallée de la Loire ?
Anna Calvi : En fait la compagne de Peter Deimel fait la cuisine pour les gens qui viennent enregistrer, et je dois dire que ça fait des années que je n’avais pas aussi bien mangé, la nourriture était excellente ! Ils appellent cet endroit « Fat Box » parce que tout le monde y mange tellement de bonnes choses, les plats et le vin !
Tu as enregistré ton nouvel album avec John Congleton, peux-tu me parler un peu de ton travail avec lui et me dire comment tu l’as connu ?
Anna Calvi : Nous nous sommes connus par le biais d’un ami commun qui était fan de mon premier disque. Il avait donc hâte de me rencontrer, il était enthousiaste. On a enregistré d’abord une reprise ensemble, juste pour voir ce que ça donnerait et comment nous pourrions travailler ensemble. J’ai trouvé ça très facile de travailler avec lui, c’est pour ça que je l’ai choisi. J’aime le fait que tous les disques qu’il a produits sont différents, ils ont chacun son empreinte, il les laisse respirer et devenir ce qu’ils sont censés être. C’était très important pour moi parce que je ne voulais pas que quelqu’un débarque et change mon son. Je voulais passer à autre chose après le premier album, mais je voulais décider de quelle manière cela allait se faire et ne pas avoir quelqu’un d’autre qui me dise comment le faire. Donc ce fut une bonne collaboration.
Donc l’enregistrement s’est passé différemment de celui du premier album j’imagine ?
Anna Calvi : J’ai enregistré le premier album sur une période de trois ans alors que celui-ci a pris 6 semaines. Il s’agissait plus d’avoir le bon instinct sur ce qui fonctionne ou non, et d’être moins obsédée par le perfectionnisme, de tourner en rond en réenregistrant continuellement les choses, parce qu’à la longue la façon dont ce premier disque avait été fait était devenue un peu malsaine. Puisque je n’avais pas de limite de temps, comme beaucoup avait été fait avant que je sois signée sur un label, j’ai en quelque sorte emmené mes chansons un peu trop loin. Mais maintenant j’ai l’expérience du studio, et ce qui fait qu’un enregistrement touche les gens, ce ne sont pas vraiment les tous petits détails mais quelque chose de plus large.
Tu décris ‘One Breath’ comme un disque très personnel, pourtant le premier album sonnait déjà à mon avis très personnel, donc peux-tu me dire sous quels aspects celui-ci l’est plus ?
Anna Calvi : Je pense qu’il est plus réfléchi. Avant de le commencer je me suis questionnée sur ce que je voulais dire et exprimer. Et l’année pendant laquelle je l’ai écrit a été assez tumultueuse, donc ce qui se passait dans ma vie s’est naturellement retrouvé dans les chansons d’une manière qui ne s’était pas vraiment produite sur le premier disque. Le challenge pour moi était comment parler de ces choses qui m’arrivaient d’une façon imaginative et pas littérale du genre « ça m’est arrivé, et ça aussi ». Il s’agissait plus de penser à ce que ça signifiait, dans un cadre plus large, le pourquoi de tout cela et comment ça m’a fait réfléchir sur ma vie en général. C’est ce que je voulais mettre sur le disque.
J’ai lu que cet album a été écrit en réaction à une dépression, penses-tu que cela est lié à ce succès soudain et très grand que tu as dû gérer, ou s’agit-il simplement de raisons personnelles ?
Anna Calvi : Ca, c’était une déformation de mes propos de la part du NME !
Ah ! Oui, en effet j’ai lu ça dans le NME !
Anna Calvi : Ils aiment bien glorifier et tirer un peu les choses vers les extrêmes ! Pace que ce n’est pas ce que j’ai dit. Le disque parle en fait bien plus d’espoir et de se reconstruire après être passé par une période de transition ; de changer pour s’adapter à quelque chose, parce que la chanson ‘One Breath’ parle d’un moment où je devais dire à quelqu’un quelque chose d’extrêmement important. Ça parle de l’inspiration que j’ai prise avant de le dire. C’est le moment où tu te trouves sur le fil du rasoir, n’importe quoi peut arriver, il y a vraiment un espoir que ce qui est sur le point d’arriver va changer ta vie, peut-être pour le mieux. Dans mes chansons je ne le dis pas explicitement, mais la musique le suggère. J’ai toujours voulu que les paroles donnent la moitié de l’histoire et que la musique et ma manière de chanter dévoilent le reste.
On peut également supposer que ta vie a pas mal changé depuis l’écriture de ton premier album, et que cela a eu une influence sur ta façon d’écrire et tes sources d’inspiration ?
Anna Calvi : Que ce soit pendant l’écriture du premier ou du deuxième album, ma vie a été plus ou moins la même. J’écrivais juste toute seule dans mon studio. J’avais les mêmes amis, rien de vraiment différent. De toute façon depuis le début je ne peux pas prédire comment les gens percevront mon travail. La seule réussite envers laquelle j’ai un certain contrôle c’est que moi je sois contente ou non du résultat et que cela reflète vraiment qui je suis et où je me trouve. Je me suis concentrée là-dessus bien plus que sur tout le reste.
Sous quelle forme ‘One Breath’ est-il différent de son prédécesseur ?
Anna Calvi : Je pense qu’il y a un peut-être spectre d’émotions et de couleurs plus large sur ce disque. J’ai essayé de rendre ma voix plus dynamique, de créer de l’intensité en expérimentant, sans avoir besoin de chanter toujours fort comme je le faisais avant. Il y a beaucoup de force dans le silence et le fait de chanter calmement. Et je voulais trouver un son plus littéral et sauvage pour la guitare, qu’elle intervienne surtout au point culminant émotionnel des chansons, au lieu d’être un instrument qui accompagne juste le morceau en arrière-plan. J’ai également plus joué avec les textures, essayé de trouver d’autres modes d’expressions à travers les changements d’accords, au lieu de faire de la guitare rythmique.
Est-ce que l’écriture de ce disque a pris du temps après la longue tournée de ton premier album ?
Anna Calvi : J’ai écrit certains textes en tournée et je me mettais des notes sur la sonorité que je voulais que prenne ce disque – différente du premier. Mais les chansons ne sont vraiment arrivées qu’après la tournée.
Tu joues toujours avec Daniel et Mally ?
Anna Calvi : Oui.
Quel rôle jouent-ils dans la composition de la musique, ou peut-être aussi des paroles ?
Anna Calvi : Ils n’y participent pas. Mais ce sont d’excellents musiciens et quand je suis en studio je me sens très à l’aise entre leurs mains. Ils viennent avec de très bonnes idées pour jouer leur partie et ils sont ouverts à mes suggestions… Il y a un respect mutuel entre nous.
John Baggott joue également sur cet album, peux-tu me parler de lui ?
Anna Calvi : Il joue avec Portishead et Massive Attack. Je te parlais de trouver de nouvelles textures avec les accords, avec lui j’ai pu faire ça en ajoutant un orgue et des synthés. C’était super de travailler avec lui, c’est un pianiste accompli.
As-tu eu besoin de repenser ta façon de jouer de la guitare pour faire passer toutes ces émotions que tu voulais véhiculer sur le disque ?
Anna Calvi : Jusqu’à un certain point, oui, puisque je voulais faire ressortir un côté plus sauvage de mon jeu. Le disque repose sur l’équilibre entre la beauté et la laideur, ils se combattent l’un l’autre et c’est ce que je voulais entendre dans ma voix et dans mon jeu de guitare. Cette fois-ci j’ai donc voulu pousser l’aspect sauvage plus loin que sur le premier disque.
Pourquoi es-tu partie mixer l’album à Dallas ensuite ?
Anna Calvi : C’est là que se trouve le studio de John (Congleton).
Parlons un peu des chansons. ‘Sing To Me’ est à mon humble avis l’un des plus beaux moments de l’album, j’ai l’u qu’il s’agissait d’un hommage à Maria Callas, est-ce correct ?
Anna Calvi : Oui, l’idée c’est que la voix de quelqu’un peut d’une certaine manière te sauver, que l’écouter peut être une expérience très puissante. Avec une telle voix tu te sens apaisé.
‘Eliza’ fut le premier single dévoilé. Qui est Eliza ? De quoi parle ce titre ?
Anna Calvi : Eliza, c’est quand tu vois quelque chose chez quelqu’un d’autre, une force et une beauté, une part de toi que tu te rends compte avoir peut-être perdu, et de trouver un moyen de s’y reconnecter, retrouver cette force en toi-même.
‘Piece By Piece’ est un morceau musicalement très intéressant parce qu’il est assez différent du reste – et de ce que tu as fait par le passé – qu’est-ce qui t’a inspiré pour cette chanson ?
Anna Calvi : Cette chanson parle des souvenirs, même si tu veux t’y accrocher ils vont finir par s’effacer. Au fur et à mesure que la chanson avance, chaque pièce du souvenir se désagrège pendant que le souvenir s’estompe.
Tu voulais essayer quelque chose de musicalement différent sur ce morceau?
Anna Calvi : Ca convenait juste au thème de la chanson, je n’essais pas de copier qui que ce soit d’autre.
Ce n’est pas ce que j’essayais de dire!
‘Cry’, comme le suggère son titre, est une chanson très émotionnelle, entre ses couplets calmes et ses soudaines explosions de guitare. Que voulais-tu exprimer à travers cette chanson?
Anna Calvi : L’idée de cette chanson, c’était de vouloir ressentir de la passion de la part de quelqu’un d’autre, de quelque manière que ce soit. Une sorte de représentation physique de l’amour de l’autre pour toi. C’est une chanson triste, un cri à l’aide. Quoi que ce soit c’est une sorte de réaction envers l’autre.
En revanche, ‘Love Of My Life’ est bien plus Rock que le reste des chansons. Avais-tu cette intention de mettre plusieurs couches sur l’album, entre les morceaux portés par la guitare et les moments très calmes comme le dernier titre, ‘The Bridge’?
Anna Calvi : Je pense que ça revient à ce que je disais précédemment, que l’album offre un spectre d’émotions et de couleurs, un sentiment de beauté et de laideur. Il y a des passages très orchestrés, d’autres calmes mais juxtaposés avec quelque chose de brutal. La guitare de ‘Love Of My Life’ parle d’un désir fiévreux pour quelqu’un qui est si dément et sauvage que cela s’entend dans la musique. Chaque chanson a une sonorité particulière en fonction de l’histoire qu’elle raconte. C’est ma façon de raconter des histoires à travers la musique. Je sais que le titres sont différents les uns des autres, ce qui ne rend pas l’ensemble décousu à mon avis, ils prennent leur sens en fonction de leurs histoires.
Tu parlais auparavant de ta voix. Penses-tu que l’expérience de la scène après une longue tournée t’as donnée plus confiance pour essayer des choses différentes avec ton chant?
Anna Calvi : Oui, je pense parce que j’ai tellement d’expérience maintenant en tant que chanteuse que c’est devenu naturel pour moi de vouloir pousser ma voix plus loin. J’ai le sentiment de pouvoir explorer et découvrir ce que cela signifie de chanter calmement, cela comporte à la fois de la force et de la vulnérabilité, tout en étant quelque chose de très puissant.
Serait-il donc correct de dire qu’une trame lyrique parcourt ce disque ?
Anna Calvi : D’une certaine manière oui, avec ce sentiment d’être au bord de quelque chose et de se sentir instable, mais cela permet de trouver une certaine force en essayant d’aller de l’avant à travers cette période de transition dont aboutira peut-être quelque chose de plus optimiste.
Tu as été largement acclamée pour ton premier album, tu as été nominée pour un Mercury Prize, est-ce que tout cela a mis plus de pression sur tes épaules, ou au contraire rendu les choses plus excitantes pour aller de l’avant ?
Anna Calvi : Je crois que tu ne peux pas contrôler la réaction des gens par rapport à ton travail. Certains ont adoré le premier album, d’autres l’ont détesté. Le seul contrôle que j’ai est de savoir si moi je sois contente ou non du résultat. Mon idée du succès c’est d’espérer que des gens seront heureux de me voir évoluer et d’essayer de nouvelles choses, et qu’ils aient envie de faire ce voyage avec moi. Je pense que ma plus grosse déception serait que mes fans attendent de moi que je fasse la même chose d’un album à l’autre, mais je n’en ai pas l’impression. Les gens qui ont aimé mon premier disque s’attendent probablement à entendre de nouvelles choses. Tant que j’en suis satisfaite, c’est le plus grand succès que je puisse espérer. Toutes les autres choses, c’est un bonus très plaisant, mais ce n’est pas ma finalité.
Pour terminer, penses-tu que tu auras besoin de prendre une grande inspiration (‘one deep breath’) quand tu vas te retrouver sur scène pour présenter ces nouvelles chansons à ton public ?
Anna Calvi : (rires) Oui, probablement ! Ca fait tellement longtemps que je n’ai pas joué en concert que j’ai hâte. Ça va être vraiment bon de redevenir cette personne, de revivre cette expérience.
Que penses-tu du public Français, tu as eu un accueil très chaleureux à tes débuts je crois ?
Anna Calvi : Oui, j’aime beaucoup le public Français. Ils ont compris ce que je faisais au début, donc j’ai ressenti une loyauté dans laquelle je veux m’investir. Malgré le fait que ma musique soit exigeante, ils montrent une envie d’ouvrir leur cœur et de l’écouter, c’est quelque chose de formidable.
Propos recueillis à Paris le mardi 29 août 2013.
Un très grand merci à Anna Calvi, ainsi qu’à toute l’équipe de Domino Records France pour avoir rendue cette interview possible.
Pour plus d’infos :
Lire la chronique de ‘One Breath’ (2013)
Voir la galerie photos du concert à la Gaîté Lyrique, Paris, le 26 septembre 2013
Lire la chronique d’Anna Calvi (2011)
Voir la galerie photos du concert à l’Olympia, Paris, lundi 7 novembre 2011
Voir la galerie photos du Showcase Fnac Montparnasse, Paris, mercredi 15 juin 2011
Le Trianon, Paris, vendredi 22 avril 2011 : compte-rendu / photos
Le Nouveau Casino, Paris – Mardi 8 février 2011: compte-rendu / photos
Black Session #322, Paris, lundi 17 janvier 2011 : compte-rendu / galerie photos
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