Pour la première fois depuis le début de sa carrière, The Joy Formidable a quitté la route et pris du recul pour préparer son troisième album, « Hitch », enregistré dans la maison d’enfance de la chanteuse Ritzy Bryan au Pays de Galles. Un lieu teinté de souvenirs qui a influé sur le groupe, son présent, son avenir, ses chansons. C’est à l’occasion de son passage à l’AccorHotels Arena à Paris que nous avons pu nous entretenir avec le trio, backstage, juste après son concert en première partie de Placebo.
Comment s’est déroulée l’approche de « Hitch » ? Vous avez démarré votre propre label ?
Ritzy : Je pense que la plus grosse différence fut de construire notre propre studio, chez nous au Pays de Galles. C’était notre première idée quand nous avons décidé de faire un nouvel album. Nous voulions avoir notre propre espace.
Rhydian : Le fait de vouloir faire un album qui sonne ‘live’ nous a probablement poussés à faire ça, afin que les chansons soient conçues un peu plus de cette manière. C’était comme avoir un local de répétition toujours disponible où nous pouvions enregistrer n’importe quand, au lieu de courir contre la montre.
Ritzy : Oui, et de laisser tourner l’enregistrement pour capter tous les moments magiques qui se produisent quand tu es détendu, dans ton propre espace. Tu crées un environnement dans lequel tu mets en place le son que tu désires. Je pense que cet album reflète vraiment le lieu où nous l’avons enregistré. Il a l’énergie et la spontanéité de nos concerts. C’était la principale différence parce que pour les deux derniers albums nous étions toujours en tournée en même temps, donc nous enregistrions backstage, ou dans le car, dans des chambres d’hôtel. Il fallait trouver le temps comme nous le pouvions pour construire de nouvelles chansons et les enregistrer. Pour cet album je ne dirais pas que c’était plus facile, ça ne l’était en aucun cas.
Rhydian : C’était une nouvelle sorte de challenge, et c’est bon d’en avoir, il y avait des moments où il fallait vraiment se creuser la tête, avoir une vision finale, parce que nous avions écrit beaucoup de chansons. Et parfois on peut avoir l’impression d’en avoir trop pour que le résultat ait du sens. Et je crois que le fait d’être rentrés chez nous, où nous avons grandi nous à aidés à déterminer tout ça. Tu sais, il y a eu beaucoup de changements depuis le dernier album, Ritzy et moi ne sommes plus ensemble, nous avons changé de management, de label, et il a fallu gérer un tas de conneries liées au business. Par exemple ça nous a pris du temps de trouver le bon manager. Ce genre de choses est ennuyeux, mais ça a aussi joué un rôle pour faire avancer les choses.
Ritzy : L’industrie de la musique a beaucoup changée, même depuis les 7 années que nous avons passées en tant que groupe. Et je crois que juste avant de faire « Hitch » nous avions tellement ras le bol de tout ce qui fait cette industrie. Nous ne voulons pas devenir victimes de ces changements, pour nous c’est la musique qui compte. C’est pourquoi nous avons eu envie de construire un studio, pour nous concentrer sur ce qui était important. Nous ne voulions pas penser aux emails, aux termes de la sortie de l’album ou quoi que ce soit de ce genre. Nous nous sommes concentrés sur la création de notre label et faire notre album sans que personne ne vienne interférer.
Ritzy, le studio faisait partie de la maison où tu as grandi ?
Ritzy : Oui, nous avions installé des micros aux quatre coins de la maison où nous avons enregistré de différentes chansons. C’est une vieille maison à la campagne, il n’y a pas de voisins, ce qui était parfait. Il fallait juste évincer mon père, c’est la seule personne qui vit là-bas. Mais il aime la musique, donc il était heureux de nous avoir !
Rhydian : Cet endroit renferme de bons et de mauvais souvenirs, particulièrement pour Ritzy. Et ça a dû se répercuter d’une façon ou d’une autre sur le disque. Les parents de Ritzy ne sont plus ensemble.
Ritzy : Et c’était ma maison d’enfance. Quand tu écris un album c’est toujours une période émotive de toute façon. Tu traverses beaucoup de sentiments pendant le processus de création, ça génère beaucoup d’émotion. Et il faut ajouter à cela des éléments de nostalgie et des souvenirs quand tu enregistres dans un lieu où planent tous ces vieux fantômes.
Quelle est la signification derrière le nom de l’album, « Hitch » ? Un petit problème ?
Ritzy : Oui, mais ça peut vouloir dire pas mal de choses. Nous jouons avec ce mot parce que, particulièrement en raison du fait que le groupe changeait et que Rhydian et moi n’étions plus ensemble, nous aurions pu toucher le fond. A la place nous sommes parvenus à nous rassembler et à devenir plus soudés que jamais, donc c’est un peu devenu une blague entre nous. On pourrait s’attendre à ce que tout s’effondre suite aux nombreux changements qui sont intervenus avant de faire cet album, mais en fait ça nous a rendus plus fort et permis d’écrire la meilleure musique que nous avions faite jusqu’ici et de nous sentir unis. Le terme est aussi lié au ‘hitchhicking’ (faire de l’auto-stop, ndlr) parce que c’est un album pour la route. C’est ce qu’il y a de plus marrant à ce sujet, parce que c’était au moment où nous étions les plus statiques que nous avons fait ce type de disque. Il y a cette idée de paysages et de voyage, de chemin, quelque chose de cinématique, une humeur changeante.
Rhydian : Probablement parce que nous avons passé tellement de temps sur la route. Ça te donne l’impression que la vie ne s’arrête jamais, il y a toujours un lendemain, pas de moment statique, ça change constamment. Être autant sur la route te rend probablement sensible à ces choses-là.
Ritzy : Et nous voulions choisir notre propre chemin, un nouveau chemin. Nous avions probablement le sentiment que les choses qui nous sont arrivées dans le passé commençaient à prendre le contrôle sur notre libre arbitre. Être dans l’instant. Cet album parle totalement de ça. La liberté du moment présent, faire ses propres choix sans tenir compte du reste. Il y a une forme de défi là-dedans.
Parlons maintenant des chansons de l’album. Sur le clip de « The Last Thing On My Mind » on peut voir des hommes en petite tenue danser. Quel message vouliez-vous véhiculer à travers cela ?
Ritzy : C’est sans aucun doute une déclaration. Cette chanson parle de liberté, sexuelle notamment, de confiance en soi, dans sa propre peau et sexualité. Et aujourd’hui plus que jamais il y a tellement de pression sur tous les sexes, mais particulièrement les femmes. Il y a un tel phénomène d’objectification de la femme, particulièrement dans les clips musicaux. Cela a fait toujours partie de la culture Pop, à chaque époque.
Rhydian : Il y a un déséquilibre entre la ‘hype’ et l’objectification purement symbolique.
Ritzy : Quand tu évolues avec le temps et que tu regardes autour de toi tu te dis : « Putain ! En fait nous n’avons pas tellement évolué ! ». Nous voulions faire une déclaration pour redresser la balance parce que l’objectification est bien là et répandue, mais nous n’avons pas autant l’habitude de voir ce phénomène avec les hommes, ou seulement d’une façon qui célèbre leur beauté et leur liberté en les voyant s’épanouir, et pas d’une manière sexuelle et agressive comme pour les femmes. Ça se résume souvent ainsi, prendre du plaisir à regarder les courbes féminines, cela étant un aspect pour montrer leur liberté, et dire en même temps nous voulions dire « Alors ? Comment vous sentez-vous en voyant ça ? ». C’était une expérience intéressante parce que certaines personnes étaient dégoutées, ne voulaient pas voir les formes masculines montrées ainsi.
Rhydian : Et c’est dingue parce que le porno est devenu un truc tellement énorme maintenant. Il y a tant de jeunes qui y sont exposés, ça affecte la manière dont les gens voient leur sexualité et leur personnalité. Dans ce clip l’objectification ne se présentait pas sous une forme pornographique ou explicite. C’était plutôt une façon de dire que les corps sont beaux.
Et vous considérez-vous comme un groupe féministe ?
Rhydian : Absolument parce que le féminisme c’est surtout une question d’égalité entre les sexes, voilà la vraie signification. Et pour moi c’est exaspérant, en tant qu’homme, de voir cette fausse représentation utilisée d’une façon si symbolique, parce que cela affecte évidemment tout le monde, homme ou femme, la façon dont nous sommes perçus.
Ritzy : Et lorsque nous avons sorti ce clip, je voulais être claire sur le fait que nous l’avions réalisé tous les trois ensembles, cette déclaration émanait du groupe. Même si nous ne sommes pas du même sexe il y a une frustration commune. J’ai l’impression que le seul moyen d’arriver à l’égalité, c’est de s’exprimer ensemble, hommes et femmes, pour dire que nous en avons ras le bol et que nous voulons que les choses changent. Il faut donc mettre la pression dans tous les endroits nécessaires, que ce soit dans les médias, au travail… Je crois que cela doit venir des deux côtés.
J’imagine que tu as subi ce genre de choses dans l’industrie de la musique, qui est en fin de compte assez sexiste ?
Ritzy : Oui et c’est étrange en effet parce que d’une part tu veux célébrer ta féminité, les femmes peuvent chanter sur d’autres choses, elles ont un point de vue ou des expériences différents. Mais tu ne veux pas qu’on se mette à dire « Oh ! Une fille peut jouer de la guitare ! » sur un ton condescendant.
Et comment vous sentez-vous aujourd’hui en tant que groupe ? Plus forts que jamais ?
Rhydian : Oui, absolument. Nous sommes très fiers de ce que nous avons écrit et c’est assez simple en fin de compte. Tu pars ensuite sur la route avec tes chansons et tu les partages de différentes façons, tu joues des sets différents. Nous aimons toujours jouer en concert et c’est la clé. Si ça ne te plaît plus, c’est mort, quel est l’intérêt ?
Ritzy : Nous sommes toujours excités par le fait de composer de nouvelles chansons. Nous avons sorti « Hitch » puis « Sleep This Day », un EP acoustique, parce que nous avions ces quelques chansons acoustiques que nous avions envie de partager assez rapidement. Nous écrivons en ce moment et nous espérons sortir autre chose assez tôt l’année prochaine. Je crois que c’est ce qui nous ancre, si tu es toujours excité par tes prochaines créations, quelles qu’elles soient, au sein de The Joy Formidable, c’est tout ce dont tu as besoin. Je te parlais auparavant de la façon dont l’industrie de la musique change, et il y a beaucoup de formes de pression différentes sur les groupes, beaucoup de choses qui se sont passées au fil des ans qui parfois affectent la simplicité de faire de la musique et le plaisir que l’on en tire. Donc plus que jamais il faut se reposer sur les raisons qui t’ont poussées à faire ça au départ, ce qui maintient ton inspiration.
Et cet EP acoustique était une façon de montrer un autre visage du groupe également ?
Ritzy : Oui, précisément, et nous allons faire une tournée dédiée à cela en début d’année prochaine, j’aimerais d’ailleurs revenir à Paris, dans un lieu plus intime.
Et je crois que vous avez maintenant un quatrième membre, c’est Tony… votre chien !
(Rire général) Ritzy : Oh ! Ne me parle pas de Tony… Où est-il ?! Non, sérieusement il me manque beaucoup, ma mère prend soin de lui à la maison. C’est sa ‘doggy-sitter’, il est gâté !
En ce moment vous jouez avec Placebo dans de très grandes salles, mais que préférez-vous enfin de compte, être tête d’affiche dans un lieu plus intime ou ce genre de soirée ?
Rhydian : Il n’y a rien de mieux que ton propre show. Même si c’est bien de pouvoir jouer face à des oreilles fraîches qui n’ont pas encore entendu ta musique, il faut que tout le monde reste ouvert, et c’est ça le truc. Ça dépend des artistes, mais parfois le public n’a pas envie d’entendre la première partie, il veut juste entendre la tête d’affiche. Mais je trouve que les fans de Placebo ont été plutôt ouverts.
Pour conclure, après vous être posés avoir passé pas mal de temps à enregistrer, vous êtes heureux d’être de retour sur la route ?
Ritzy : Oh oui, et ce fut une très bonne année, on ne s’est pas ennuyé. Nous avons repris les concerts en janvier / février, et puis nous sommes allés en Amérique du Sud pour la première fois. Cette année fut vraiment bien remplie. Il nous reste trois concerts en 2016 et je ne crois pas que nous referons un break aussi long. La création de « Hitch » a pris un peu de temps pour de diverses raisons, et ça nous convenait. Nous voulions construire le studio et nous éloigner de la route pour quelque temps parce qu’il faut pouvoir se régénérer également, parce que quand tu reviens, tu retrouves aussi l’entrain pour t’y remettre.
Propos recueillis à Paris le 29 novembre 2016.
Un grand merci à The Joy Formidable, La Mission et Membran pour avoir rendue cette interview possible.
Pour plus d’infos :
AccorHotels Arena – Paris – mardi 29 novembre 2016 : galerie photos
Chroniques :
‘Hitch’ (2016)
‘Wolf’s Law ‘ (2013)
‘The Big Roar’ (2011)
Interview, Paris, mardi 12 février 2013
La Maroquinerie, Paris, mardi 12 février 2013 : galerie photos
Le Nouveau Casino, Paris, lundi 24 octobre 2011 : galerie photos
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