Si le nom de Brooke Fraser ne vous dit pas grande chose, sachez qu’elle est pourtant une ‘super méga star’ dans sa Nouvelle-Zélande natale, où elle ne compte plus les disques de platine et les récompenses. Après une petite dizaine d’années de carrière, elle débarque enfin en France avec son 3ème album, ‘Flags’, qui ne devrait pas manquer de conquérir rapidement nos charts à nous aussi…
‘Flags’ est ton troisième album, mais seulement le premier distribué en France, pourrais-tu donc m’en dire un peu plus sur tes débuts, notamment comment tu as commencé la musique ?
Brooke Fraser : Je viens d’une famille de trois enfants, à Wellington en Nouvelle-Zélande. Ma mère était institutrice et mon père était routier mais aussi rugbyman pour notre équipe nationale (les All Blacks, ndlr). Donc je n’ai pas grandi dans une maison avec beaucoup de musique, mais je crois que depuis que j’étais presque encore un bébé la musique m’a attirée, et ma mère qui était donc professeur s’est aperçue de mes capacités à apprendre à jouer d’un instrument et jouer des chansons. Donc dès que j’ai été assez grande pour apprendre le piano, à l’âge de 7 ans, j’ai commencé à prendre des leçons, et à 12 ans j’ai commencé à écrire. C’est très étrange, mais je me suis tout de suite rendue compte que c’était ce que je voulais faire, composer et écrire. J’ai donc continué et progressé à partir de là.
Alors quelle est la signification derrière le titre de ton album, ‘Flags’ ? (Drapeaux en Français, ndlr)
Brooke Fraser : Ca n’a en tout cas aucune référence ‘militante’ ou nationaliste. Je pense plutôt à l’idée d’un drapeau comme la représentation d’une culture, d’une identité, d’une croyance, mais en même temps je veux montrer le contraste entre le symbolisme fort autour de cette identité et ce support relativement fragile fait de tissu et de bois sur laquelle elle est représentée. Pour moi il y a une relation avec nos vies et le peu de temps que nous passons sur terre. Elles peuvent avoir une forte signification et laisser un héritage, mais nous les vivons toujours dans une certaine fragilité. Je pense que c’est le thème dominant tout au long de l’album.
Peux-tu me parler de la chanson ‘Sailboats’, tu l’as écrite pour ton mari ?
Brooke Fraser : Oui ! ‘Sailboats’ est à l’origine une chanson que j’avais écrite comme une blague. Ca fait longtemps que j’écris et c’est mon troisième album, mais je n’avais jamais écrit de chanson pour mon mari, j’avais toujours parlé d’hommes ‘imaginaires’ ! (rires) Donc mon mari m’a dit un jour : « Tu écris toutes ces chansons pour des hommes qui n’existent pas, moi je suis là, en face de toi ! Ecris-moi une chanson ! » Je me suis dit « Bon, d’accord ! » et j’ai donc écrit cette chanson un peu comme une plaisanterie, mais finalement je l’aimais bien, donc je l’ai mise sur l’album.
Qu’y-a-t-il derrière le titre ‘Jack Kerouac’, c’est un écrivain que tu apprécies particulièrement ?
Brooke Fraser : Je dois avouer que je n’ai seulement lu que ‘On The Road’ de Jack Kerouac, mais en écrivant ‘Flags’ j’ai beaucoup voyagé à travers le passé lointain de l’Amérique, et certains endroits dont il parlait dans ce livre. Je le lisais en même temps, donc cette chanson correspond à un moment précis de ma vie, quand je conduisais sur la côte Californienne . J’écoutais très fort l’album ‘Graceland’ de Paul Simon sur mon auto radio, sur l’autoroute. Et la chanson ‘Jack Kerouac’ symbolise pour moi ce moment précis.
Il y a également une collaboration avec Aqualung, comment vous-êtes vous rencontrés?
Brooke Fraser : C’est en fait très particulier pour moi, parce que je ne suis pas très douée pour collaborer avec d’autres personnes, surtout quand il s’agit d’écrire des chansons parce que je trouve que c’est quelque chose de très personnel. Mais une amie à Los Angeles nous connaissait tous les deux et elle m’a dit qu’on devrait se rencontrer, qu’on devrait bien s’entendre, et éventuellement écrire ensemble. Nous étions en fait tous les deux très sceptiques, parce qu’il avait la même approche que moi. mais on s’est dit pourquoi pas, essayons et voyons ce qui se passera. Et ce fut l’un de ces rares moments où tout se passe à merveille, on s’entendait parfaitement, donc on a écrit cette chanson très rapidement. A part ça, ça faisait longtemps que j’appréciais son travail, donc en même temps c’était très spécial pour moi de pouvoir écrire et enregistrer ce titre, ‘Who Are We Fooling?’ avec lui.
Et qu’est-ce qui a inspiré ton single ‘Something In The Water ‘?
Brooke Fraser : C’est la toute dernière chanson que j’ai écrite pour l’album. Elle est assez différente de tout ce que j’ai fait auparavant. Beaucoup de mes chansons ont plusieurs niveaux d’interprétation ou racontent des histoires fortes. ‘Something In The Water’, c’est tout à fait le contraire. Je voulais trouver un équilibre avec la plupart des chansons intenses que j’avais écrites jusque-là , avec un titre qui serait vraiment sympa à jouer en live, avec le public qui tape dans ses mains ou qui chante en même temps. Ce morceau est donc arrivé comme ça et il s’est avéré que son passage à la scène fut exactement ce que j’espérais, ça me donne vraiment du plaisir de le jouer.
A l’inverse, ‘Ice On Her Lashes’ semble avoir été inspiré par le cycle de la douleur, du deuil. Peux-tu me dire ce qui t’a inspiré pour ce titre, et comment tu as traité ce sujet ?
Brooke Fraser : Je crois que j’ai surtout pensé à quelques amis proches dont la vie a été marquée ces dernières années par plusieurs tragédies de différentes sortes, puis quelque chose de similaire m’est arrivé. Je pensais au fait qu’au fil des ans, quand tu vieillis, tu commences à perdre des proches, ce sont des choses qui arrivent. Et l’idée derrière ‘Ice On Her Lashes’ est que d’ici trois ou quatre ans je pourrais faire le deuil de quelqu’un, mais qu’ailleurs dans le monde quelqu’un d’autre traverse cela depuis des années, ou est sur le point de le vivre aussi. On est forcément changé par tout cela et cette chanson traite du fait de porter cette douleur et de continuer à vivre avec, mais aussi de continuer à aller de l’avant.
La dernière chanson dont j’aimerais parler en détail est ‘Coachella’. Y-a-t-il un lien entre ce titre et le festival du même nom ?
Brooke Fraser : Oui, absolument. ‘Coachella’ était en fait la première idée que j’ai eue pour cet album. J’étais allée chanter au festival et j’étais assez épuisée après plusieurs années de tournées intensives et à ce moment-là je n’avais même plus envie de prendre ma guitare. Je me doutais que ça reviendrait à un moment ou à un autre, mais là je ne voulais plus. Et là Coachella fut pour moi un grand moment d’inspiration et d’encouragement. Je regardais l’un de mes groupes préférés, Fleet Foxes, sur une petite scène alors que le soleil se couchait sur le désert, et ce fut l’un de ces moments magiques où tu relativises alors les choses et où l’inspiration et l’envie d’aller de l’avant reviennent.
Et d’une manière générale, comment s’est passée l’écriture de cet album ?
Brooke Fraser : C’a été très frustrant parce que pendant longtemps j’ai ressenti un blocage. J’avais écrit mon second album très facilement, mais là c’était comme si j’étais « musicalement constipée » (rires). Donc c’était dur de se sentir ainsi, non seulement quand il s’agit de ta passion mais aussi parce que c’est avec ça que tu paies tes factures. C’est très effrayant de se sentir incapable d’écrire. Heureusement les chansons ont fini par venir et j’en suis très heureuse parce que je ne sais pas combien de temps j’ai pu y passer, ça n’a pas été une chose facile. Donc c’est très gratifiant de pouvoir regarder tout cela une fois fini et de se dire que tout s’est bien passé.
Et tu as ensuite choisi d’enregistrer l’album à Los Angeles, y-a-t-il une raison particulière à cela ?
Brooke Fraser : Je savais que je voulais enregistrer l’album avec des amis, des gens pour qui ce ne serait pas juste un travail mais qui s’investiraient aussi dans la musique. Je suis heureuse de l’avoir fait parce que je pense que ça peut s’entendre sur l’album. Il a un son très chaleureux, celui de nos liens, de notre amitié. On était tous dans une pièce, assis en cercle, à enregistrer comme un groupe dans des conditions live, et je pense que l’enregistrement a vraiment capturé leur énergie. Cependant je ne pense pas faire ainsi le prochain album aux Etats-Unis mais peut-être… En France ! Mais il faut que mon Français s’améliore vraiment d’ici là !
Tu as également produit cet album, quels challenges cela impliquait-il pour toi ?
Brooke Fraser : Le défi venait du fait que je n’avais vraiment pas la moindre idée de ce que je faisais ! A part le fait de vouloir faire confiance à mon instinct, et la manière dont je voulais voir mes chansons présentées. J’ai donc essayé d’être aussi organisée et ouverte que possible. Parfois c’est difficile, c’est comme gravir une montagne, mais c’est très gratifiant de savoir que l’on a réalisé ça avec des amis, en communauté, et pas avec des personnes extérieures qui auraient fait ça ‘sur commande’.
Et est-ce que tu penses qu’avec ‘Flags’ tu as trouvé ton son. Pour moi il y a un côté un peu plus Indie Rock par rapport à ce que j’ai pu entendre de tes précédents albums.
Brooke Fraser : Oui, sans aucun doute. Je ne dirais pas que j’ai trouvé mon son. même aujourd’hui en écoutant parfois l’album je me dis sur certains passages que je n’ai pas obtenu exactement ce que je voulais, mais au moins j’en suis proche. Donc j’espère qu’avec le prochain album j’en serai encore plus proche!
Pour en revenir à tes débuts, ton premier album a reçu 8 disques de platine en Nouvelle-Zélande, imaginais-tu un tel succès avant de commencer?
Brooke Fraser : C’était fou! J’avais 19 ans à l’époque et ma vie a changé radicalement. Je suis passée d’une adolescente anonyme à voir ma photo sur l’arrière des bus en marchant dans la rue avec ma mère! C’était vraiment bizarre. Mais ça m’a certainement permis de me lancer dans une longue carrière, ça fait maintenant un petit moment que je suis dans le circuit, et j’en suis très heureuse.
Et comment se fait-il que ‘Flags’ est seulement ton premier album à sortir en France?
Brooke Fraser : Ah! C’est une grande question! D’une part je suis très contente de la façon dont ma carrière a évolué. J’en arrive seulement aujourd’hui au point où je suis une artiste sûre d’elle et prête à exporter sa musique dans plus de pays, pour plus de gens. Donc je pense que c’est une bonne chose que ce ne soit qu le premier album, celui avec lequel je me présente à tous ces nouveaux publics. Mais pour répondre au ‘pourquoi?’, c’est plus pour des raisons pratiques, de maisons de disques tu sais… Mais je suis très heureuse que le label Play On ait été attiré par mon album et qu’il lui permette de sortir aujourd’hui en France.
Et qu’est-ce que ça fait de sortir un album et de faire des concerts dans un pays où les gens ne te connaissent pas encore?
Brooke Fraser : C’est formidable, vraiment excitant. C’est gratifiant de jouer quelque part devant une cinquantaine de personnes et quand tu reviens tu remarques qu’il y en a à chaque fois de plus en plus, et ça continue au fil du temps. C’est vraiment une base que j’ai envie de construire avec les gens qui sont prêts à faire le voyage avec moi. Je pense que j’ai une relation très particulière avec ceux qui apprécient ma musique, certains me suivent depuis longtemps, et c’est donc une belle expérience de pouvoir partir de zéro. Ca rend plus humble et reconnaissant.
Tu as fais une fois la première partie de David Bowie, alors, c’était comment?
Brooke Fraser : C’était extraordinaire. Enfin en ce qui me concerne je crois que ma prestation a été terrible, mais l’expérience en elle-même, de pouvoir ouvrir pour quelqu’un comme lui, c’était évidemment vraiment fou!
Je voudrais passer à un autre sujet. J’ai vu que tu avais collecté des fonds pour aider les enfants du Rwanda à l’époque de ton album ‘Albertine’, peux-tu me dire comment est né ce besoin?
Brooke Fraser : J’ai toujours pensé que si je joue de la musique, que je parle dans un micro, que j’ai l’attention des gens, il faut que j’en fasse quelque chose. C’est une opportunité unique, celle d’aider les gens dont le discours n’a pas la même portée. Donc depuis le début j’ai essayé d’aligner ma musique avec les gens qui font ce que j’aurais pu faire moi-même si je n’avais pas été musicienne. Ca fait donc très longtemps que je suis impliquée dans des oeuvres de charité en Nouvelle -Zélande. Avec mon deuxième album, ‘Albertine’, j’ai vraiment poussé le parrainage d’enfants dans plusieurs pays, et plus particulièrement le Rwanda. Avec ‘Flags’, l’attention est plus portée sur l’eau. Je me suis donc associée à une organisation qui s’appelle Charity Water pour collecter de l’argent afin de construire des puits qui seront construits en Ethiopie et j’irai là-bas le mois prochain pour voir le projet sur place, je suis très excitée par tout ça !
Tu es un membre actif de Hillsong United Church (une église évangélique pentecôtiste, ndlr) et tu as participé à plusieurs albums du groupe Hillsong United Worship Band. Est-ce difficile de garder ton travail en solo séparé de cet engagement ou bien laisses-tu les deux cohabiter ?
Brooke Fraser : J’ai une carrière établie en tant qu’artiste solo et ce que je fais avec l’église fait partie de ma vie personnelle. Je trace donc une nette frontière entre les deux.
Tu as commencé ta carrière très jeune, et puisque cette sortie Française est un peu comme un nouveau départ je voudrais te demander quelle est la différence entre la Brooke Fraser âgée de 18 ans et celle à qui je parle aujourd’hui ?
Brooke Fraser : J’espère qu’il y a beaucoup de différences ! C’était très intéressant de pouvoir faire un album alors que je n’étais qu’une adolescente qui n’avait jamais grandi dans un environnement musical, qui ne connaissait pas tellement la musique. Les membres de mon groupe parlaient de tel ou tel artiste dont ils possédaient toute la discographie et au sujet desquels ils connaissaient de nombreuses anecdotes. Je ne connaissais pas tout ça ! Donc mon éducation musicale a commencé en grande partie à partir du moment où je suis devenue une artiste moi-même, et pendant les 9 années qui se sont écoulées depuis j’ai été exposée au monde et à la musique plus que jamais. Mes goûts ont certainement changé, puisque j’ai découvert des choses qui ont forcément été influentes pour moi. Et puis j’ai beaucoup grandi en tant que musicienne à passer beaucoup de temps sur la route, à jouer devant beaucoup de gens et à perfectionner mon art.
J’en arrive à ma dernière question : ‘Flags’ est sorti l’an dernier en Nouvelle-Zélande, travailles-tu déjà sur un nouvel album ?
Brooke Fraser : Je viens justement de passer deux mois à la maison et j’étais très heureuse de pouvoir recommencer à écrire et à mettre sur papier quelques idées pour le prochain album. Ça m’enthousiasme et j’espère venir à Paris l’année prochaine et y vivre quelques mois, et m’en inspirer pour écrire ma musique. J’aurai un professeur de Français donc la prochaine fois que l’on se verra j’espère que je serai capable d’avoir une conversation en Français avec toi !
Propos recueillis le lundi 5 septembre 2011 à Paris.
Un grand merci à Brooke Fraser, à Emma Soriano pour avoir rendue cette interview possible, ainsi qu’à tout l’équipe de Play On.
Pour plus d’infos :
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