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ANNA TERNHEIM – Interview – Paris, mercredi 13 avril 2016

La dernière fois que nous avions croisé Anna Ternheim, elle partageait la scène du Café de la Danse à Paris avec Dave Ferguson pour nous présenter son album « The Night Visitor » marqué par la musique de Nashville. Nous ne savions pas qu’il faudrait quatre ans avant de la retrouver dans cette même salle. Nouveau cycle, nouvel album, elle est retournée à ses racines avec « For The Young », une histoire qu’elle nous raconte en détail lors de cette longue et belle interview dans laquelle elle se confie à nous avec beaucoup de naturel.

ANNA TERNHEIM - Interview - Paris, mercredi 13 avril 2016

Quatre années se sont déjà écoulées entre tes deux derniers albums, que s’est-il passé entretemps ?

Anna Ternheim : Le dernier album que j’avais fait à Nashville était très particulier et c’est une expérience qui m’a inspirée de nombreuses manières. Mais du coup passer à la suite est devenu plus difficile, parce qu’il était clair pour moi que je n’allais pas rester à Nashville pour y faire un autre disque. J’ai beaucoup aimé ça, mais ce ne sont pas vraiment mes racines. J’avais besoin d’essayer pas mal de choses différentes. J’ai produit un jeune groupe de filles dont l’album sort aujourd’hui d’ailleurs, j’ai écrit des musiques de films et des chansons pour d’autres aussi. Et puis tu sais, la vie se met en travers de ton chemin parfois, j’avais du mal à trouver la direction dans laquelle je voulais me lancer. C’est aussi simple que cela. A un moment je me suis même dit qu’il était peut-être temps de faire autre chose pour un temps, de trouver un travail… Quand tu fais de la musique toute ta vie je pense qu’il y a sans doute des moments comme ça. Quand on te pose la question « pourquoi as-tu mis autant de temps, qu’as-tu fait ? », c’est en fin de compte plutôt naturel que tout ça prenne du temps. En tout cas j’ai travaillé sur de nombreux projets et je me suis aussi demandée « où est le plaisir ? ». Si je voulais faire un autre disque pour moi-même il fallait que je trouve vraiment cette étincelle. Je suis revenue à l’essentiel, je suis partie de New York pour me réinstaller à Stockholm, trouver un endroit où poser ma guitare. J’ai contacté Andreas Dahlbäck qui avait produit mes deux premiers disques. J’ai aussi contacté quelqu’un qui avait travaillé sur mes toutes premières vidéos. Je me suis demandée qui est important pour moi, avec qui est-ce que j’aime travailler, qui comprend ce dont j’ai besoin et où je veux aller musicalement. Et j’ai plus ou moins trouvé un groupe de personnes qui avaient contribué à cette étincelle au début. A partir de là tout est devenu beaucoup plus facile, les pièces du puzzle se sont assemblées de façon aléatoire. J’ai finalement décidé d’enregistrer à New York avec un ami à moi, Shahzad Ismaily, qui est un très grand musicien, et Andreas nous a rejoints avec Tomas Lundström qui joue avec moi sur scène et qui est aussi un musicien que j’apprécie. Shahzad connaissait Marc Ribot qui est un excellent guitariste – j’ai grandi avec sa musique quand j’étais enfant, donc tout s’est mis en place de façon très naturelle.

J’ai aussi le sentiment qu’au début de ta carrière les choses sont allées très vite pour toi et que tu t’es peut-être sentie oppressée par ce succès soudain, et par conséquent tu avais peut-être besoin de prendre plus de recul.

Anna Ternheim : Je pense que tu as raison. Au tout début c’était pour moi l’opportunité de pouvoir faire ce que j’aimais, et ensuite tu continues à courir pour toujours faire aussi bien, mais c’est difficile. C’est quelque chose que tu remarques en route, pas dès le début, ça prend du temps. Et c’est vraiment la jungle, de comprendre comment tu veux travailler, quelles personnes tu veux avoir avec toi, comment faire ta tournée, quel genre de musique jouer, qui tu dois écouter ou non. Heureusement ce n’est pas le problème du public ou des fans qui peuvent cependant peut-être se rendre compte que ça a pris du temps ou lire entre les lignes et deviner tout ce qui peut se passer derrière la carrière des artistes. Mais pour moi aujourd’hui c’est comme si je repartais à zéro et c’est tellement fun ! C’est comme faire table rase, je suis totalement indépendante maintenant, tout est ouvert, il n’y a pas de label, rien. Je peux déterminer seul ce que je veux faire et comment je veux le faire.

Ta chanson ‘For The Young’ a été écrite à Buenos Aires, j’ai vu que tu avais passé quelque temps là-bas. Quelle influence cette ville a-t-elle eu sur le disque que tu étais sur le point de faire ?

ANNA TERNHEIM - Interview - Paris, mercredi 13 avril 2016Anna Ternheim : Pas tellement en fait. Ce que j’ai principalement fait là-bas c’était d’assembler les pièces de l’album. C’était à l’hiver dernier. Auparavant je m’étais imposée une certaine routine, j’avais décidé de travailler tous les jours, d’écrire mes chansons et de ne pas partir avant que l’album soit plus ou moins prêt. J’ai donc fait ça et vers Noël (2014, ndlr) mes chansons étaient prêtes et j’ai ressenti le besoin de repartir, je ne tiens pas trop en place. C’est l’une des choses que j’adore dans mon travail, je peux m’assoir n’importe où pour composer, donc j’ai juste emporté une guitare, mon ordinateur et un appareil photo et je suis partie deux mois à Buenos Aires. C’est là que j’ai écrit les deux dernières chansons et c’est venu très facilement. Dans cette partie du procédé, quand tu as déjà tellement écrit, notamment tous ces trucs que tu ne vas pas utiliser et trouvé les chansons que tu vas garder, les derniers éléments se mettent naturellement en place. Je passais du temps sur Skype avec Andreas à Stockholm et Shahzad à New York pour coordonner la suite, le choix du studio, quand enregistrer et avec qui. Donc l’Argentine était l’endroit pour finaliser l’album mais aussi pour prendre un peu de soleil, vivre une autre expérience.

J’ai l’impression que c’est quelque chose que tu fais beaucoup, comme aller en Chine il y a environ deux ans, totalement isolée de ton quotidien.

Anna Ternheim : Oui, je ne sais pas si c’est bien en fait, ça doit être à double tranchant. J’en ai eu besoin parce que je suis pas mal agitée, j’ai ressenti ce besoin de trouver l’inspiration dans divers endroits, mais je ne crois pas qu’il soit absolument nécessaire de voyager à travers le monde pour trouver des histoires à écrire et raconter. J’ai fait ça assez souvent, prendre mon sac à dos et aller dans de nouveaux endroits, mais pas seulement pour écrire. Aujourd’hui je suis plus intéressée par ma volonté à résister à ce besoin de partir, et donc rester. J’essaie de travailler avec ce que j’ai autour de moi.

Sans vouloir paraître maladroit, as-tu appelé cet album « For The Young » parce que tu as… vieilli ?

Anna Ternheim : Je ne sais pas, je crois que l’âge est une drôle de chose. D’une façon oui, les choses qui te semblent évidentes quand tu es jeune, comme la nouveauté, faire des choses pour la première fois, tout cela n’arrive qu’une fois. En tant qu’artiste, tu ne sors ton premier album qu’une seule fois. Mais après plusieurs années tu es également mieux armé pour être capable de juger une situation, ce que tu n’aurais pas fait de la même manière à 22 ans. En ce qui concerne la musique je pense qu’on m’a donné des choses très tôt que je ne comprenais pas encore très bien, ou ne savais pas quoi en faire. Pour moi l’âge te rend plus fort et plus dur, mais aussi plus fragile parce que tu vois comment les choses peuvent facilement t’échapper. Donc c’est un peu des deux. Tout change autour de toi, soudainement les gens te regardent différemment parce que tu as vécu toutes ces expériences, mais intérieurement tu peux toujours te sentir comme si tu avais 14 ans et que tu allais faire des choses pour la première fois, et je ressens beaucoup ça. Ce que je ressens aujourd’hui en recommençant à jouer alors qu’il y a peu je me disais que peut-être je devrais faire autre chose, c’est un don pour moi. Je me sens très chanceuse d’être là. Au sujet du disque, le titre est très direct pour moi, il ne faut pas trop l’analyser. C’est un rappel que la vie n’est pas une ligne où les choses arrivent dans un certain ordre, tu peux avoir des émotions et des sentiments et les choses recommencent, tout le temps, tous les jours. Il faut être là pour le voir.

ANNA TERNHEIM - For The Young (2015)

Et je ne sais pas s’il faut trop analyser justement, mais sur la pochette de l’album on te voit au bord d’une rivière avec un piano à moitié enterré et un lynx, tout cela a-t-il une signification pour toi ?

Anna Ternheim : Il y a une signification dans la façon dont j’ai construit cette photo, plus que dans l’image elle-même. Je suis attirée par les images qui t’emmènent ailleurs et font marcher ton imagination. J’ai grandi avec les disques de mon père, à regarder ces pochettes de Pink Floyd ou d’autres disques dont tu n’arrives pas à figurer le sens. Comment les images naissent-elles ? Pour les créer il faut permettre à tout ce procédé d’exister. Cette photo a été prise un an avant, avant même d’avoir écrit les chansons. C’était vraiment un hasard parce que je courais tous les matins le long de l’East River que tu vois sur la photo, et j’ai vu ce piano. Quelqu’un l’a mis là. Parfois c’est aussi simple que ça de prendre une photo, il faut juste le voir. La marée le recouvrait régulièrement et il tombait peu à peu en pièces, j’ai une amie photographe et réalisatrice qui vit là-bas (Cheryl Dunn, ndlr), je lui ai dit « Hey Cheryl, descendons là on va se faire plaisir ! ».

Et le lynx était là par hasard ?

Anna Ternheim : Oh le lynx, il vit chez moi maintenant ! C’était le seul élément rapporté sur la photo.

On peut en avoir chez soi ?

Anna Ternheim : Oui, on peut, particulièrement lorsqu’ils ne sont plus en vie ! (rires). En tout cas nous sommes descendues là, et une bonne photo est ce qu’elle est, je ne savais pas à ce moment-là que je m’en servirais pour la pochette de l’album.

En restant sur le côté visuel, tu m’as dit que tu étais retourné vivre à Stockholm, et les personnages de tes clips sont Suédois justement. Le tout est construit comme un film en trois parties, peux-tu m’en dire un peu plus ?

Anna Ternheim : On veut toujours trouver des moyens d’inviter les gens dans son univers, la vidéo en est un. L’artwork aussi. Il s’agit d’attirer les gens afin qu’ils s’arrêtent un moment et écoutent. J’ai parlé avec le réalisateur Jerker Josefsson de la vie en général, de l’âge et de quelles chansons nous voulions mettre en avant sur le disque, et nous avons fait une belle trilogie ! Je voulais travailler avec des jeunes, des ados, puis deux amoureux à la moitié de leur vie, et enfin un vieil homme qui perd espoir en son futur. J’ai voulu lier ces vidéos d’une façon poétique, rêveuse, qui laisse beaucoup de place à l’interprétation. Nous avons décidé de garder tout cela en noir et blanc, de traiter cette idée très simplement. Je travaille avec beaucoup de gens différents à chaque fois, et je ressens ce besoin de voir comment les choses évoluent quand tu as un groupe de gens autour de toi où chacun sait très bien ce qu’il fait. Jerker et moi partageons cette même vision esthétique.

Oui, le noir et blanc définit cette œuvre entière, la pochette également.

Anna Ternheim : Oui, c’est parfois bien de se fixer des limites, de savoir ce que tu ne vas pas faire. Ça fait déjà quatre ans que j’ai fait mon dernier disque, et depuis que j’ai commencé c’est vraiment le jour et la nuit, tout va si vite, il y a tout le temps de nouveaux artistes et de nouvelles façons de faire de la musique. J’y pense beaucoup parce que tu entends tellement de commentaires autour de toi qui te disent comment il faut produire, que les choses doivent se faire vite. Donc pour moi il était important de définir ce que je n’allais pas faire, de ne pas m’en inquiéter et de me concentrer sur le reste.

Ta chanson ‘Hours’ parle du vieillissement, mais également de ton père ?

Anna Ternheim : ‘Hours’, oui. Je suis très proche de mon père. Quand tu vois les gens vieillir c’est dur, mais il y a aussi quelque chose de très puissant là-dedans, d’être conscient de sa propre mortalité, c’est un bon rappel pour donner le meilleur de soi-même chaque jour, c’est très libérateur.

Tu t’es éloignée de la musique Country et du fingerpicking, mais je crois que tu as encore travaillé avec Dave Ferguson, il a participé à une chanson de l’album ?

Anna Ternheim : Oui, c’est un bon ami. Nous avons fait ça plusieurs fois à Nashville et il y a en fait plus de chansons que ‘Walk Right In’, parce j’aime toujours beaucoup aller là-bas. Ce que tu peux faire avec ces musiciens-là est incroyable, mais mes racines ne sont pas les mêmes. C’est une autre tradition musicale que j’adore, mais je n’aurais pas été capable de faire un disque comme « For The Young » là-bas.

Tourne-t-il encore avec toi parfois ?

Anna Ternheim : Non, je crois que c’était la première fois qu’il partait en tournée lorsque nous avons fait ça ensemble. Je crois que c’est l’une des choses les plus dures que lui et moi ayons faites. Tout d’abord parce que nous sommes très différents. Il avait le mal du pays mais il a aussi aimé être sur scène. Nos personnalités sont opposées mais nous nous aimons beaucoup l’un l’autre. C’est une tournée que je n’oublierai jamais, et j’espère que nous pourrons encore jouer ensemble dans des concerts de temps à autre. Juste quelques-uns, parce que ce fut une longue tournée et je ne pense pas que nous referons ça.

L’année dernière tu as joué une chanson intitulée « Show Me The Meaning Of Being Lonely » à la cérémonie du prix Nobel, comment cette opportunité s’est-elle présentée et pourquoi as-tu choisi cette chanson ?

Anna Ternheim : C’était très simple. On m’a demandé de jouer à ce banquet, et ils voulaient que je joue une chanson de Max Martin, le compositeur suédois qui a fait les chansons de Britney Spears, parce que c’est le compositeur le plus célèbre que nous ayons eu et ils voulaient mettre l’accent sur ce côté de la culture suédoise. J’ai dit OK, à partir du moment où je pouvais choisir la chanson et l’interpréter comme je le désirais. J’avais donc la liberté de faire ce que je voulais. J’ai commencé à écouter une cinquantaine de ses chansons, et c’est marrant l’idée que tu peux t’en faire en fonction du moment où la chanson est sortie, de l’artiste qui l’interprète et de la production. A l’époque où ce titre est sorti je n’écoutais pas les Backstreet Boys et je n’y ai jamais fait vraiment attention. Mais maintenant je l’écoute d’une autre oreille. C’est une très belle chanson, les paroles sont super, la mélodie est belle, c’est tout ce dont tu as besoin. Donc je l’ai réarrangée, et je l’ai même envoyée par email à Max Martin et il l’a adorée, il était surpris qu’elle puisse sonner comme ça.

Te voilà donc en tournée pour ce nouvel album, tu as un nouveau groupe avec toi ?

Anna Ternheim : Oui, cette tournée s’est tellement bien passée, je crois que c’est la meilleure que j’ai faite ! Je suis heureuse, je prends beaucoup de plaisir chaque soir sur scène. Et avec 5 albums je peux choisir quels morceaux jouer, j’ai le sentiment de pouvoir me laisser aller comme je ne l’ai jamais fait auparavant parce que maintenant je peux décider de me présenter sous ma facette la plus Rock, sauvage, ou bien minimaliste. Et j’aime cette variété, c’est très dynamique. Et les musiciens sont super, nous nous entendons très bien, et ce soir à Paris c’est le dernier concert de la tournée, nous allons jouer cet été mais ça ne sera pas pareil. En tout cas je vais profiter de chaque minute !

J’espère que nous n’attendrons pas quatre ans avant de te retrouver !

Anna Ternheim : J’espère que non. Je l’ai déjà dit avant, le dernier disque était particulier donc ça m’avait pris plus de trois ans, mais je ne pense pas, les choses vont bien maintenant !

Propos recueillis à Paris le mercredi 13 avril 2016.

Un grand merci à Anna Ternheim, ainsi qu’à Elise Sauvinet d’Uni-T Production et Quentin Pestre de Mercury/Universal pour avoir rendue cette interview possible.

Pour plus d’infos :

Lire la chronique de « For The Young » (2015)

Session acoustique : « The Longer The Waiting (The Sweeter The Kiss) » – Paris, mardi 7 février 2012

Chroniques :

Lire l’interview d’Anna Ternheim, le 7 novembre 2011
‘The Night Visitor’ (2011)
‘Leaving On A Mayday’ (2009)
Lire l’interview d’Anna Ternheim, le mardi 7 avril 2009
‘Separation Road’ (2007)
‘Somebody Outside’ (2006)

Concerts :

Le Café de la Danse, Paris Mercredi 22 février 2012 : galerie photos
L’Alhambra, Paris, mercredi 23 septembre 2009 : galerie photos
Le Café de la Danse, Paris, mercredi 29 avril 2009 : compte-rendu / galerie photos
Le Point Ephémère, Paris, 31 mai 2007 : compte-rendu / Galerie photos

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