Le nouvel album d’Emilie Simon rend hommage à Paris, et c’est justement là, à l’occasion de son concert aux Folies Bergère que nous l’avons rencontrée. Il est bien entendu question de la capitale, mais aussi de cinéma, de collaborations et de sa tournée. Cerise sur le gâteau, c’est la première artiste que nous avons le plaisir d’interviewer pour la troisième fois, toujours avec le même plaisir.
Ton nouvel album s’appelle ‘Mue’, c’est un terme que l’on peut interpréter de différentes façons. Est-ce que ‘Mue’ pour toi c’est une transformation, une forme de renaissance ?
Emilie Simon : C’est toujours une renaissance à chaque album. C’est un concept que j’ai mis en avant sur cet album-là mais c’est le cas pour tous. Chaque album est une opportunité de redécouvrir, de travailler dans une autre direction. Et ce qui est intéressant c’est qu’en même temps on a l’impression de repartir sur une page blanche, on déconstruit mais on avance toujours. Donc c’est intéressant de voir où la création nous mène d’un album à l’autre, et ce n’est jamais exactement au même endroit. Dans mon trajet j’ai vraiment l’impression que chaque album est différent. Pourtant je ne fais pas exprès mais je pense que j’aime bien cette curiosité de découverte, l’idée de ne pas savoir et de découvrir au fur et à mesure comme si c’était un petit trésor caché, qu’il y avait une petite carte au trésor pour y trouver l’album à chaque fois.
Est-ce que l’expérience de Franky Knight, avec le film ‘La Délicatesse’ t’as donné envie d’évoluer vers un disque plus romantique ?
Emilie Simon : Certainement, tout est lié, tous les projets ont une conséquence sur ce qui va suivre. En réaction on va explorer encore plus dans la même direction ou au contraire on va en prendre le contrepied. Donc c’est toujours intéressant de voir ce qu’il y a eu juste avant. Effectivement peut-être que le côté romantique et mélancolique de ‘Franky Knight’ avait besoin d’être contrebalancé par un côté romantique extrêmement lumineux. ‘Franky Knight’ était un album lumineux mais il avait un côté très mélancolique. ‘Mue’ c’est l’opposé, c’est vraiment quelque chose de plus solaire. Le sentiment amoureux, la joie dans la vie, l’enthousiasme, la passion, le côté romantique dans le sens « courant romantique » musical ou littéraire. Voilà, c’est dans ce sens-là que je parle de romantisme, ce côté fin XIXème.
Justement le disque démarre sur ‘Paris J’ai pris Perpète’, j’imagine qu’il n’y avait rien de mieux que Paris pour donner un cadre à ce romantisme? Paris c’est un peu la muse de ton album ? On retrouve la ville sur plusieurs chansons.
Emilie Simon : Oui, c’est ça. Paris peut être tout à fait qualifié de muse. En tout cas c’est un personnage à part entière sur l’album. Oui, cette muse m’a inspiré beaucoup de chansons, et c’est un cadre aussi, donc il y a ces couleurs parisiennes, ce côté en même temps très ancré dans mon époque – puisque c’est le Paris d’aujourd’hui que j’arpente et que j’écoute – mais c’est aussi un sorte de Paris ancré dans l’inconscient collectif, une image que l’on se fait d’un Paris du siècle dernier que personne n’a vraiment connu en fin de compte, mais que l’on connaît à travers des images, des poèmes, des peintures, des photos, des gravures et qui a un peu un côté idéalisé. Un Paris ‘irréel’ finalement puisqu’on le reconstruit simplement à partir de petits éléments. C’est cette ‘entité’ Paris en même temps du passé et du présent qui a cette espèce de parfum, de cadre.
Qu’est-ce qui t’a fait quitter New York pour revenir à Paris ?
Emilie Simon : J’étais déjà à Paris pour ‘Franky Knight’, et j’ai passé pas mal de temps ici puisqu’il y avait 2 films, ‘La Délicatesse’ et ‘Quand Je Serai Petit’ de Jean-Paul Rouve sur lequel il y avait mon morceau ‘Jetaimejetaimejetaime’. Donc j’ai eu l’occasion de redécouvrir Paris d’une autre manière après avoir habité quelques années à New York. J’ai un peu vu autrement la ville et ça a commencé à m’inspirer les premières chansons de ‘Mue’.
Pourquoi as-tu choisi de montrer tes paroles tatouées sur ton corps sur la pochette?
Emilie Simon : L’idée c’était justement de porter ces mots comme faisant partie de notre histoire, parce que ce sont des émotions, c’est un album qui évoque le sentiment amoureux, quelque chose d’humain et de romantique. C’est être à fleur de peau, c’est porter et accepter ce que l’on ressent. Accepter aussi que ça fasse mal des fois parce que ce sont des cicatrices quand même, et puis ça s’efface et ça fait partie de nous. C’est ce côté-là, très organique finalement. Tous ces souvenirs et ces empreintes émotionnelles restent finalement sur nous et font partie de nous.
Il y a aussi toujours eu un lien fort entre le cinéma et ta musique, peut-on en déduire que c’est l’une de tes principales sources d’inspiration ?
Emilie Simon : Je suis très inspirée par l’image en général. Il y a le cinéma mais ça peut être aussi la peinture, la photo, ou tout simplement le paysage, ce que je vois lors de mes voyages me nourrit énormément, peut-être même parfois autant que ce que j’entends. Les couleurs, les ambiances, les lieux, les objets, les textures et même les parfums. Tout cela m’influence et m’inspire énormément pour écrire ma musique.
Tu parlais de voyages. Au-delà de la France et de Paris, on décèle dans tes nouvelles chansons d’autres sonorités, latino-cubaines sur Encre, asiatiques sur ‘Perdu dans tes bras’, ce disque est-il aussi un peu un carnet de voyage ?
Emilie Simon : Certainement, c’est un album qui a voyagé puisque je ne l’ai pas écrit spécialement tout le temps à Paris. Paris c’était un peu la base et l’inspiration de l’album mais je tournais et j’étais autant aux Etats-Unis sur la côte Est et la côte Ouest qu’en Asie, à Hong Kong, en Chine… Donc forcément mes albums reflètent souvent l’année que j’ai passée. C’a été le cas à la fin de la tournée de ‘The Big Machine’, on a beaucoup voyagé en Asie notamment. J’ai rapporté des instruments, et ensuite je suis partie à Bali, ça m’a inspiré le morceau qui s’appelle ‘Le Diamant’. Donc c’est forcément un carnet de voyage sans pour autant chercher à ce que ce soit le concept. Ça a simplement mûri avec moi, donc quand je voyage ça s’entend !
Et pour ce disque tu t’es également entourée de plusieurs personnes : Tahiti Boy, Ian Caple et David Khane. C’est quelque chose d’un peu nouveau pour toi ?
Emilie Simon : Oui, je m’entoure toujours de musiciens et de mixeurs et c’est la première fois que j’invite aussi des gens à co-produire des titres avec moi. C’était par curiosité, l’envie d’essayer ça. Envie aussi de partager mon univers et d’inviter quelqu’un qui pouvait apporter quelque chose que moi je ne pouvais pas spontanément apporter. Je vais prendre l’exemple de Ian Caple qui a vraiment un son, une esthétique, un passé beaucoup ancré dans les années 90 avec les débuts de Tricky. Il a un son particulier, une façon d’enregistrer les guitares, et c’est une culture musicale qui vient de son héritage à lui. Ce ne sont pas des choses que moi je pourrais faire. Mon spectre est large et j’adore ça, mais par rapport à ma génération et mon approche de la musique c’est un peu une autre planète et en même temps c’est compatible. Et donc j’avais envie de faire cette expérience-là avec des gens comme Ian Caple ou David Khane qui ont 30 ans de métier et une approche, une vision de la réalisation, un angle de vue extrêmement fascinant. L’expérience parle. Ensuite Tahiti Boy c’est plus une nouvelle génération, le regard légèrement décalé de quelqu’un qui vient d’un autre horizon mais qui est quand même plus contemporain. Donc c’était intéressant de voir comment toutes ces alliances pouvaient se passer et ce que ça allait donner à la fin.
En parlant de nouvelles expériences tu as également réalisé le clip de ‘Menteur’ où tu te mets en scène, comment était-ce ?
Emilie Simon : C’était génial, j’ai adoré faire ça. ‘Menteur’ n’était pas évident à mettre en scène car en fonction du clip qu’on lui fait c’est un morceau qui peut être perçu de manières complètement différentes. Donc par rapport au propos je me suis vraiment éclatée à faire cette histoire… de menteuse finalement ! Mais c’était complètement fou, je l’ai réalisé à Los Angeles, on l’a tourné dans le désert. J’ai monté mon équipe en trois semaines. Voilà, tout ça s’est enchaîné d’une manière un peu magique et on a tourné en une journée. J’ai fait l’expérience de la réalisation, mais aussi du repérage des lieux, du choix des costumes, de faire le casting de tous les acteurs, de la décoration… Le story-board aussi, j’ai dessiné chaque scène, chaque plan. C’était donc une super expérience pour moi de pouvoir voir chaque étape de la réalisation, ce qui je suppose n’est pas très loin de la logique d’un court métrage aussi, parce qu’on est plus proche d’un petit film que d’un clip où tu as juste quelqu’un qui joue devant la caméra. Il y a une histoire, des acteurs, on en a fait un clip mais j’ai le sentiment qu’on aurait pu développer les personnages et voir d’où elle vient, qui sont les autres, ce qu’ils font là… C’est ce qui me plaisait bien dans cette expérience.
Sur la version CD de ton album il y a une reprise du célèbre ‘Wicked Games’ Chris Isaak, pourquoi as-tu choisi cette chanson ?
Emilie Simon : Tout simplement parce qu’on a chanté ensemble dans un Taratata. On a fait un duo. Et j’avais réécouté ses chansons et j’adorais ce morceau-là qui me rappelait plein de choses quand j’étais ado. Je l’ai reprise pour m’amuser, et finalement comme je l’aime bien je l’ai mise en bonus sur l’album. Ça ne fait pas vraiment partie de l’album, c’est un titre bonus.
Parlons un peu de ta tournée. Tu avais très peu joué sur scène sur ‘Franky Knight’, là tu es au milieu d’une longue tournée, ça te fait du bien de retrouver la scène ?
Emilie Simon : Oui, c’est extrêmement agréable de retrouver la scène et de pouvoir développer tout ça à l’échelle d’une tournée. C’est vrai qu’on avait fait juste une date pour ‘Franky Knight’ et j’ai l’impression que ces dernières années c’était des dates un peu isolées, un peu exceptionnelles depuis la dernière tournée. Mais là, pouvoir s’installer dans un rythme de tournée, jouer tous les jours ou presque, façonner le show, peaufiner les détails, c’est vraiment une superbe opportunité pour créer quelque chose d’intéressant visuellement et au niveau sonore; quelque chose de cohérent, de pouvoir faire le tour de pas mal de choses en 1h30 et construire, raconter quelque chose aux gens.
Est-ce que le côté moins expérimental ou électronique de tes nouvelles chansons a changé ton jeu de scène ?
Emilie Simon : Oui, je suis plus libre. Après je ne sais pas si c’est du fait de l’électronique. C’est sûr, un petit peu, mais en même temps non. Je pense que c’est quelque chose de général, c’est une envie de pouvoir être libre, de ne pas être tout le temps attachée à une machine ou même derrière un clavier. Je le fais toujours avec plaisir, il y a toujours de l’électronique et toujours un petit peu d’expérimentation – évidemment moins qu’à l’époque où l’on faisait des sons avec l’eau…
…Comme à l’Olympia en 2006 ?
Emilie Simon : Oui, c’était très orienté là-dessus. Là on va plus faire un cocktail de plein d’albums différents, donc on évolue dans différentes époques. L’électronique est toujours présent, mais c’est vrai que j’ai l’impression de prendre de plus en plus de libertés.
Et pour revenir à Paris comme thème de l’album, finalement quelle est ta ville préférée, Paris, New-York, Montpellier… ?
Emilie Simon : Je ne peux pas dire… J’adore voyager! J’ai toujours une relation très particulière avec Montpellier qui est ma ville natale, c’est là où j’ai ma famille, donc j’ai un rapport à cette ville qui comporte beaucoup de tendresse, un rapport de coeur. Paris c’est une ville qui m’a apporté énormément, où j’ai rencontré des gens avec qui je travaille toujours depuis le début, où j’ai appris énormément et qui a été très bonne pour moi, que j’aime et que je trouve magnifique. New York ç’a été la ville de la nouveauté, de l’inconnu, du challenge… Une autre culture, une ouverture d’esprit, des superbes rencontres, une aventure en elle-même, c’est l’aventure! Je ne peux pas répondre parce que chaque ville, surtout quand on parle de villes comme ça… C’est comme comparer des fruits, des pommes et des poires! Chacune a vraiment une personnalité et quelque chose de magique – qui n’est pas en commun avec les autres – s’y passe. L’énergie, le côté frontal de New York peut être extrêmement grisant et très énergisant, euphorique même. Mais Paris c’est plus en camaïeu, entre les lignes. Il y a une volupté, un art du non-dit, de la subtilité que je retrouve à Paris qui est un petit peu moins présente à New York… Quoique! Chaque ville a vraiment sa propre palette de couleurs et quand je suis loin un peu trop longtemps Paris me manque, c’est un peu pareil pour New York et même Montpellier.
Puisque l’on parlait de Paris pour cet album il y a des quartiers que tu préfères?
Emilie Simon : J’aime beaucoup le IXème et le XVIIIème parce que j’y ai habité, le quartier Saint Germain parce que j’y ai étudié quand je suis arrivée, à la Sorbonne, Paris IV. Et le quartier Pompidou parce que j’adore le musée, l’IRCAM où j’ai découvert tellement de logiciels qui ont ouvert mes oreilles! Hum… j’aime le Marais, j’aime République, j’aime Oberkampf, j’aime…
…Paris!
Emilie Simon : J’aime Paris!
Propos recueillis à Paris le lundi 3 novembre 2014
Un grand merci à Emilie Simon, à Marie Rabottin pour avoir rendue cette interview possible, ainsi qu’à toute l’équipe de Barclay.
Pour plus d’infos:
Lire la chronique de ‘Mue’ (2014)
Les Folies Bergère, paris, lundi 3 novembre 2014 : compte-rendu / galerie photos
Showcase Fnac Ternes – Paris, mercredi 26 mars 2014 : galerie photos
‘Franky Knight’ (2011)
Interview d’Emilie Simon, le mardi 20 décembre 2011
Lire la chronique de ‘The Big Machine’ (2009)
Interview d’Emilie Simon, le 18 septembre 2009
Le Casino de Paris, dimanche 17 janvier 2010 : compte-rendu / galerie photos
Voir la galerie photos du concert au Point Éphémère, le jeudi 17 septembre 2009
‘L’Olympia’ (2007)
‘Végétal’ (2006)
‘La Marche De L’Empereur’ (2005)
‘Emilie Simon’ (2003)
L’Olympia, Paris, mardi 19 septembre 2006 : compte-rendu / galerie photos
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