Hier nouveau chantre de la Folk, Conor O’Brien, l’homme derrière Villagers, est revenu cette année avec un album qui en a surpris plus d’un : {Awayland}, un disque du XXIème siècle, aussi bien par sa musique que les thèmes qu’il aborde, et dont les chansons se sont écartées du modèle Folk acoustique classique pour ouvrir les bras aux samples et arrangements électroniques. Nous l’avons rencontré à l’occasion de son passage à la Cigale, voici donc le témoignage d’un chanteur qui met sa culture littéraire et son goût pour l’électronique au service de sa musique.
Depuis le premier album, la musique de Villagers a évolué vers quelque chose de beaucoup plus élaboré que de la simple Folk. Cette transition s’est-elle fait naturellement, en douceur ?
Villagers : Eh bien… Naturellement oui, mais je ne dirais pas que ça s’est fait en douceur ! C’a été assez tendu, avec pas mal de questionnement et d’auto critique, beaucoup d’allers retours. Mais c’est également comme ça que j’ai écrit le premier album. Ça n’a pas été tendre, c’était très instable. Il a fallu que je m’égare un peu afin d’en faire ressortir quelque chose d’intéressant. Donc naturel oui, doux non !
As-tu ressenti le besoin d’explorer de nouveaux horizons après ton premier album ?
Villagers : Oui, je pense. On voit beaucoup de groupes qui refont toujours la même chose parce que ça marche. Je déteste ça et je voulais m’assurer que ça n’arrive pas. Dans ma musique chaque chanson a son petit univers, sa propre logique, son propre charisme, et ça demande beaucoup de travail. Mais j’ai justement envie de mettre tout ce travail dans mes chansons. A cause de cela il faut peut-être quelques écoutes de plus que d’autres albums pour s’en imprégner, parce que tu ne restes pas sur le même son avec les mêmes émotions sur les 11 chansons. Je pense que c’est assez varié. Ça vient de ce besoin d’explorer, c’est pour ça que j’écris, que je créé.
J’ai lu que tu avais eu quelques problèmes d’inspiration pour écrire cet album?
Villagers : Oui. J’avais écrit quelques chansons en tournée, et quand je suis rentré je crois que quelque chose m’a empêché d’écrire les mêmes chansons Folk acoustiques et narratives. Ca ne m’intéressait plus et je n’écoutais rien de ce genre. Je pense que c’était un mal nécessaire. Quand tu as un blocage, ça te pousse à aller ailleurs, à explorer d’autres façons de faire les choses. Il fallait donc que j’en passe par là pour apprendre de nouvelles méthodes. Finalement j’ai été très excité par tout ce qui en est ressorti, apprendre à travailler sur les samples et les synthés notamment. J’étais très attiré par les textures. Mais c’est marrant, maintenant j’écris à nouveau des chansons basées sur la narration, j’imagine que je vais continuer à changer, à faire un pas en avant et en arrière.
Les éléments électroniques font partie de la nouvelle direction musicale empruntée par cet album. Ca peut être perçu comme quelque chose de surprenant de la part d’un chanteur comme toi, « étiqueté » Folk. Ecoutes-tu toi-même beaucoup de musique électronique?
Villagers : Oui, et par le passé aussi. Aujourd’hui j’écoute DJ Koze, c’est mon truc en ce moment, je l’écoute beaucoup. Mais j’écoute aussi beaucoup de musique électronique plus ancienne, comme Terry Reilly qui a fait beaucoup de choses minimalistes avec des loops, ça me met dans un état d’esprit qui est très intéressant et excitant pour moi. Je l’écoutais justement dans la camionnette en venant ici. Ca s’appelle « A Rainbow in Curved Air », ça date des années 70, aux débuts de l’Electro. Je me suis endormi pendant que je l’écoutais – je l’ai entendu tellement de fois et c’est très long – et dans mon sommeil j’ai cru que j’étais en train de faire ces sons moi-même, que j’étais avec mon groupe et qu’on marchait dans les rues de Paris – j’étais en train de rêver. Alors je me suis dit « il faut que j’enregistre ces sons! » et je me suis réveillé pour le faire, là je me suis rendu compte que j’étais toujours dans le van, en train de les écouter sur mon Iphone, c’était marrant!
Et comment a réagi le label quand il a entendu les premières chansons de {Awayland}?
Villagers : Ils ont d’abord entendu les démos qui étaient beaucoup plus électroniques, comme ‘The Waves’. Ils m’ont paru un peu sceptiques, du genre « OK, ça n’est pas vraiment ce à quoi on s’attendait ». Mais ça ne leur a pas posé de problèmes, ils ne me disent pas quoi faire, j’aime ça. Ca m’a pris un peu de temps pour me rendre compte que ce que j’avais fait n’était pas aussi bon que ça aurait pu l’être, que ça n’apportait rien de particulier aux chansons. Donc il a fallu que je me débarrasse de beaucoup d’arrangements électroniques. Donc je ne les ai pas vraiment gardés dans ‘The Waves’ ou ‘Earthly Pleasures’, ou ‘The Bell’. J’en ai plutôt laissé des parties ici où là.
Et que signifie {Awayland}, écrit ainsi entre crochets?
Villagers : Je voulais faire un titre qui soit un mot fabriqué, qui n’existe pas, en l’occurrence en collant deux mots ensemble. Et je voulais qu’il exprime les sentiments des chansons d’une façon sensuelle, plutôt que descriptive ou narrative. Le titre du premier album était presque comme celui d’une essai, c’était thématique. Là je voulais quelque chose de plus axé sur les sentiments des chansons, d’une manière très enfantine, parce tout ça est plutôt basé sur l’enfance et la perte de l’innocence, essayer de voir les choses sous cette perspective. Et pour les crochets je trouvais que c’était bien d’encapsuler littéralement les mots afin que l’album se présente comme un voyage qui traverse de nombreux endroits. Les crochets démontrent que c’est un voyage interne, qui se passe dans la tête. Sur chaque chanson le narrateur s’embarque dans un voyage mental, spirituel.
En parlant de voyage, les paroles de ‘Earthly Pleasures’ sont incroyables, ça pourrait faire un film de Michel Gondry ou de Terry Gilliam…
Villagers : Dis-leur ça! S’ils veulent en faire un clip!
Peux-tu me dire ce qui t’a inspiré pour cette chanson en particulier? De quoi ça parle?
Villagers : Ca parle de craquer, de faire une dépression, de perdre ses sens. C’est un peu de cela dont parle l’album. Quand on tire le tapis sous tes pieds, tout ce qui est au-dessous de toi disparaît subitement. Et je pense que tout le monde passe par de telles étapes dans la vie, moi oui en tout cas. Pour moi cette chanson était un moyen d’en rire, en créant une sorte de comédie. Le personnage passe par tous ces endroits, mais en fait il est tout le temps assis tout nu sur ses toilettes, en train de craquer en faisant « aaaahhhhh ». Il y a certaines choses qui apparaissent comme sa haine de certains aspects de la société. Il dit par exemple « Beelzebub is in our banks » (Belzébuth est dans nos banques, ndlr). J’imagine que j’avais ça en tête parce qu’à ce moment-là on parlait beaucoup de détournement d’argent par les banques et de toutes les choses terribles qu’elles ont fait avec l’argent du contribuable, surtout en Irlande. Tout le monde était très en colère, donc je pense que c’est pour ça que mon personnage dans la chanson est lui aussi fâché. Je pense qu’il essaie de se trouver à nouveau.
‘The Waves’ est une chanson que tu as écrite en réaction au tsunami, peux-tu m’en parler?
Villagers : Je me rappelle que je voyais les images du tsunami à la télé et elles sont restées dans ma tête parce qu’elles étaient si horribles. J’étais à la moitié de l’écriture d’une chanson et tout cela a commencé à ressortir dedans. Mais c’est devenu plus positif, je crois que j’essayais d’en faire quelque chose de plus métaphysique, comme les vagues qui te nettoient et qui effacent un peu tout ce que tu as en toi, comme pour te purifier. Mais tout cela vient de scènes très sombres. Quand tu vois de telles images tu te rends compte combien nous sommes minuscules. Tu vois les gens balayés comme des jouets et tu te dis, « oh, c’est dingue! ». Pour moi la seule chose positive que l’on puisse en tirer c’est que ça rend plus humble et permet de se rendre compte de ce qui est vraiment important, afin de faire de nous des individus plus pacifiques.
J’avais lu que ‘The Bell’ est un vieille chanson, que tu avais écrite il y a longtemps avec The Immediate (son précédent groupe, ndlr) que tu as continué à jouer en live au fil du temps. Quelle est l’histoire de cette chanson?
Villagers : Oui je l’ai écrite, et il y a une phrase, « senator of my skin » que j’avais prise à mon ami Dave de The Immediate, je lui ai piquée! mais ça va, il habite aujourd’hui à Berlin et nous sommes toujours bons amis. Sinon je pense que c’est juste une simple chanson qui explique que les mots ne suffisent pas toujours à exprimer une situation, un moment. Ca pourrait être celui de la mort, ou quand on tombe amoureux, ou le sexe, le jeu. j’essaie juste d’exprimer le fait que tout ce que l’on dit est juste un compromis. parfois les mots ne suffisent pas.
En parlant de tout ces thèmes, il semble qu’un ton très humaniste se dégage de l’album, est-ce quelque chose que tu recherches?
Villagers : Oui, je pense. J’ai étudié tout ça donc c’est un peu tout le temps dans ma tête. Mais je pense qu’il est difficile de classifier ce que tu fais parce que tu te retrouve vite enfermé dans une boîte et alors quand tu écris à nouveau tu te dis qu’il faut poursuivre ce que tu as fait la fois précédente. En ce moment par exemple je lis beaucoup de choses sur le concept de Dieu, c’est assez drôle parce que j’étais dans un état d’esprit plutôt athée quand j’ai écrit la plupart de ces chansons. Mais en ce moment Dieu ça m’intéresse.
La pochette de l’album est très belle. Est-ce que sa création est une chose très importante pour toi, dans laquelle tu t’impliques?
Villagers : Oui, en fait je crois que je fais tout moi-même, ensuite je le donne à quelqu’un d’autre qui assemble tout ça avec les paroles. Sur le premier album il s’agissait de mes dessins, et sur le second une photo de mon neveu que j’avais prise sur la plage à Dublin. J’ai mis tout ça dans un ordinateur et j’ai rendu sa tête translucide, et rendu la mer très psychédélique. Pour moi cela convenait aux chansons, j’aime le fait de voir quelqu’un de derrière.
Oui, chaque élément fait penser aux thèmes des différentes chansons, entre l’enfance, la mer pour ‘The Waves’…
Villagers : Oui, et l’immensité de l’océan aussi. Et on peut aussi voir l’océan dans sa tête, ce qui illustre le monde intérieur, cette idée de voyage. J’aime bien ça. Sinon j’ai commencé à faire de nouveaux dessins qui iront sur le prochain album j’imagine.
Serait-il juste de dire qu’aujourd’hui Villagers est un groupe à part entière, puisque chacun semble être beaucoup plus impliqué maintenant?
Villagers : Oui. Je pense cependant que je vais toujours garder un certain contrôle pour l’écriture. J’ai passé environ 8 mois à écrire tout seul et j’ai fait les démos et la plupart des arrangements aussi. Le groupe arrive alors pour le processus final. Ils apportent leurs idées pour rendre tout cela meilleur. Et puisqu’ils ont joué sur le disque, maintenant quand on joue sur scène je sens que les chansons leur appartiennent un peu plus. Donc oui, on est plus un groupe.
Il y a quelques années tu avais quitté The Immediate parce que tu voulais faire une carrière en solo, est-ce difficile pour toi de travailler à nouveau en collaboration avec d’autres personnes?
Villagers : Oui, enfin je veux dire que je ne pense pas être capable de collaborer avec quelqu’un en ce qui concerne l’écriture des chansons. J’aime ça et il faut que je le fasse seul. La seule personne avec qui j’ai fait ça, c’est mes amis Dave et Pete de The Immediate, parce qu’on a grandi ensemble, donc on avait cette connexion qui n’existe seulement qu’avec ceux qui se connaissent depuis l’âge de 11 ou 12 ans. C’était une grande partie de notre écriture, parce qu’on avait l’habitude de s’échanger de la musique et en parler. Je ne pense pas être capable de collaborer avec qui que ce soit d’autre pour l’écriture, donc je pense que je vais continuer seul. Mais pour les arrangements et tout le reste je suis très heureux de le faire. Le groupe est incroyable!
Est-ce que le fait d’avoir remporté un Ivor Novello Award et ta nomination au Mercury Prize ont changé quelque chose pour toi? Ca t’as mis la pression?
Villagers : Je ne crois pas avoir eu plus la pression. Je pense que ça a fait venir plus de monde à nos concerts et on a pu tourner plus aussi… C’était cool! En terme de pression je pense que c’est mieux si tu te l’imposes toi-même, je n’en ai jamais vraiment eu de la part de qui que ce soit d’autre!
Ces récompenses sont importantes pour toi?
Villagers : Oh oui, c’est excitant de recevoir un prix après avoir sorti son premier album. J’ai le sentiment que mes chansons ont été écrites dans le but d’être écoutées par tous. Ca m’a peut être mis un peu plus sur mes gardes parce que une fois que ça arrive et que tu reçois un prix, tu te dis « sur quoi vais-je écrire maintenant? Quelle est ma raison d’écrire? ». C’est une bonne chose, parce que ça prend du temps de se rendre compte combien cette raison d’écrire était finalement creuse et égocentrique, quelque chose du genre « Regardez-moi! ». Donc il faut trouver de nouvelles raisons d’écrire et ça te fait grandir. Tu n’es plus l’adolescent en train de bouder dans un coin, tu es intégré à une société et il faut apprendre à vivre avec.
Propos recueillis à Paris le mercredi 22 mai 2013.
Un grand merci à Villagers ainsi qu’à toute l’équipe de Domino France pour avoir rendue cette interview possible.
Pour plus d’infos :
Voir la galerie photos de Villagers à la Cigale, le 22 mai 2013
Lire la chronique de {Awayland} (2013)
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