Malgré ses 20 années d’existence bien tassées, Ash véhicule toujours cette image d’éternels ados, cette inséparable bande de potes nourris à la Power Pop américaine qui furent pourtant longtemps portés de façon bien involontaire par la vague Britpop. C’est surtout l’un des rares survivants de cette époque. Ils avaient juré il y a 8 ans qu’ils ne feraient plus d’albums, que des singles. Ils ont finalement changé d’avis et reviennent cette année avec l’excellent « Kablammo ! » qui reprend les choses là où « 1977 » et « Free All Angels » les avaient laissées…
Si je me souviens bien, en 2007 vous aviez affirmé que « Twilight Of The Innocents » serait votre dernier album et que vous vous concentreriez uniquement sur des singles ensuite, pourquoi avez-vous changé d’avis ?
Tim : Nous avons fait la série des singles « A-Z », c’était beaucoup de travail mais nous avions besoin de le faire pour trouver une nouvelle manière de travailler, de créer, et de faire un break de la routine des albums – tournées – albums – tournées…
Rick : Trois ou quatre ans plus tard nous avons en fait été surpris que le format « album » ne soit pas mort.
Tim : Puis le vinyle a commencé à revenir…
Mark : Nous pensions avoir un train d’avance, que nous allions être les précurseurs d’une nouvelle tendance.
Rick : C’est clair, nous avions vraiment un train d’avance !
Tim : Oui, un peu trop loin ! Mais bon, ça avait du sens de revenir avec un nouvel album parce que nous voulions recommencer à tourner avec de nouvelles chansons. C’est bien quand tu fais le tour du monde pour jouer un album. Je pense que nous avons vraiment fait ce que nous voulions avec « A-Z Series », notamment s’éloigner du format album. Mais je crois que nos fans voulaient que nous revenions avec un album !
Et vous étiez peut-être un peu épuisés après avoir sorti 26 singles en un an ?
Tim : Oui, nous l’étions, ça ne fait aucun doute !
Quel modèle préférez-vous finalement, album ou single ?
Tim : Il y a vraiment beaucoup de liberté quand tu ne fais que des singles, ce qui est bien…
Rick : Je crois que l’industrie musicale a encore envie de sortir des albums prévus pour une semaine précise et dont l’exploitation s’étend sur une longue période.
Mark : Il y a eu pas mal d’attention de leur part après avoir sorti les premiers singles. Nous en sortions un toutes les deux semaines et nous avons essayé de faire un clip pour chacune de ces chansons… C’est devenu trop ! Nous n’avions pas les moyens de tourner une vidéo pour chaque morceau.
Tim : Si nous avions eu plus de ressources nous les aurions vraiment poussés comme nous le voulions.
Rick : En parlant d’avoir un train d’avance, je pense que finalement l’industrie n’a pas vraiment changé et n’est pas prête à trouver un nouveau modèle. Elle veut juste attirer le maximum d’attention sur une seule sortie pour une certaine durée avant de passer à une autre.
Tim : J’imagine qu’il y a des gens qui sortent de la musique par d’autres moyens, comme sur Youtube par exemple !
Mark : Si l’on regarde en arrière, à ce moment-là toutes nos sorties étaient éclatées en singles individuels, mais tout a été compilé sur un CD pour que l’on comprenne bien qu’il s’agissait du même projet.
Tim : Mais pour répondre à ta question c’était fun de revenir avec un album et de relever ce nouveau défi ensemble !
Quant au financement de ce disque, vous êtes passés par Pledgemusic, la participation des fans c’était nouveau pour vous ?
Tim : Oui. J’avais partiellement utilisé Pledgemusic pour mon album solo juste avant, avec un système de précommandes et ça avait bien fonctionné. Ça nous enlève un peu de pression. On peut finir le disque comme on l’entend et rechercher ensuite un label au lieu de dépendre d’un contrat dès le début. Ça nous a apporté beaucoup de soutien et nous n’avons pas eu besoin de faire trop de choses dingues comme proposer qu’un membre du groupe vienne cuisiner chez toi, ce genre de trucs ! On n’a rien fait de tout ça ! Nous avons essayé de faire des choses sensées !
Rick : C’était un peu similaire pour les singles « A-Z », les gens payaient avant la sortie des chansons parce qu’ils s’étaient abonnés pour ça. Nous savions que les fans aimeraient ça et c’était plutôt cool à faire, notamment d’avoir cette interaction avec eux sur une longue période.
Et les fans ont beaucoup participé à cette campagne ?
Tim : Les gens étaient dingues, rien que le fait de savoir que leur nom figurerait sur l’album en tant que producteurs ça voulait dire beaucoup pour eux.
Mark : C’est vrai qu’en concert ça nous arrive souvent de voir des fans se pointer à la table du merchandising et nous dire « J’étais producteur de ton album » !
L’album s’appelle « Kablammo! », c’est un mot inventé ?
Tim : Non, c’est une onomatopée comme « kaboum ! », je suis sûr que c’est dans Batman !
Badaboum en français!
Tim : Oui, badaboum ! Ce n’est pas si loin de ça !
Et comment s’est passé l’enregistrement ?
Tim : Ça nous a pris quelque temps avant de déterminer quelle forme allait prendre le disque, parce que nous avions fait pas mal de sessions d’écriture auparavant, tous les deux mois environ.
Rick : C’était marrant les premiers jours, nous n’avions probablement jamais été éloignés des studios aussi longtemps, il y avait une sorte de nervosité, mais une fois que le train s’est remis en marche nous nous sommes surpris nous-mêmes. Tellement d’idées sont ressorties de cette première semaine et pas mal de chansons sont nées à ce moment-là. Le disque également était finalement presque fini après la première semaine, c’était excitant après avoir fait une pause aussi longue de pouvoir revenir avec d’aussi bons morceaux.
Tim : Nous avons quand même travaillé dessus longtemps pour nous assurer que les compositions avaient la force nécessaire pour faire un album. Nous ressentions une certaine pression du fait d’avoir dit auparavant que nous ne ressortirions plus d’albums, alors pour en faire un nouveau il fallait que ce soit vraiment bon, sinon les gens nous auraient crié dessus !
Rick : D’un point de vue mélodique aussi nous sommes revenus vers quelque chose comme « 1977 » ou « Free All Angels ». Tous nos albums s’approchent de ces deux-là, mais ils ont ce mélange de morceaux très Pop et d’autres très portés sur les guitares.
J’imagine que les titres enregistrés ces dernières années étaient une opportunité pour expérimenter, alors que sur l’album vous vouliez quelque chose de plus direct et accrocheur ?
Tim : Oui, l’idée était aussi de faire des chansons que nous pouvons facilement jouer en concert en trio.
Vous avez un studio aux Etats-Unis où vous avez enregistré l’album, mais je crois que seulement deux d’entre vous vivent là-bas, est-ce que ça rend les choses plus compliquées pour composer et enregistrer ensemble ?
Tim : Pas vraiment, nous avons trouvé le bon système. Rick nous rejoint et reste avec nous une semaine ou deux. Nous faisons tout le travail puis il repart, au moment où nous estimons avoir ce qu’il faut pour continuer en son absence. Puis il revient pour en faire plus…
Rick : Notre façon de composer a toujours fonctionné ainsi de toute façon, quel que soit l’endroit où nous vivons. Il faut trouver l’énergie au bon moment pour créer et développer les chansons, les paroles, les mélodies…
Tim : Quand nous étions à Londres Rick vivait à Belfast, donc nous sommes habitués à cette façon de procéder. Quand nous sommes prêts à faire quelque chose de nouveau Rick nous rejoint. Et depuis que nous avons 18 ans ça a toujours été comme ça.
Vous avez coproduit l’album avec Claudius Mittendorfer qui travaille avec vous depuis « Twilight of the Innocents », pensez-vous avoir trouvé le bon producteur pour Ash ?
Tim : Oui ! Il était déjà assistant du mixeur sur « Meltdown ». Nous partageons le studio avec lui et sommes très bons amis. Il a vraiment beaucoup de talent, il commence tout juste à faire partie des grands ingénieurs du son dans ce monde-là. Il a fait un album n°1 cette année avec Fall Out Boy… C’est l’un des trucs les moins cools qu’il ait fait ! Mais il vient de mixer deux nouveaux singles de Weezer, les deux derniers albums de Johnny Marr, il est vraiment en train de percer. Et puis c’est facile de travailler avec lui, il est vraiment détendu et il a de bonnes idées. C’est important pour nous de trouver quelqu’un qui puisse organiser le studio et être indépendant, mais qui nous propose surtout une qualité d’enregistrement aussi bonne que par le passé. Il a joué un rôle clé là-dedans.
Sur l’album il y a un morceau qui s’appelle ‘Evil Knievel’. J’ai dû enquêter pour découvrir qu’il s’agissait d’un cascadeur, un vrai casse-cou !
Tim : Ce n’était pas une légende en France ?!
En ce qui me concerne je ne le connaissais pas…
Tim : C’était l’un de mes héros quand j’étais gamin.
C’est un morceau instrumental…
Tim : Je crois que dès le début je l’ai écrit en ayant en tête un titre instrumental. Mais je me souviens quand nous avons enregistré les cordes à Londres notre manager nous a dit « Il faut l’approfondir, c’est génial ! ». Puis nous l’avons joué en concert et c’est là qu’il s’est rendu compte que ce serait un instrumental. En studio il pensait que j’y ajouterais des paroles. En tout cas beaucoup de gens aiment vraiment cette chanson.
Oui, c’est comme si vous étiez en train de faire du cheval…
Ash (rires) : Oui, c’est tout à fait ça !
Puis il y a le dernier titre de l’album qui est assez différent, ‘Bring Back The Summer’, avec une atmosphère plutôt années 60. Ça me rappelle un peu celle qui tu as écrites pour Shaun le mouton.
Tim : Je crois avoir écrit ça pendant l’été, donc j’étais d’humeur à ça. J’avais envie de ce côté nostalgique sur « Kablammo ! » parce qu’on passe tellement de temps à regarder nos vieux disques, des chansons comme « Oh Yeah » ou « Walking Barefoot », ce sont des chansons d’été. Donc « Bring Back The Summer » est dans cet esprit-là, une chanson d’été nostalgique.
Tu avais enregistré un album solo avant celui-ci, est-ce que cela a été bénéfique pour le groupe, d’être séparés pendant un moment ?
Tim : Je pense que oui. Ce qui m’a ennuyé c’est que ça a pris plus de temps que prévu, mais ça m’a permis de revenir vers Ash avec de nouvelles perspectives. Et je me suis rendu compte que c’était un vrai challenge de faire un album solo parce que j’ai tellement l’habitude d’avoir Mark et Rick avec moi. C’était bien de revenir à ça après l’avoir fait.
Quand vous avez débuté dans les années 90, pensiez-vous que vous seriez toujours là plus de 20 ans après ?
Tim : Je crois que c’était un rêve mais on ne s’y attendait probablement pas.
Mark : Nous ne nous sommes jamais projetés beaucoup plus loin que la prochaine tournée, le prochain album ou ce que nous allions faire la semaine suivante. Tu ne penses pas vraiment à 20 ans plus tard.
Tim : Notre manager essayait toujours de nous faire peur en nous disant que notre carrière allait se terminer. On avait tendance à l’appeler ‘la faucheuse’ ! Mais c’était son moyen de nous garder concentrés sur notre travail. En tout cas nous avons toujours essayés d’être inventifs, inspirés par nous-mêmes et par les fans.
Mark : Et nous avons toujours eu le sentiment que le travail n’était pas terminé, qu’il nous restait encore quelque chose à prouver.
Rick : Peut-être n’avons-nous jamais ressenti la reconnaissance que nous espérions, d’où cette envie constante de nous prouver à nous-mêmes et aux gens quels super groupe nous sommes.
Vous l’êtes !
Tim : Haha, merci !
Rick : OK ! Nous pouvons prendre notre retraite alors maintenant? (rires)
Vous êtes toujours restés ensemble depuis le début, comment expliquez-vous cette longévité ? Vous êtes un peu comme une famille.
Tim : Oui, quand nous avons commencé Mark et moi étions très impliqués dans le groupe. Nous avions même un autre groupe avant Ash, mais lui et moi étions vraiment les deux les plus motivés, nous avons eu la chance de rencontrer Rick qui était comme nous. A trois nous formons une petite équipe qui fonctionne. C’est principalement basé sur l’amitié. Nous sommes passés par toutes les mauvaises choses qui peuvent arriver à un groupe.
Et l’époque où Charlotte était avec vous, ça vous manque ?
Tim : En fait nous sommes toujours très bons amis. Ça fait longtemps que je n’ai pas pensé à ça parce que nous nous sommes vraiment réhabitués à jouer en trio. Je crois que c’est moi que ça affecte le plus parce que je dois jouer plein de parties de guitares différentes alors que nous étions deux à le faire. Mais Charlotte est une amie, et c’est quelqu’un de vraiment drôle à côtoyer.
Rick : Après « Meltdown » nous étions conscients que ce serait musicalement différent, peut-être aussi l’occasion d’expérimenter avec des chansons différentes, il s’agissait d’être à nouveau confiants et à l’aise en tant que trio.
Et puis Charlotte a fait de super trucs en solo.
Tim : Oui, elle est douée. Je crois qu’elle va revenir l’année prochaine avec un nouvel album. Elle va jouer avec nous à Londres dans quelques jours.
Sur scène c’est devenu plus difficile de jouer les chansons que vous faisiez à quatre ?
Tim : Seulement quelques-unes, nous avons réussi à adapter la plupart d’entre elles. ‘Projects’ est assez compliquée à jouer sans deux guitaristes.
Sur la précédente tournée vous aviez Russel de Bloc Party ?
Tim : Oui, Russel était avec nous, particulièrement parce qu’il peut jouer d’autres choses en plus comme des claviers… Il joue ce soir avec Bloc Party ! (C’était le même soir qu’Ash à Paris, ndlr).
Quand vous regardez en arrière et revoyez le grand succès que vous avez connu avec « 1977 » ou « Free All Angels », vous sentez-vous un peu nostalgiques de cette époque ou est-ce mieux maintenant, avec peut-être un peu moins de pression et de couverture media?
Tim : Il y avait certainement une pression assez forte liée au succès, qui nous poussait d’ailleurs à faire des choses avec lesquelles nous n’étions pas nécessairement d’accord mais que certains croyaient convenir à notre style. Par exemple figurer dans ‘Teen Girl magazine’, ou des trucs comme ça ! C’était un peu bizarre. Mais c’est super d’avoir ses chansons à la radio, de les jouer en concert et de voir les gens devenir complètement fous en face. Ce sont les bons côtés de cette époque-là.
Mark : Quand nous allions au Japon, nous descendions de l’avion à Tokyo, ou même en Thaïlande, et il y avait des centaines de fans qui criaient à l’aéroport, c’était complètement dingue.
Tim : Et nous étions aussi très jeunes, donc il y a aussi une certaine nostalgie de la jeunesse.
Vous étiez plus en forme pour faire la fête !
Tim : Oui, c’est sûr !… Mais c’est toujours le pied de jouer en concert. Il y a du bon à jouer des chansons que les gens connaissent depuis 20 ans.
Ce soir vous allez jouer un set en commun avec We Are Scientists, vous avez déjà fait ça avant ?
Tim : Oui, nous l’avons fait sur deux concerts en Australie. C’était parce que nous étions tous deux têtes d’affiche, c’était un moyen de faire plaisir aux fans des deux groupes, c’était vraiment sympa de revenir à la fin. Ça s’est développé et nous avons voulu faire ce super groupe sur la plupart des concerts.
Vous êtes bons amis, je crois que vous avez déjà enregistré un single ensemble il y a quelques années ?
Tim : Oui, nous sommes devenus très bons amis. Nous n’habitons pas très loin les uns des autres à New York d’ailleurs, donc nous nous voyons beaucoup.
Pour finir, Ash est-il maintenant prêt à revenir à la routine album-tournée-album… ?
Tim : Probablement oui !
Rick : Nous sommes contents de ce que nous venons d’accomplir avec « Kablammo ! », nous voulons continuer à faire de nouvelles chansons.
Mark : Ca nous donne aussi envie de tourner à nouveau en Europe, parce que nous n’avions pas fait de tournée européenne depuis longtemps. Et sur cette tournée c’est bien de voir que les gens viennent encore, qu’ils en ont encore envie, c’est un bon support pour continuer à construire.
Surtout que la dernière fois que vous êtes passés à Paris, c’était en 2010, mais avant je ne sais même plus…
Tim : Oui ça faisait longtemps, peut-être 2004. Je crois qu’un de nos concerts avait été annulé en France parce que notre car était tombé en panne, c’était embêtant ! Mais nous sommes de retour ! (We’re back !).
Propos recueillis à Paris le 1er décembre 2015.
Un grand merci à Ash, à Karen Raharivohitra de Verycords pour avoir rendue cette interview possible, ainsi qu’à toute l’équipe du Petit Bain.
Pour plus d’infos :
Lire la chronique de ‘Kablammo!’ (2015)
Le Petit Bain, Paris, 1er décembre 2015 : galerie photos
INROCKS INDIE CLUB, la Maroquinerie, Paris, mercredi 23 juin 2010 : compte-rendu / galerie photos
Twilight Of The Innocents (2007)
Meltdown (Edition Limitée 2CDs – 2004)
1977 (1996)
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