Farao, c’est Kari Jahnsen. Auteure, compositrice, multi-instrumentiste, cette norvégienne nous dévoile depuis quelques années déjà des chansons envoûtantes au compte-goutte sur la toile. Après son 1er EP sorti en début d’année dernière, son album se faisait grandement attendre. Voici chose faite avec ‘Till It’s All Forgotten’, un disque surprenant et audacieux, à son image. Et une fois n’est pas coutume, c’est elle qui pose d’abord les questions !
Farao : Comment as-tu entendu parler de moi ?
Je connaissais une chanson qui s’appelle ‘Forces’ que j’avais découverte sur internet il y a un couple d’années. J’ai ensuite surveillé l’arrivée de nouvelles chansons, dont ton EP l’an dernier.
Farao : J’aime bien ton T-shirt !(me dit-elle, pointant son doigt vers mon T-shirt de St. Vincent). Je l’ai vue en concert la semaine dernière à Roskilde festival!
Maintenant c’est à mon tour de te poser des questions ! Peux-tu te présenter un peu, d’où viens-tu Farao, quand as-tu commencé à faire de la musique ?
Farao : J’ai grandi en Norvège dans un village de 500 habitants, vraiment tout petit, dans les montagnes au Nord d’Oslo. J’y suis restée jusqu’à l’âge de 19 ans. Mon intérêt pour la musique a commencé quand j’avais environ 10 ans, en écoutant beaucoup de Destiny’s Child, TLC, Salt ‘N’ Pepa et plein de trucs R&B ! Puis à 14 ans j’ai découvert le Punk, le Rock, le Grunge… J’ai donc traversé une période Nirvana, Queens of the Stone Age, et tout ce qui concernait Dave Grohl, les Foo Fighters… J’étais pas mal accro à lui ! Après ça vers 16 ans j’ai commencé à écouter des choses que j’écoute encore, comme Radiohead, Sigur Ros, Björk, St. Vincent… Ensuite à 19 ans je suis partie pour aller étudier la musique à Londres.
Et depuis combien de temps y es-tu maintenant ?
Farao : 5 ans, mais j’ai déménagé à Berlin il y a trois mois.
Ah ! Parce que je me demandais si après tout ce temps passé en Angleterre tu ne te sentais pas un peu plus Anglaise maintenant.
Farao : Si, bien sûr ! D’une certaine manière je me sens plus à la maison en Angleterre qu’en Norvège, principalement en raison de la musique. Je joue un rôle plus important sur la scène musicale britannique qu’en Norvège. Donc de ce point de vue je me sens à la maison là-bas.
Et à quel moment as-tu décidé de devenir auteur-compositeur ?
Farao : J’ai voulu faire ça quand j’ai décidé de partir pour aller étudier la musique, à 19 ans. C’est là que ça a commencé à devenir sérieux pour moi, ce n’était plus juste un hobby.
Comment décrirais-tu ta musique ?
Farao : Je ne sais pas! C’est probablement ce qu’il y a de plus dur comme question pour un artiste. En terme de genre je pense que ça se situe quelque part dans le monde Pop semi-électronique.
Je te pose cette question parce que ta musique est en fait difficile à décrire.
Farao : Et j’aime que les gens aient du mal à la décrire ! Ça veut dire que je ne rentre dans aucun moule, c’est un mélange de beaucoup de choses.
Ton vrai nom est Kari, pourquoi as-tu choisi Farao comme pseudonyme ?
Farao : C’est « pharaon » en norvégien. J’aimais la manière dont ce mot sonnait et puis c’est quelque chose de puissant, ça représente un être de pouvoir et je voulais projeter cela.
Comme je te le disais j’ai découvert ta musique avec ta chanson ‘Forces’, puis ton EP l’an dernier. En comparaison ce premier album est un virage complet vers une musique beaucoup plus électronique. Le côté Folk a quasiment disparu de ta musique, comment est-ce arrivé ?
Farao :J’en avais vraiment, vraiment marre de faire de la musique Folk (rires) ! J’en écoute toujours de temps en temps mais je ne voulais plus en faire. Je suis quelqu’un d’assez agité et je me lasse plutôt facilement. Je suis aussi facilement attirée par d’autres choses, et précisément par la musique électronique, et c’est ce je voulais faire maintenant. La plupart des chansons de l’album ont été écrites au piano et au synthé. Les seules écrites à la guitare sont ‘Hunter’ et ‘Bodies’, les deux singles.
En effet, la première chanson dévoilée a été ‘Hunter’, de quoi parle-t-elle?
Farao : Ça parle d’intimidation, le fait d’être intimidé par quelqu’un d’autre.
Par « le chasseur » ?
Farao : Oui, c’est ainsi que j’ai choisi de le décrire dans la chanson.
La plupart des chansons de l’album ont donc été écrites plutôt récemment non ? Ou certaines d’entre elles remontent-elles plus loin dans le passé ?
Farao : J’ai commencé à les écrire en début d’année dernière, et l’enregistrement a débuté en mars mais je n’avais pas encore écrit tout l’album. J’ai ai d’abord passé deux semaines pour une première session avant de retourner à Londres, composer plus de chansons, et d’enregistrer finalement l’album en trois sessions. Donc l’enregistrement a duré de mars à juin l’année dernière.
Et tu as enregistré ton album en Islande ?
Farao : Oui. Mon producteur (Mike Lindsay, ndlr), avec qui j’avais enregistré mon EP, habitait là-bas et il y avait un studio. C’était un peu par hasard au début, mais j’ai tellement pris de plaisir à y enregistrer mon EP que je voulais y retourner pour y faire l’album.
Ton producteur, Mike Lindsay, est également le leader de Tunng. J’imagine que c’était un choix idéal, vu qu’il a un certain goût pour les expérimentations et le mélange des musiques Folk et électronique ?
Farao : Oui, absolument. Il n’a vraiment pas peur des idées bizarres et de faire les choses de manière non conventionnelle, ce que certaines personnes pourraient percevoir comme mauvais. Il s’agissait plus de capturer l’instant que de passer des heures à obtenir le bon son pour la voix par exemple, ou d’utiliser les micros les plus chers ou la meilleure batterie du monde. On a utilisé des trucs que j’avais enregistrés sur mon iPhone. Ça sonnait bien, alors pourquoi pas ? Alors que certaines personnes pourraient te dire « oh non tu ne pas peux faire ça, on ne fait pas les enregistrements comme ça ! ». Je pense que ça peut s’entendre sur l’album, il est plutôt enjoué. On s’est beaucoup amusé à le faire.
De la première chanson ‘TIAF’, à l’introduction de ‘Bodies’, ou l’instrumentation de ‘Feel’ à l’humeur joyeuse, j’en viens à penser que le rythme et sa maîtrise est l’élément clé de ce disque, es-tu d’accord ?
Farao : Oui, absolument ! C’était l’un des points sur lesquels je voulais me focaliser sur cet album. J’ai passé beaucoup de temps à écrire les parties de batterie. Je les ai quasiment toutes composées moi-même. Certaines ont été faites par le batteur qui m’accompagne en tournée, d’autres par celui du studio qui joue sur l’album. Je voulais que chaque chanson soit reconnaissable par son rythme, de façon à ce que même en entendant seulement la batterie tu puisses deviner de quel morceau il s’agit. Et donc s’assurer que chacun ait sa propre identité rythmique. J’ai passé beaucoup de temps à préparer ça.
L’album s’intitule ‘Till It’s All Forgotten’, c’est également le titre d’une chanson…
Farao : Oui, tout l’album parle d’aller de l’avant, de passer à autre chose en laissant des choses derrière.
Derrière l’électronique, je trouve que cet album est aussi un mélange de beaucoup de genres, en passant de l’Indie à la Pop, mais j’ajouterai également le Jazz sur le jeu de piano de ‘Mazes’ ou la musique et les rythmes brésiliens sur ‘Are You Real’. Y-avait-il derrière tout cela une intention claire d’être imprévisible sur l’album, comme si chaque chanson était une nouvelle surprise ?
Farao : Je voulais m’éloigner du son de mon EP. Je voulais que ce soit un travail vraiment distinct qui soit toutefois une continuation de ce que j’avais fait auparavant. Les artistes qui font le même album à chaque fois m’ennuient vraiment, en se disant qu’ils ont cette recette du succès qui marche et qu’il suffit de répéter. Donc j’étais vraiment consciente du fait que je voulais beaucoup m’éloigner de ce que j’avais fait auparavant. Ça ne me gênait pas de mélanger plein de choses différentes. Beaucoup de mes amis sont musiciens, et je me considère comme telle moi aussi, mais quand tu enregistres un album tu te demandes « qui suis-je ? Comment sonne ma musique ? ». Et ça peut avoir tendance à te freiner. Tu es dans une bulle et tu te dis « j’ai envie de faire ça » puis tu te dis « non, c’est en dehors de mes compétences, je ne peux pas faire ça ». Mais si, tu peux !
A part toi, qui joue sur le disque, y-a-t-il d’autres musiciens ?
Farao : Je joue au piano, aux synthés et de l’orgue… la guitare, les voix, la cithare… J’en ai sans doute oublié ! Puis il y a mon ami Maggi (du groupe Sin Fang, ndlr) qui joue de la batterie, c’est le meilleur batteur du monde ! Mon ami Bergur joue quant à lui du tuba et du trombone.
En parlant de groupe, comment tes chansons prennent-elles forme sur scène ? Sont-elles fidèles au disque, ou au contraire laisses-tu la place aux expérimentations ? Tu joues avec un groupe ?
Farao : C’est juste moi et mon batteur James. Juste nous deux. Je joue de la guitare, des synthés et je chante et lui s’occupe de la batterie et parfois des synthés. Ça reste plutôt fidèle à l’album, comme nous ne sommes que deux il faut rester assez strict, mais ça sonne toujours comme un groupe parce que la batterie est si importante sur l’album que c’est ça que j’ai décidé de garder en concert. Auparavant je jouais avec plus de monde, mais je préfère capturer l’essence des choses plutôt que d’avoir trop de choses qui se passent sur scène. Donc j’ai choisi la batterie !
Certaines influences se font sentir sur ton album. Je citerais notamment Björk ou les compositions les plus récentes de Radiohead, mais sans être vraiment capable de nommer précisément un artiste comme une influence majeure chez toi. Qui écoutes-tu ?
Farao : Moi ? Björk !… Radiohead ! St. Vincent dont nous avons parlé. Ces derniers temps j’ai beaucoup écouté d’Afrobeat, de la Disco et du Funk nigérian. C’est peut-être là que j’ai trouvé la ‘vibe’ de ‘Are You Real ?’. Et j’ai déjà commencé à enregistrer mon deuxième album et il y aura pas mal de trucs Afrobeat ! Enfin, dans cette direction, mais ça, c’est pour la prochaine interview ! Pour revenir à ce que j’aime en ce moment j’écoute Jaakko Eino Kalevi, c’est un chanteur Finlandais, c’est vraiment super, je l’adore. Il a fait un album de Jazz il y a quelques années qui est également incroyable. Sinon j’aime beaucoup le dernier album d’Unknown Mortal Orchestra. Et je viens de découvrir une compilation de Funk psychédélique religieux norvégien des années 70! C’est incroyable ! Je ne suis pas du tout dans la religion, mais j’ai tellement écouté cet album que mes voisins pensent sans doute que je suis une fanatique !
Et y-a-t-il des artistes avec qui tu rêverais de collaborer un jour ?
Farao : Une fois encore, St. Vincent ! Je l’aime beaucoup, et notamment son dernier album. Je l’ai vue plusieurs fois en concert, mais la dernière fois au festival de Roskilde je me suis vraiment rendue compte à quel point elle est talentueuse. J’ai été impressionnée par sa prestation, c’était incroyable, ‘so fucking good’ ! Donc si je devais faire une collaboration maintenant, ce serait sans aucun doute avec St. Vincent!
Propos recueillis à Paris le mercredi 8 juillet 2015. Crédits photos Ella Schultz.
Un grand merci à Farao, à Antoine Corman, Claire Mériguet et Jennifer Havet pour avoir rendue cette interview possible, ainsi qu’à toute l’équipe de Pias France.
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Galerie photos du concert au Pop Up du Label, le 9 octobre 2015
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