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GARBAGE – Interview – Paris, mardi 12 avril 2016

Après plus de 20 ans de carrière, Garbage est l’un de ces rares groupes toujours capable de faire cohabiter intégrité et succès planétaire. A quelques jours de la sortie de ‘Strange Little Birds’, leur sixième album studio, nous avons eu le plaisir de nous entretenir avec Shirley Manson qui est longuement revenue sur leur parcours et la genèse de ce nouveau disque. Une artiste authentique guidée par la passion qui n’a certainement pas la langue dans sa poche.

GARBAGE - Interview - Paris, mardi 12 avril 2016

« Strange Little Birds » est le deuxième album que vous sortez sous votre propre label Stunvolume. Que tires-tu de cette expérience, en es-tu satisfaite, penses-tu que vous avez pris la bonne décision ?

Shirley Manson : Oui, je pense que c’était vraiment la bonne décision, mais c’est traumatisant parce que tu sais, nous ne sommes pas des gens qui font du business naturellement. Nous n’excellons pas dans cette tâche lorsqu’il s’agit de distribuer notre musique. Il y a en permanence beaucoup de critiques de fans qui nous disent que nous échouons en tant que soi-disant maison de disques. Mais nous apprécions la liberté que cela nous a donné. Beaucoup du stress qui émanait du fait de se retrouver pour ainsi dire dans le même lit qu’une Major du disque a disparu. Oui, nous avons d’autres responsabilités et soucis maintenant, mais d’une manière générale nous ne regrettons pas du tout nos choix. Nous sommes conscients que notre business s’en retrouve diminué parce que nous ne pouvons pas rivaliser avec la distribution des Majors, c’est impossible, mais c’est notre décision.

Quand vous avez joué à Paris en novembre dernier j’ai remarqué que tu parlais beaucoup au public…

Shirley Manson : Je parle toujours beaucoup !

Je me souviens que tu avais évoqué votre comeback il y a quatre ans, qu’il avait été difficile de convaincre les gens de l’industrie musicale de simplement décrocher le téléphone pour vous soutenir avec ce retour. Est-ce que ce fut plus facile cette fois-ci ?

Shirley Manson : Oui ce fut plus facile, et c’est une chose pour laquelle nous nous sentons très reconnaissants. C’est un privilège de pouvoir aller dans n’importe quelle ville et que des gens veuillent te rencontrer pour parler de ton travail. Et c’est quelque chose que nous n’avons jamais considéré comme acquis, c’est assez stupéfiant en fait ! Là je me réveille à Paris et je peux parler de mon travail, c’est obscène à quel point j’ai de la chance ! Quand je pense à mon pauvre père qui a dû travailler de l’âge de 22 ans jusqu’à la retraite… Donc c’est vraiment époustouflant.

Il y a une dizaine d’années tu avais pris du recul par rapport à l’industrie musicale. Penses-tu qu’il y a eu des changements à ce niveau-là qui t’ont donné envie de revenir ?

Shirley Manson : Absolument pas ! Moi j’ai changé. J’ai grandi, des ailes m’ont littéralement poussées, et au groupe aussi. Nous avons finalement été capables de voir ce qu’était vraiment la maison de disques à laquelle nous étions signés, c’est-à-dire de l’avidité et de l’insanité commerciale. Quand les gens deviennent aussi cupides, quand ils te disent que tu n’as vendu qu’un million de disques, il y a un moment où tu prends du recul et tu te rends compte que tu as affaire à de la folie pure. Tu sais, au moment où tu fais un pas en arrière et ce que tu regardes prend forme et devient net, c’était ça, je me suis dit « ces gens sont fous et nous ne voulons pas vivre comme ça » ! Et devoir rendre des comptes à des gens dont les valeurs ne sont pas les nôtres, ça n’avait aucun sens. Ça nous a dégoûtés et nous ne voulions rien avoir affaire avec eux à la fin parce que nous ne voyons pas le monde ainsi et ce n’est pas notre manière de procéder en tant que personnes. Nous ne voulions faire faire partie d’une école de pensée qui ne veut rien faire d’autre que d’exploiter les gens. Je ne veux pas de ça dans ma vie, c’est malsain. Nous avons donc rejeté tout cela, puis nous avons mûri et nous nous sommes aperçus que nous pouvions revenir dans la musique selon nos propres conditions. Et oui bien sûr il faut survivre économiquement mais pas forcément à la charge des gens. De combien d’argent ces gens ont-ils donc besoin ? Je ne comprends pas.

GARBAGE - Interview - Paris, mardi 12 avril 2016Et comment as-tu vécu cette période, 7 années en retrait je crois?

Shirley Manson : C’était dur à l’époque, particulièrement les deux premières années parce que je n’avais pas compris ce qui s’était passé, je n’avais pas de perspective, ma boussole était totalement désorientée. Je ne savais plus ce qui était bien ou mal, en haut ou en bas, j’avais juste le sentiment que nous avions échoué. Quoiqu’il se soit passé nous avions échoué d’une certaine façon. Quand ta maison de disques te dit qu’un million de disques vendus ce n’est pas assez tu commences à te demander « est-ce que je suis folle ? Parce que je pense que ça fais beaucoup de disques. Mais peut-être suis-je folle en effet ». Et ça m’a donc pris deux ans avant de retrouver mes marques et d’avoir une image plus claire de ce qui s’était passé. Rétrospectivement je me suis rendue compte que ça n’avait rien de personnel et que les ventes de tous les groupes étaient en chute libre. Et l’industrie a mis du temps avant de comprendre ce qui se passait, donc ils ont tenu de nombreux groupes pour responsables, des groupes qu’ils tueraient pour avoir maintenant. Ils ont laissé tomber de nombreux artistes parce qu’ils voyaient les ventes sombrer, en se disant « ils sont finis, inutiles, ils n’ont plus aucune valeur » et ils se sont débarrassés d’eux, sans se rendre compte qu’ils allaient soudainement se retrouver tous seuls. Et maintenant ils essaient désespérément de développer des artistes dans un climat où il est presque impossible de construire une carrière, à moins d’atteindre la partie la plus mainstream et commerciale de la Pop.

Venons-en au nouvel album maintenant ! Tu as dit qu’il fait écho à votre premier disque, de quelle manière ?

Shirley Manson : Ironiquement nous avons commencé à faire des disques parce que nous aimions tout ce qu’il y avait de triste, de solitaire et d’isolement dans la musique. Puis bien sûr nous avons eu beaucoup de succès et nous avons essayé des choses différentes. Nous avons commencé à être plus fascinés par la musique électronique et la technologie, parce que nous étions littéralement au début de la révolution technologique. Puis nous avons étudié des idées de production plus Hip Hop qui étaient de plus en plus populaires, avant de faire un album plus dirigé par les guitares. Tu t’embarques en voyage avec un groupe et nous avons été ensemble assez longtemps pour avoir fait le tour complet, donc nous voulons revenir vers une musique aux accents très sombres. Ça reflète l’époque dans laquelle nous vivons et pour nous refléter ce chaos dans lequel nous vivons nous voulions être le plus authentiques possible.

Et penses-tu que le fait d’avoir rejoué le premier album en concert dans son intégralité l’an dernier a eu une influence sur vos nouvelles compositions ?

Shirley Manson : Probablement pas parce que nous avions fini d’écrire le nouvel album avant de partir en tournée pour fêter l’anniversaire du premier. Mais je suis sûre que d’une manière ou d’une autre c’était présent dans notre inconscient, peut-être un peu donc, sans nous en rendre compte à l’époque.

Quel a été le point de départ de cet album, une chanson ?

Shirley Manson : La première chanson que tu peux entendre sur le disque (‘Sometimes’, ndlr) fut le point de départ. Ça s’est passé dès le premier jour, pendant une session d’enregistrement. Steve Marker (le guitariste, ndlr) est arrivé et il nous a dit « j’ai un titre instrumental sur lequel j’ai travaillé, j’ai envie de vous le jouer ». Nous nous sommes assis pour l’écouter et nous sommes restés sans voix, parce qu’on pouvait ressentir la tension dans la musique et c’était excitant. Et quand il a terminé nous avons tous dit « il faut que ce soit le début ! ».

Cette chanson a montré la voie au reste de l’album ?

Shirley Manson : oui, ça a mis en place le modèle pour le reste du disque. Quand Steve nous a joué ce morceau il nous a tous fait ressentir quelque chose et c’est très puissant. Si tu peux faire ça avec un morceau de musique c’est vraiment dingue. Chaque membre du groupe est un peu entré en compétition avec Steve parce qu’il savait qu’il avait fait quelque chose de spécial et nous voulions faire aussi bien. Je crois que nous avons tous travaillé très dur pour susciter l’excitation des uns et des autres dans le studio, et je crois bien que c’était la première fois en ce qui nous concerne. En général le groupe a beaucoup confiance en lui et est donc capable de faire quelque chose de bon si on lui donne assez de temps en studio, mais là il fallait capturer cet instant, et c’est une performance, une réalisation qui ne peut pas être fabriquée par ordinateur, il faut que ce soit ton histoire, humaine et authentique, qu’elle vienne de l’intérieur.

J’ai lu que l’album contient apparemment des références à des lettres de fans que tu as reçues ?

Shirley Manson : Le titre de l’une des chansons a été inspiré par une lettre de fan, envoyée par une jeune fille russe de 19 ans qui me l’a donnée après un concert à Novgorod. Elle avait écrit cette lettre incroyablement belle qui ressemblait plutôt à un essai sur ses peines de cœur qui étaient associées aux lieux d’intérêt que nous avons pu voir à Novgorod alors que nous arrivions et traversions la ville en voiture. Le titre ‘Night Drice Loneliness’ a été inspiré par cette lettre, je savais que je voulais l’utiliser pour un titre de chanson parce que c’était vraiment beau, cette idée de traverser une ville et de voir tous ces endroits où tu as été heureux dans le passé.

Tu reçois beaucoup de marques d’amour de la part de tes fans, je me souviens qu’à votre dernier concert parisien quelqu’un t’a donné un cadre fait maison avec une photo de toi et ton chien.

Shirley Manson : Oui, c’est une incroyable expérience de pouvoir donner au monde ta parole, ta musique, tes textes, et de créer un lien avec les gens grâce à ça. Sans mentir, quand ce genre de choses arrive, quand tu vois que quelqu’un est touché par ce que tu fais, tu es toi-même touché. Ça marche dans les deux sens. C’est un lien étrange, profond et puissant, que nous avons tissé ensemble. Je sais que nous parvenons à faire sentir nos fans moins seuls, ou moins bizarres. Ils peuvent se dire « oh tiens ! Il y a d’autres personnes qui se sentent comme moi ». Alors quand les fans interviennent, et nous nous sentons nous aussi compris et moins étranges. Nous ne sommes pas seuls tu vois ! Il y a un gars à Paris qui s’appelle David (moi ! ndlr) qui a un lien avec nous !

Tu essaies d’ailleurs de garder une certaine proximité avec tes fans, par exemple sur les réseaux sociaux où tu t’exprimes sur de nombreux sujets. Tu échanges avec eux, tu les invites à participer.

Shriley Manson : Oui, parce que je trouve ça intéressant. Je ne veux pas non plus faire croire aux gens que d’une manière ou d’une autre nous allons devenir amis, je dois faire attention. Mais il y a des fois où j’entends ce que les gens ont tweeté, partagé sur Facebook ou Instagram… et je vois qu’ils ne vont pas bien. Ils souffrent et veulent être entendus. Et je me dis parfois « qu’est-ce que ça me coûte de prendre une seconde de ma journée pour leur dire que je les ai entendus ? ». Je ne le fais pas pour tout le monde et il faut que je fasse le tri, sinon je passerais toute la journée sur les réseaux sociaux, mais de temps en temps je remarque que je peux aider quelqu’un à se sentir mieux, même si c’est juste pour une minute. Et je me dis c’est un privilège de permettre à quelqu’un de se sentir bien, juste avec un tweet, même si ce n’est qu’un instant.

Pour revenir à l’album, après les premières écoutes je tendrais à dire qu’il possède un côté plutôt sombre sur plusieurs chansons, mais aussi romantique sur d’autres, qu’en penses-tu ?

Shirley Manson : Oui, je pense vraiment qu’il est romantique. Je trouve que c’est un disque vraiment honnête qui parle de ce que cela signifie d’être une personne qui essaie de donner du sens au monde chaotique dans lequel nous vivons. Je pense que tout ce qui s’est passé pendant les 20 dernières années n’est clair pour personne. Il y a eu très peu de vraies réflexions, philosophiques particulièrement, et nous nous retrouvons étourdis, hésitants, ne sachant pas trop où aller et quoi faire. Et je pense que ce disque c’est un peu ça, donner du sens à cette folie et traiter de toutes les réponses contradictoires que tu peux avoir lorsqu’il s’agit de donner un sens à la vie. Sur les paroles de l’album j’ai voulu mettre l’accent là-dessus, et dire aux gens « soyez vulnérables, n’ayez pas peur de l’échec ». Sur les réseaux sociaux tout le monde a l’air d’être parfait et je pense que c’est une façon de voir les choses très dangereuse, ce n’est pas la vraie vie. Quand je me connecte je suis impressionnée à quel point la vie de chacun semble excitante ! Je me demande s’il y a quelque chose qui ne va pas avec moi. Tout le monde frime, se vante et fanfaronne, c‘est agaçant et ennuyeux. Je trouve ça plus intéressant si les gens me disent ce qu’ils pensent et de quoi ils ont peur.

D’un point de vue sonore, ce nouvel album a deux facettes, avec la moitié des chansons qui sonnent comme du Garbage ‘classique’ et le reste beaucoup plus tourné vers l’électronique. C’est important pour vous de faire cohabiter ces deux aspects ?

Shirley Manson : Nous avons toujours voulu être nous-mêmes, je pense que c’est ça l’approche que nous avons toujours eue. Mais nous voulons aussi aller de l’avant. Sans aucun doute, nous voulions que la musique sonne aussi légèrement chaotique et désorganisée d’une certaine manière, en essayant d’être surprenants. Je crois que cet album est certainement différent, pas dans son ensemble car tu peux facilement dire que c’est bien nous et le son de Garbage, mais je pense que nous nous sommes élargis un peu pour atteindre quelque chose de différent.

La pochette aussi c’est du Garbage ‘classique’ avec la première lettre de votre nom, sauf qu’elle est enveloppée dans une fourrure léopard, quel est l’idée derrière cela, un accent sur votre côté sauvage ?

Shirley Manson : La principale raison c’est que j’aime l’animal qui vit en moi, et le reste du groupe aussi. Nous ressentons cette tendance animale que nous essayons chacun de la cacher derrière un parfum, nos vêtements, nos manières, notre étiquette… Nous sommes des animaux et c’est très important de s’en souvenir. Nos instincts animaliers ne sont pas aussi sophistiqués que nous aimerions le penser, quand j’observe la plupart des êtres humains, je vois leurs instincts les plus simples se manifester. C’est à la fois beau et un peu effrayant.

Est-ce pourquoi vous avez appelé l’album ‘Strange Little Birds’, les membres de Garbage pourraient donc être ces drôles d’oiseaux ?

Shirley Manson : Je pense que c’est ainsi que les hommes se regardent, en trouvant les autres étranges en observant leurs principes, leurs origines, leur sexe… On se regarde tous en se disant « Oh ! Toi tu as l’air bizarre, je ne te comprends pas ! ». Même les gens dont nous nous sentons proches nous surprennent souvent. On se rend compte qu’on ne les connaît pas complètement, ni personne d’ailleurs, nous sommes tous ‘une terre étrangère’ les uns envers les autres. Nous essayons donc de nous adresser à cette trace qui est en chacun de nous, ce sens de l’aliénation, et c’est pourquoi ce titre semble si bien convenir.

GARBAGE - Interview - Paris, mardi 12 avril 2016

L’an dernier vous avez joué en concert pour votre premier album pour fêter ses 20 ans. Comment était-ce de jouer non seulement tout le disque mais aussi toutes les chansons, faces B, etc. de cette période (1994-1996) ?

Shirley Manson : C’était plutôt joyeux ! C’était une belle expérience avec laquelle nous avons pris beaucoup de plaisir. Nous avons vraiment été touchés par la réponse du public. Je me souviens de la soirée au Zénith à Paris, je suis montée dans notre car juste après le concert et je me suis dit « La vache ! On se croirait à nouveau en 1995 ! ». La foule était tellement excitée ! Franchement c’était extraordinaire.

Et c’était important pour vous de marquer cet anniversaire, êtes-vous nostalgiques de cette époque ?

Shirley Manson : Nous ne sommes pas particulièrement nostalgiques. Pour l’être il faudrait que ça nous donne envie de remonter dans le temps et ce n’est pas le cas. Mais la vie est très courte et il y a très peu de moments comme celui-là où tu peux célébrer quelque chose collectivement avec les gens, car nous atteignons ces dates anniversaires tous ensemble. Nous considérons que ces anniversaires méritent d’être reconnus et fêtés pour ce qu’ils sont, rien de plus, rien de moins. Nous avons fait ça ensemble, c’était génial, 20 ans ! Peut-être ne vivrons-nous pas assez longtemps pour le fêter à nouveau dans 20 ans, donc rendons hommage à ce travail et au public qui nous a pratiquement tout donné dans la vie, qui a pris soin de nous. Ils nous ont entendus, et ça c’est vraiment incroyable.

Et vous imaginiez que vous seriez toujours là 20 ans plus tard? Il y a eu des périodes difficiles…

Shirley Manson (ironique) : Oh oui !!!… Mais non bien sûr je n’en avais aucune idée ! Tout le monde traverse des passages difficiles dans sa vie et il y en aura toujours mais ils prennent fin à un moment ou à un autre. Les êtres humains sont remarquablement résistants et nous trouvons toujours le moyen d’aller de l’avant. Soudainement tu regardes en arrière et tu vois tout le chemin parcouru.

Quand vous avez commencé, les chaînes de télévision telles que MTV vous ont aidé à exploser au niveau mondial. Aujourd’hui ce modèle a complètement changé. Quels conseils donnerais-tu à un jeune groupe pour atteindre un large public aujourd’hui ?

Shirley Manson : Si je connaissais la réponse à cette question je serais milliardaire ! Je n’en ai absolument aucune idée. J’ai plutôt le sentiment que nous nous enfonçons tous dans des sables mouvants car nous absorbons un tel montant d’informations de toutes parts qu’il devient absolument impossible de les digérer. J’ai toujours été très active pour suivre et découvrir de nouveaux groupes mais je n’arrive plus à garder le rythme, je n’ai pas le temps, ça devient impossible même si j’en ai toujours envie. Donc c’est très difficile… Je pense que mon conseil serait le suivant : « Ayez votre propre voix », parce qu’il ne s’agit plus juste de faire de la bonne musique, il y a des millions de groupes vraiment très bons. De temps en temps je vais sur ITunes et si je clique sur des disques pour les écouter ils sont en général tous très bons, c‘est bien écrit, ça joue bien, ça chante bien… Mais il n’y a pas de personnalité derrière avec quelque chose à dire qui se détache et qui vous happe. Il faut avoir de l’urgence dans sa voix, ressentir le besoin de s’exprimer sur des choses importantes. C’est presque comme si nous étions revenus dans les années 70 avec le Punk, nous avons besoin d’une voix politique qui porte, parce qu’il y a déjà tellement de bonne musique qu’il nous faut quelque chose de vraiment brillant et exaltant qui repousse toutes ces valeurs horribles avec lesquelles la musique mainstream nous étrangle. Je ne sais pas en ce qui te concerne, mais parfois je remarque ça et ça me laisse sans voix de voir un tel désintérêt pour l’intellectualisme, pour la sophistication, à vraiment réfléchir sur quelque chose et prendre le temps d’en débattre, parce que ce n’est pas populaire, pas attrayant pour les masses.

C’est vrai qu’on a le sentiment que d’un point de vue intellectuel, le monde tourne à l’envers…

Nous sommes en pleine régression et franchement j’en ai marre, j’ai envie de me rebeller contre ça, et si ça veut dire que je doive paraître prétentieuse ou trop sérieuse eh bien qu’il en soit ainsi! J’ai besoin d’un peu de sérieux parce que le monde entier est aujourd’hui face à ça et quelqu’un ferait bien de trouver la solution à cette merde où nous allons finir comme la Rome antique. Tout ça finira dans le feu. Et ce sera terminé. Nous avons besoin d’idées, d’être suffisamment matures pour débattre de problèmes très complexes. Il faut nous y appliquer au lieu de les esquiver sous prétexte que c’est inconfortable et que ça va en fâcher certains. Personne ne prend de risques, les politiques veulent caresser les gens dans le sens du poil et rien n’aboutit. Tu sais j’habite aux États-Unis et le niveau des échanges est aussi élaboré que quand j’allais à l’école maternelle. Et je me dis « ces gens sont des hommes politiques ? Donald Trump est un politicien ?»… Je suis totalement horrifiée, il parlait de la taille de son pénis pendant un débat politique. C’est sûr, il y a plein de gens qui trouvent ça hilarant, mais je considère que la politique c’est quelque chose de sérieux et le futur du peuple est entre les mains de ces gens-là, qui sont aujourd’hui en position d’être élus au pouvoir. Le destin de ces jeunes mères sans foyer qui vivent dans des cartons à Los Angeles, comme celle juste à côté de chez moi avec deux bébés… Son futur repose entre les mains de Donald Trump, p***, il ferait mieux de grandir un peu… Grrrr ! Ça me rend dingue !

Merci Shirley, je crois que nous allons devoir terminer sur cette note positive !

Shirley Manson : Haha ! Merci David ! (et oui, à ce moment on a bien rigolé! ndlr)

Propos recueillis à Paris le mardi 12 avril 2016.

Un grand merci à Shirley Manson, Garbage, Mathieu Pinaud et Antoine Lang pour avoir rendue cette interview possible, ainsi qu’à toute l’équipe de Pias France.

Pour plus d’infos :

Lire la chronique de ‘Strange Little Birds’

Chroniques :

‘Bleed Like Me’ (2005)
‘Garbage’ (1995)

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