On se demandait quand est-ce qu’on allait pouvoir enfin la publier, cette interview de Karkwa ! Depuis fin juin on la gardait bien au chaud, en attendant le moment propice… Et bien l’heure est venue. Avec la sortie de leur nouvel opus ‘Les Chemins De Verre’ le 17 octobre, les Québécois de Karkwa font leur grand retour dans l’hexagone avec un disque auréolé du Polaris Prize au Canada, la France n’a plus qu’à suivre…
Malgré les années qui passent et les albums qui s’enchaînent, vous n’êtes pour le moment pas encore très connus en France. Est-ce que vous pourriez me présenter le groupe rapidement, pour le public Français ?
Louis-Jean : On est un groupe d’expression francophone qui joue du Rock à tendance un peu atmosphérique, ambiante. On fait cohabiter la poésie en Français avec une musique qui est peut-être plutôt d’inspiration Anglo-saxonne. On pense que ça marche bien ensemble. C’est un groupe de Rock Québécois, that’s it, that’s all !
Et le nom Karkwa, d’où vient-il, ça ne s’écrit pas comme ça normalement ?
Louis-Jean : Ça vient quand même du dictionnaire (c’est l’écriture en phonétique du mot carquois, ndlr). Ca remonte à trop longtemps pour te donner vraiment les raisons du choix, mais on l’avait choisi pour un concours à l’école, il y a déjà de cela 14 ans.
Stéphane : C’est comme le jeu du dictionnaire, tu fermes les yeux et tu poses le doigt sur un mot… Et là on a dû assumer le nom Karkwa.
Vous êtes sur le point de sortir votre nouvel album en France, ‘Les Chemins De Verre’, qui est disponible depuis longtemps chez vous, pourquoi a-t-il mis autant de temps avant d’arriver ici ?
Louis-Jean : Faudrait nous le dire ! (rires)
Stéphane : J’avoue qu’on aimerait bien savoir aussi mais il semble que c’est toujours comme ça que ça se passe.
C’était le cas pour l’album précédent déjà…
Stéphane : Oui, ç’a toujours été le cas, mais pour bien des Québécois il est rare de pouvoir sortir un album simultanément au Québec et en France. Mais pourquoi, je ne sais pas ! C’est des trucs de maisons de disques…
Louis-Jean : Ce qui est sûr c’est qu’ici en France, en plus de la crise du disque qui bat son plein, même pour un label ou un artiste Français la connexion avec le public nécessite beaucoup plus de préparation pour sa commercialisation que pour nous, au Québec. Nous on finit un album, on l’envoie à la presse puis on le sort un mois après, mais ici c’est toujours au moins 6 mois, même un an de préparation. Le décalage vient sans doute un peu de là.
Mais l’enregistrement de l’album par contre s’est fait en France, à Paris, comment est-ce que ça s’est passé ?
Louis-Jean : Bah… Très bien, merci ! (rire général…)
Stéphane : C’est un album pratiquement accidentel pour nous. On a fait deux, trois séries de tournées en France, d’un mois chacune, et c’est sûr que n’étant pas des grandes vedettes, des fois on a des journées de congés. Et on assumait peut-être de moins en moins le fait d’être en congés en France, vu qu’on avait déjà visité le pays en long et en large. Alors on s’est dit qu’il faudrait rentabiliser un peu ces périodes là et peut-être travailler. Puis on a été mis en contact avec le propriétaire du studio La Frette. Il se trouvait que le studio était libre pendant un de nos jours de libre justement. Alors on est allé là-bas pour voir juste ce que l’on avait comme musique, ce que l’on pourrait faire à très court terme. Et puis finalement on s’est mis à travailler. Je pense que le lieu y était pour beaucoup, c’était un endroit très inspirant. Du coup on s’est mis à faire une chanson par jour, puis c’est venu tout seul.
Donc vous n’êtes pas arrivés en studio avec un album prêt, des chansons déjà composées ?
Louis-Jean : Non, mais là ce qui est beau c’est qu’on a pris goût à faire les choses comme ça en studio, de faire de la création et de plonger la tête la première. C’a vraiment été une belle expérience pour nous, non seulement en tant que musiciens, artistes, mais aussi en tant que « band » (groupe, ndlr), parce qu’on joue depuis très longtemps ensemble, on est des gars qui se connaissent trop bien, c’est comme un vieux couple. Puis arriver et tout changer, sa façon de procéder notamment, tout ça a un côté déstabilisant qui fait en sorte que la fête bat son plein !
Et d’une manière générale, comment se passe la composition au sein du groupe ?
Louis-Jean : C’est plutôt de façon relativement personnelle, ça n’est jamais une grosse création collective. C’est généralement la musique d’abord, les textes après. La musique est surtout créée par François Fontaine, le pianiste, et par moi-même. Après ça, sans avoir une idée du texte on va enregistrer les chansons à cinq. La plupart des chansons sur ‘Les Chemins de Verre’ ont été faites ainsi, complètement produites sans avoir une idée du texte. Ensuite on écoute ensemble l’instrumental et on se pose des questions comme à quoi ça nous fait penser, quel genre d’habitat on voit quand on écoute la chanson. Finalement ça fait ressortir le sujet sur lequel on va écrire. On y va comme ça, « it’s a work in progress » !
Et les pochettes de vos albums sont à chaque fois des dessins ou des peintures, comment viennent les idées, notamment pour le dernier ?
Stéphane : C’est un peu le hasard à chaque fois…
Louis-Jean : On a eu un contact par un réalisateur de films qui montait un documentaire sur le peintre Québécois, Marc Séguin. Comme dit Stéphane c’est un peu du hasard. On ne pensait qu’au son pendant la production, et à un moment donné on s’est dit « tiens comme on a un contact avec Marc Séguin, pourquoi ne pas prendre une de ses œuvres ? ». Ca n’est jamais très prémédité, on ne sais pas à l’avance ce qu’on va mettre sur une pochette. Cette fois-ci on a eu de la chance d’avoir les droits pour cette œuvre là qui nous faisait vraiment penser à la texture de l’album.
Et en dehors de ça vous n’avez jamais pensé à chanter en Anglais, le Français c’est bien pour vous ?
Louis-Jean : En fait on n’a jamais pensé créer en Anglais. C’est ça la vraie réponse. On n’est pas habile pour jongler et faire de la poésie en Anglais. Et on a une espèce de fierté. Sans que ce soit un geste concret politique c’est quand même une fierté de chanter en Français, et là en ce moment ce qui nous arrive de plus beau c’est qu’on est dans une catégorie de groupes qui s’exporte et qui arrive à jouer dans des contrées anglophones mais avec un Français qui est bien fondu dans les influences Anglo-saxonnes qu’on a eu. Il y a beaucoup d’artistes Québécois qui fonctionnent de cette manière-là. On est influencé par nos cousins Français pour la littérature mais on est aussi beaucoup influencé par nos voisins Américains pour la texture sonore, la balance du son. Les voix ne sont jamais très fortes, contrairement à la plupart des artistes Français qu’on entend chez nous avec le chant très en avant et la musique plus retirée. Nous on fonctionne donc ainsi et c’est peut-être ça qui explique le fait que les anglophones apprécient nos chansons, même s’ils ne comprennent rien !
Et vous avez récemment gagné le Polaris Prize au Canada, qu’est-ce que ça a changé pour vous ? Comment avez-vous réagi ?
Stéphane : Ca sonne prétentieux de le dire après l’avoir gagné, mais pour nous, en tant qu’amateurs de musique, c’est probablement le concours de musique qui se rapproche le plus de nos valeurs artistiques. Par exemple il y a l’ADISQ qui repose d’une part sur les ventes de disques, d’autre part sur les votes de l’industrie musicale, alors que le Polaris c’est le vote de 300 journalistes qui travaillent dans le milieu. Tu ne soumets pas ta nomination, ce sont eux qui choisissent une sélection d’albums sortis pendant l’année puis décident de faire une liste de 40 sélectionnés, puis de 10. Déjà être dans la liste des 10 était une victoire en soi, parce qu’il y avait deux artistes hip hop dans le lot, un plus Country… C’était varié, puis il y a un jury et c’est lui qui décide.
Louis-Jean : Pour nous ça a vraiment changé énormément de choses puisqu’on a rencontré des gens qui travaillent avec nous maintenant parce qu’ils ont accroché à ce que l’on faisait et ils nous ont beaucoup aidés. Des gens qui travaillent dans les relations de presse au Canada ou en Amérique du Nord, un tourneur basé à Chicago qui s’appelle Windish qui a un de ses disciples qui travaille à Toronto, c’est un peu devenu notre manager Nord Américain. On n’aurait jamais eu ça sans le Polaris, ça c’est sûr, ça fait avancer les choses. Ce sont des gens qui travaillent en Amérique du Nord mais ils arrivent à nous rajouter des dates en Europe. On va jouer à Londres, on joue aussi avec Arcade Fire que l’on a croisé au Juno à Toronto. le Polaris c’est une série de belles rencontres finalement.
Justement aujourd’hui vous êtes très connus au Québec et de plus en plus au Canada et en France très peu, comment vous l’expliquez?
Louis-Jean : C’est inexplicable! On ne peut même pas se poser la question. Ce qui est sûr et certain c’est que nous, on a eu le premier réflexe d’aller travailler dans la francophonie. Finalement après coup est-ce que c’était une bonne idée de mettre toute notre énergie sur la France, ou en Suisse et en Belgique quand on joue au Texas et puis finalement les gens tapent dans leurs mains. C’est intrigant tout ça, mais il n’y a pas eu de mauvaise planification, c’est cohérent, et si on n’est pas plus connu en France c’est peut-être aussi justement à cause de notre son. Ici on se fait reprocher que les gens n’entendent pas trop les voix, que c’est à cause du mix de l’album…
Mais ça c’est juste une catégorie de public!…
Louis-Jean : Oui, mais ce sont des publics qui travaillent dans les radios, des directeurs musicaux de radios…
Stéphane : Ils ne diraient jamais la même chose à un artiste Américain, comme Arcade Fire ! A cause du Français on nous place dans une autre catégorie.
Louis-Jean : Ou bien il peut s’agir des gens qui travaillent dans la commercialisation des albums… Mais je pense qu’il y a en France un gros re-questionnement sur la façon dont marche l’industrie et la musique. Tu vois que tous les labels qui étaient archi indépendants et Underground sont parmi les plus forts en ce moment. Les grosses Majors traînent un peu de la patte, et tout le monde se vend et tout le monde s’achète finalement!
Et donc vous allez faire la première partie d’Arcade Fire à Paris, vous pensez que c’est un tremplin important pour vous pour la France? (l’interview fut réalisée quelques jours avant le passage d’Arcade Fire au Zénith, fin juin, ndlr)
Louis-Jean : Justement ça fait partie des questions que l’on se pose : est-ce que ça vaut la peine d’aller en France juste pour faire des shows de Karkwa dans des endroits où personne ne nous connaît. Bon, à Paris il y a un public qui nous suit mais ça reste confidentiel. Alors on s’est dit que faire la première partie de groupes connus pourrait être une bonne occasion. Et justement après avoir rencontré Arcade Fire on est devenu copains et on s’en est parlé et finalement ils nous ont invités.
Moi je vous ai justement découverts en première partie d’un groupe, les Cowboys Fringants à l’Elysée Montmartre il y a environ 4 ans.
Stéphane : Ca c’est bien, ça fait avancer les choses. Le public peut très bien accrocher ou non, on ne sait pas ! Peut-être que le public d’Arcade Fire à Paris accrochera et ça nous boostera un peu !
En même temps c’est toujours un peu difficile les premières parties de très gros groupes devant un public qui n’est pas forcément toujours ouvert.
Louis-Jean : Exact…
Stéphane : Enfin, ça va bien se passer !
Justement, par rapport à ça, est-ce que vous trouvez ça plus difficile de faire des concerts dans des petites salles , ici?
Louis-Jean : Non, parce qu’une des très bonnes choses de la scène musicale en France c’est qu’elle m’apparaît très bien subventionnée. Je m’explique, si tu joues dans un bar très, très ‘crasse’, très cradot comme on dit chez nous, où ça pourrait être difficile à jouer. Tu arrives là et il y a un système de son qui vaut des milliers de dollars, parce que partout en France on trouve de bon systèmes de son…
Stéphane : … Les conditions sont belles, l’accueil aussi, c’est toujours cool de jouer en France, peu importe la taille de la salle.
La Maroquinerie ça sera très bien ! (et ce le fut, ndlr)
Et en revenant au chant en Français, en Anglais, la barrière de la langue au Canada, on a du mal à s’en rendre compte ici, est-ce qu’il y a un fossé entre les groupes qui jouent dans une langue ou dans l’autre, entre les publics anglophones et francophones?
Louis-Jean : Il va toujours exister un fossé entre les différents ‘peuples’. Je pense qu’à Montréal on assiste un peu à une espèce de mélange, un esprit de communauté Montréalais, c’est-à-dire où anglophones et francophones commencent à s’intégrer les uns avec les autres. Il y a des groupes comme Plants And Animals qui a un francophone et deux anglophones, même Arcade Fire c’est un bon exemple, le batteur est Québécois. Montréal c’est ça en ce moment, mais si tu parles du Canada c’est sûr qu’il y a un clivage qui va toujours rester. Au Québec il y a aussi une espèce de système d’auto protection de la langue française qui est ancrée, tout le monde est toujours très à cheval sur les principes. Par exemple récemment il y avait la fête de la Saint Jean-Baptiste qui est la fête nationale au Québec et quelqu’un avait eu l’idée d’engager un groupe anglophone parmi les cinq ou six de la soirée…
Stéphane : … Ca a soulevé des passions, ça a fait une polémique, ce qui est complètement absurde parce qu’à Montréal il y a des anglophones. La Saint Jean-Baptiste c’est la fête des Québécois, pas la fête du Français. Il y a des Québécois qui parlent Anglais.
Louis-Jean : Si un jour le Québec veut se séparer devenir un pays pour de vrai il va falloir qu’il le fasse avec les gens qui y habitent, anglophones et francophones. On a un ami qui s’appelle Patrick Watson, c’est un chanteur Montréalais qui est probablement l’un des gars les plus séparatistes que je connaisse ! C’est un anglophone mais il fait vraiment de très belles chansons alors pourquoi se passer de ses chansons à lui si on devenait un pays ? Pour moi ça n’a plus de sens, mais je pense que notre génération est nettement plus ouverte, dans un mode universel.
En parlant de groupes anglophones, ici on vous compare souvent à Radiohead, qu’est-ce que vous en pensez, ça vous semble juste ?
Stéphane : Bah c’est le son un peu British des guitares, des claviers, je ne sais pas.
Louis-Jean : Peut-être que ma voix aussi peut ressembler à celle de Thom Yorke parfois. C’est sûr que j’ai été influencé par Radiohead mais aussi par d’autres groupes qui les ont certainement influencés. On se retrouve à avoir écouté les mêmes trucs, des Beatles jusqu’à des groupes obscures comme Neu !, Can ou le Rock progressif des années 70 qui a apporté une certaine texture atmosphérique. Ça peut être aussi très bien des trucs comme Sigur Ros. Quand on voyage dans des contrées anglophones les journalistes nous comparent plus souvent à Sigur Ros qu’à Radiohead. Ca fait plaisir, mais être comparé à Radiohead… Y’a pire !
Pour finir, j’aimerais bien vous demander : d’après vous, quel est le prochain groupe Québécois que la planète devrait découvrir ?
Stéphane : Il y a un groupe Québécois anglophone qui est hallucinant, les Barr Brothers.
Louis-Jean : Oui, ils sont basés à Montréal même s’ils ne sont pas originaires de là. Mais c’est vrai que c’est un groupe immense. Il y a aussi un groupe de Rock qui s’appelle Galaxie qui pourrait très bien faire le tour du monde avec sa musique, c’est un Rock… galvanisant ! Ca décape et en même temps c’est très bien construit, intelligent… Très Blues Rock Trash, Dancefloor un peu, ce sont des chansons qu’ils pourraient vraiment jouer partout, partout, partout !
Propos recueillis à Paris le mardi 21 juin 2011.
Un grand merci à Karkwa pour leur sympathie et leur bonne humeur communicative, ainsi qu’à Lara Orsal pour avoir rendu cette interview possible.
Pour plus d’infos:
Lire la chronique de ‘Les Chemins De Verre’
Lire la chronique de ‘Le Volume Du Vent’
Voir la galerie photos du concert à la Maroquinerie, Paris, mercredi 29 juin 2011
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