C’est par un froid de canard presque islandais que nous avons rencontré Mammút qui n’a pas eu peur de finir cette interview dehors, pour cause de bruit dans la salle du Supersonic. Trop rare (et trop peu connu) en France, le groupe a depuis longtemps gagné ses lettres de noblesse dans son pays. A l’occasion de leur concert parisien en clôture de leur tournée pour « Kinder Versions », nous nous sommes entretenus avec Katrína Kata Mogensen (chant) et Vilborg Ása Dýradóttir (basse) qui nous ont raconté le parcours du quintet et l’histoire de ce nouvel album, leur premier en anglais.
Vous avez récemment sorti votre 4ème album, mais nous vous connaissons toujours à peine en France. Quand vous avez commencé vous étiez encore adolescents, pouvez-vous me parler de votre parcours ?
Katrína : Nous avons commencé en 2003. Nous étions à l’origine deux groupes différents, amis depuis l’école, qui se sont rassemblés. Nous avons commencé à expérimenter ensemble et nous avons participé à un concours en Islande que nous avons remporté. Nous avions alors entre 14 et 15 ans, et nous ne nous sommes plus arrêtés depuis ! Tout a ensuite évolué très naturellement, nous avons continué à grandir.
Vous avez remporté une victoire de la musique islandaise en 2013 pour votre troisième album, cela a-t-il apporté une pression supplémentaire avant de commencer à travailler sur « Kinder Versions » ?
Ása : Ce fut plutôt une source de liberté. C’était une bonne chose de remporter cette récompense, parce que nous nous sommes ensuite sentis plus calme, nous n’avions plus rien à prouver. Tout le groupe s’est alors senti plus libéré.
C’est votre premier album en anglais, est-ce que ce fut difficile de changer de langue ?
Katrína : Oui, au début c’était très difficile, mais ensuite tu commences à penser, et même à rêver en anglais. Avec le temps c’est devenu plus naturel. C’était un challenge pour nous, parce que je n’avais jamais rien écrit en anglais auparavant.
Et qu’est-ce qui vous a poussé à faire ce choix, vouliez-vous conquérir le monde, ou avoir plus d’auditeurs à l’étranger ?
En chœur : Oui !
Ása : Conquérir le monde, bien sûr ! (rires)
Avez-vous eu un peu peur de la réaction du public, parce qu’avant ça les gens hors d’Islande ne savaient pas de quoi vous parliez en fin de compte ?
Katrína : Quand tu es au milieu de tout ça, en pleine construction, tu ne vois pas forcément à l’extérieur, tu es concentré sur ton album. Nous n’y avions pas vraiment pensé jusqu’à sa sortie. Personnellement j’étais très satisfaite des paroles donc pas vraiment inquiète.
Ása : Comme c’était naturel nous n’avons pas vraiment eu de craintes quant aux réactions, il n’y avait pas de raisons d’être anxieux.
Est-ce difficile pour les groupes qui chantent en islandais de se faire connaître hors de leurs frontières ?
Ása : Je pense qu’il faut être chanceux, se trouver au bon endroit au bon moment. Si la musique est bonne les gens n’ont pas vraiment besoin de comprendre, même si c‘est plus facile quand on est compris, on peut s’en servir comme d’une plateforme de lancement. Nous n’avons pas fait ça pour être plus célèbres, nous nous sentions prêts pour un changement.
Katrína : Et aussi pour avoir une connexion plus forte, avec un public plus large.
Pouvez-vous me parler un peu de l’enregistrement de « Kinder Versions » ?
Katrína : Nous avons enregistré l’album avec Curver, c’est un artiste électronique expérimental qui travaille aussi sur les arts visuels, il fait partie d’un projet qui s’appelle Ghostigital. Il a produit cet album que nous avons écrit en Islande un peu partout à travers le pays en hiver et en été, puis nous sommes partis l’enregistrer dans deux endroits différents.
Vos chansons sont riches et variées, et c’est l’une des forces du groupe, ces atmosphères variées viennent-elles des goûts de chaque membre du groupe ?
Ása : Oui, nous avons chacun des goûts vraiment très différents.
Katrína : Comme le dit Ása, c’est vraiment le mélange de cinq personnes qui rend nos chansons si spéciales.
Ása : Lorsque l’un de nous compose une chanson c’est en général très différent de ce qu’un autre pourrait proposer. Parfois on ne sait même pas comment faire avec, mais ensuite nous la modelons ensemble.
C’est le premier de vos albums dont je peux comprendre les paroles et…
Katrína (qui m’interrompt) De quoi parlent-elles selon toi ?
Eh bien c’est difficile à dire ! Je les trouve à la fois rêveuses et hantées, comme « The Moon Will Never Turn On Me » par exemple que je trouve plutôt triste en fait…
Ása : Oui, c’est une chanson assez triste…
Katrína : Oui mais comme « The Moon Will Never Turn On Me » c’est aussi la chanson d’espoir de l’album. Quand tout s’effondre autour de toi, tu te dis que ça va parce que les étoiles ne vont pas te tomber dessus, ce n’est pas la fin du monde. Donc ça va, c’est la chanson optimiste de l’album !
Votre amour pour l’art va bien au-delà de la musique, je crois que vous avez travaillé sur des projets visuels également ?
Ása : Cette année nous nous sommes concentrés sur la musique mais en effet, nous avons fait des installations pour le théâtre également.
Katrína : Ása et moi avons étudié à l’académie d’art islandaise, nous sommes toutes les deux diplômées du département des beaux-arts. Nous avons donc une formation d’artistes visuels, mais ça nous aide aussi pour la composition musicale. Nous nous servons toutes les deux de cette éducation lorsque nous écrivons nos chansons.
Ása : Oui, totalement, ça élargit nos horizons, notamment en termes d’expérimentations sonores.
Vous réalisez également vos clips, c’est important pour vous de garder le contrôle de l’image ?
Ása : Oui, c’est peut-être même trop important !
Katrína : Mais nous sommes également un groupe « DIY », nous faisons tout par nous-mêmes, aussi parce que nous faisons partie de la scène Underground, donc financièrement nous avons aussi appris à nous débrouiller tout seuls. Au début nous ne faisions rien parce que nous n’avions pas d’argent, puis nous nous sommes peu à peu éduqués, nous avons appris à faire les choses sans argent. Et notre intérêt commun pour le côté visuel nous a aidés.
Vous avez récemment sorti une reprise surprenante de « Believe » de Cher, une chanson qui est à des années lumières de votre univers, pourquoi ce choix ?
Ása : C’est l’une de nos chansons préférées depuis une bonne dizaine d’années ! C’est l’image de la chanson heureuse pour nous. Nous étions en studio à un moment assez épuisant et difficile où environ 70% de l’album avait été enregistré, donc nous avons décidé d’enregistrer quelque chose de fun ! Et puis nous avons terminé cette chanson à Londres l’été dernier.
Katrína : Mais c’est aussi une chanson pour les cœurs brisés, « do you believe in life after love ? », c’est une grande question, pas une blague ! Et nous y avons réfléchi. Le clip est rose et brillant, ça rend la chanson encore meilleure !
Selon vous, quel est le secret des groupes islandais, avoir autant de talents dans un si petit pays ?
Ása : Je crois que les gens sont épris de leurs centres d’intérêts, dans une si petite société si quelqu’un se passionne pour quelque chose c’est un peu comme une toile d’araignée, tout le monde s’y intéresse. Il y a un accès facile au matériel et aux salles, enfin n’importe quel salon fait l’affaire, donc ça devient normal dans un pays comme le nôtre. Et plus tu te dédies à quelque chose, plus tu es bon.
Katrína : Et c’est peut-être aussi parce que nous sommes sur une île, nous sommes coincés là-bas, il faut passer le temps.
Maintenant, vous sentez-vous prêts pour écrire un nouvel album… en français ?
Ása : Oui, c’est notre prochaine langue, uniquement en français ! (rires)
Katrína : Comme ça nous aurons encore plus de Français à nos concerts et peut-être que plus d’entre eux comprendront l’anglais !
Cette date au Supersonic est la dernière de votre tournée ? J’ai lu qu’une fois vous vous étiez retrouvés devant une salle vide en Norvège.
Katrína : Oui, ce concert est le dernier. Mais celui en Norvège dont tu parles date d’il y a longtemps, une bonne dizaine d’années, nous en rions encore. Il nous est arrivé beaucoup de choses ridicules pendant les 15 dernières années. Tu as vu le film « Spinal Tap » ? C’est comme un documentaire qui retracerait pas mal de situations que nous avons rencontrées.
Ása : Et nous ne nous arrêterons jamais, donc tu entendras beaucoup plus d’albums de notre part.
Katrína : Oui beaucoup plus, peut-être en français !… Et j’espère que nous aurons plus souvent l’occasion de venir jouer ici.
Ása : … En été !
Propos recueillis à Paris le samedi 2 décembre 2017.
Un grand merci à Mammút, à Ingrid Vilpe pour avoir rendue cette interview possible, ainsi qu’à toute l’équipe de Pias France.
Pour plus d’infos:
Lire la chronique de « Kinder Versions » (2017)
Le Supersonic, Paris, samedi 2 décembre 2017 : galerie photos
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