Nothing But Thieves, c’est le groupe qui monte au Royaume-Uni, avec un premier album entré directement dans le Top 10 des ventes britanniques le mois dernier, et un héritage musical qui s’inscrit dans la lignée de Radiohead, de Jeff Buckley et de Muse. Comme ses illustres aînés, ce jeune quintet expérimente, entre Rock direct, arrangements électroniques et envolées bien plus Pop, le tout porté par la voix haut perchée de Conor Mason. Rencontre à la découverte de Nothing But Thieves à l’occasion de leur concert au Pop Up du Label à Paris le 25 novembre dernier.
Commençons par une question classique ! Pouvez-vous me présenter le groupe ? D’où venez-vous, comment avez-vous commencé à faire de la musique ?
Conor : Nous venons de Southend, une ville près de la côte dans l’Essex, à une heure de Londres. Nous nous sommes rencontrés là-bas. Phil et Dom sont cousins. J’allais à l’école avec Joe quand j’avais 13 ans et lui 15, et James jouait dans des groupes à Southend. On a monté le groupe il y a environ quatre ans, et le reste c’est de l’histoire…
Et d’où vient le nom du groupe ?
Joe : Il y a une citation de Voltaire qui dit « ne soyez pas impressionnables, vos chefs religieux ne sont rien que des megas voleurs » donc nous avons enlevé ‘mega’ et gardé Nothing But Thieves (« rien que des voleurs’, ndlr) pour en faire le nom du groupe. (En anglais « Don’t be impressionable, your religious leaders are nothing but mega thieves », notez que malgré nos recherches nous n’avons trouvé cette phrase nulle part dans les archives de Voltaire, ndlr).
J’ai vu qu’avant de sortir votre 1er EP, « Graveyard Whistling », vous êtes partis aux Etats-Unis, cela a-t-il eu une influence sur ce que vous alliez faire ensuite ?
Conor : Oui, ça faisait 2 ou 3 ans que nous étions coincés dans le garage de Dom et les chansons que nous composions étaient toutes un peu pareilles, c’était plutôt laborieux. Nous sommes allés là-bas pour changer d’air, pour y rencontrer des amis et notre manager qui était aussi là-bas. Nous en sommes revenus revigorés, avec une meilleure idée de là où nous voulions aller. L’EP a dû sortir 3 mois plus tard environ.
Joe : Sortir de ce garage nous a donné de nouvelles perspectives en terme d’écriture. Les quatre ou cinq premières chansons que nous avons écrites en revenant ont formé cet EP, donc ça a marché !
Le groupe s’est retrouvé plutôt bien établi assez rapidement, avez-vous une idée de pourquoi tout cela est venu si vite ?
Dom : C’est marrant en fait ça n’a pas été si rapide que ça, bien que ce soit le cas dans les yeux du public. Comme le disaient Joe et Conor, ça fait déjà quatre ou cinq ans, et nous sommes passés par toutes ces tournées à jouer dans des salles sans quasiment personne en face, juste pour notre ingé son ou des copains qui n’avaient même pas envie d’être là. Il a donc fallu quelques années avant d’être reconnus et playlistés par les stations de radio. A partir du moment où tu as un label, un contrat, des gens commencent à frapper à ta porte, mais tout cela ne s’est certainement pas fait en une nuit. Mais je pense que nous voulions qu’il en soit ainsi.
Et qui écrit les paroles ?
Joe : C’est moi !
Est-ce inhabituel que ce ne soit pas le chanteur qui écrive ?
Joe : Oui, mais certains groupes le font, d’autres non.
Conor : Nous avons commencé très jeunes et ça a toujours fonctionné ainsi.
Joe : J’aime beaucoup écrire, ça m’intéresse vraiment.
Dom : Il faut ajouter que nous sommes tous nuls pour écrire des chansons. Joe était nul lui aussi au début, tout comme nos premières chansons! Mais son intérêt pour l’écriture lui a permis de développer cet aspect.
Conor : Au tout début ça m’intéressait aussi mais je ramais un peu. Joe est intelligent, il a su comment s’y prendre donc c’est ainsi que nous avons évolué. En général nous écrivons les chansons sur un riff ou une mélodie et parfois le résultat est horrible, mais d’autres fois ça sonne bien !
Dom : En fait chaque chanson sur l’album a débuté différemment, et c’est ainsi que ça marche : la recette c’est de ne pas en avoir !
Il y a des thèmes que vous aimez aborder ?
Joe : C’est assez varié, il y a des chansons plus personnelles que d’autres. Je suppose qu’il y a une certaine colère dans les paroles, sur ‘Ban All The Music’, ‘Excuse Me’, ‘Painkiller’ ou ‘Trip Switch’. Je pense qu’elles viennent toutes du même endroit, bien que j’essaie d’écrire des paroles différentes sur l’album, je ne veux pas écrire la même chanson encore et encore. Et j’aime bien ne pas en dire trop pour garder le mystère.
Quels ont été les plus gros challenges pour aboutir à cet album, et la partie la plus gratifiante ?
Conor : Je ne sais pas trop, en ce qui concerne nos vieilles chansons ça nous a pris un certain temps pour les enregistrer.
Dom : Si tu entends par-là un défi, ça ne nous gêne pas s’il faut des mois pour arriver là où nous voulons. Il y a des chansons comme ‘Hostage’, ‘Drawing Pins’, ‘Neon Brother’, ‘Tempt You’ qui sont dans nos cartons depuis des années et qui n’ont pas cessé de changer. Mais il y en a d’autres qui ont été écrites comme ça, notamment ‘If I Get High’. Tout cela représente un challenge mais nous aimons ça. En ce qui concerne la partie gratifiante, je dirais le fait de l’avoir terminé.
Conor : Je pense que les concerts à travers le Royaume-Uni et toute l’Europe ont représenté un gros effort qui paie aujourd’hui.
Dom : Le fait que les gens réagissent aux chansons aussi.
Comme ça arrive souvent avec les premiers albums je comprends donc qu’il a été écrit sur une longue période ?
Joe : Une très longue, oui ! C’est bizarre parce qu’il nous a fallu tellement de temps pour l’écrire, et encore un an pour l’enregistrer. Nous ne sommes plus vraiment le même groupe aujourd’hui, nous explorons déjà de nouvelles choses. L’album est en fait un cliché de ce qu’était le groupe il y a un an. Nous avons déjà commencé à travailler sur le suivant, avec environ 10 à 15 chansons écrites.
Dom : Les gens pensent que cet album c’est le présent mais finalement ça ne l’est pas, ce qui sort aujourd’hui c’est le travail de plusieurs années qui sont dernière nous, c’est une drôle d’impression.
L’album est assez varié, notamment dans la seconde partie qui explore d’autres ambiances et sonorités plus électroniques. Vouliez-vous à tout prix vous éviter que ce soit juste un album de Rock ?
Conor : Je pense que nous voulions éviter qu’il sonne comme celui d’un groupe qui joue 10 fois la même chanson. Le genre ne nous inquiétait pas trop, que ce soit Rock, Electro, Pop ou quoi que ce soit d’autre. Nous étions surtout concentrés sur sa variété, que les chansons ne soient pas toutes les mêmes parce qu’on déteste les groupes qui font ça.
Dom : Nos groupes préférés sont des groupes de Rock au départ, mais qui dépassent leurs limites en essayant de sonner différemment et c’est ce que nous avons essayé d’accomplir. Nous ne voulions pas sonner comme tel ou tel disque, mais juste être différents.
Joe : Notre intention est certainement d’être plus qu’un groupe de Rock. Nous restons un groupe à guitares, mais ceux que nous aimons comme Radiohead, Arcade Fire, Blur ont trouvé leur propre créneau, c’est ainsi que nous aimerions bien être.
Vous avez enregistré avec le compositeur et producteur Julian Emery, comment s’est passée votre collaboration ?
Conor : Il est super, c’est comme un membre de la famille vraiment. Il est plus ou moins arrivé au début de l’enregistrement et il a tout de suite compris ce que nous faisions, donc nous avons voulu continuer avec lui.
Dom : Il nous a beaucoup appris. Nous avons envie de progresser en tant que musiciens et producteurs donc c’était bien d’avoir quelqu’un comme lui avec nous, ça te donne l’impression que ton meilleur pote peut t’apprendre quelque chose et qu’il a de l’expérience. Et je pense que la relation avec le producteur est aussi importante que ce que tu peux faire avec les chansons. On s’est bien marré ensemble. Nous sommes souvent aller boire des verres en dehors du studio, nous avons trouvé le bon équilibre avec lui.
Et a-t-il fallu du temps pour enregistrer cet album, j’ai cru comprendre qu’il a été enregistré dans différents endroits ?
Joe : La première session a duré trois ou quatre semaines, puis nous avons terminés deux autres chansons cette année et peaufiné le tout pour que ce soit parfait.
La pochette de l’album représente un cheval, doit-on y rechercher une signification ?
Joe : Nous voulions quelque chose de saisissant et rien de trop complexe à la fois, une image solide. L’idée est venue lorsque j’ai trouvé un tableau d’un éléphant ‘désintégré’, qui tombait en pièces en quelque sorte. J’aimais le fait que ce soit quelque chose de naturel, un animal attaqué, parce qu’on y trouve des références dans les paroles. Nous avons donné ça à l’artiste qui s’est occupé de toute notre imagerie, comme notre logo avec un cercle, et il est revenu avec son propre concept, celui du cheval qui est en quelque sorte étouffé dans la fumée, et nous avons adoré.
Je vous ai vu souhaiter un joyeux anniversaire à Thom Yorke sur Instagram, est-il une grande source d’inspiration pour vous ?
Conor : Oh oui !
Joe : Dom l’a rencontré !
Dom : Oui, je l’ai rencontré une fois. J’étais terrifié ! Je suis passé à côté de lui dans un studio, sur le coup je ne lui ai pas dit bonjour et j’ai tout de suite regretté, alors je suis retourné le voir, simplement pour lui dire « Salut, on adore ta musique » parce que nous avons écouté Radiohead ensemble depuis les débuts de notre groupe. Ils nous inspirent beaucoup depuis toujours. Donc c’était très bizarre de tomber sur lui comme ça. Radiohead – pas seulement Thom Yorke mais Johnny Greenwood pour ses parties de guitare – et simplement le son qu’ils ont créé, c’est un si bon groupe sur scène. Ils ont tout ce que l’on aime dans la musique.
Conor : Nous sommes tous de très grands fans et nous étions vraiment très jaloux de Dom !
Dom : Oui, c’était vraiment très cool !
Ça n’est jamais vraiment facile de rencontrer ses idoles !
Dom : Oui, en fait il était très timide, introverti, mais je crois que tout le monde sait plus ou moins déjà ça de toute façon. Mais il a été très poli, et humble. En tout cas je ne suis pas passé à côté de cette opportunité parce que ça n’arrive qu’une seule fois dans une vie, l’occasion ne se représentera peut-être jamais.
Tu ne sais pas, peut-être !? En tournée !
Dom : Peut-être oui je l’espère !
Et à part Radiohead quels groupes vous ont influencés ?
Joe : Nous avons grandi en écoutant Led Zeppelin, Pink Floyd, Conor était un très grand fan d’AC/DC (rires gênées de Conor, ndlr). Puis nous sommes passés à des groupes plus subtils comme Radiohead, Arcade Fire, des groupes qui ont un son unique.
Conor : La créativité de gens comme David Bowie, c’est vraiment un élément clé pour nous, ou des groupes modernes comme Alt-J ou Everything Everything, qui sont liés à Bowie pour les mêmes raisons. Tous les groupes qui essaient d’être différents en fait.
Conor, en raison de ton chant tu as été pas mal comparé à Matt Bellamy de Muse, à Thom Yorke, à Jeff Buckley, est-ce que ça te gêne d’être comparé à ce point ?
Conor : Non, en tout cas en ce qui concerne Jeff Buckley et Thom Yorke j’ai une telle admiration envers eux et leur façon de chanter que ça ressort naturellement chez moi. J’ai d’autres influences qui s’expriment de la même manière, mais probablement moins évidentes. En tout cas ces comparaisons sont assez flatteuses.
Joe : Il y a pire comme comparaisons !
Conor : Oui, je suis content que ce ne soit pas Ke$ha !
Dom : Je suis sûr qu’elle a une putain de voix (rires) !
Conor : En tout cas je pense que ça vient beaucoup du fait que je chante souvent en falsetto.
Dom : Les gens aiment faire des comparaisons de toute façon.
Et pensez-vous que dans 10 ans les journalistes demanderont aux nouveaux groupes s’ils sonnent comme Nothing But Thieves ?
Conor : Haha ! Je l’espère !
Dom : Honnêtement si ça continue j’imagine que ça arrivera. Plus nous sortirons de disques, plus les gens connaîtront notre style.
Conor : Il y a un nouveau groupe chez nous à Southend dont mes amis m’ont dit qu’ils étaient influencés par nous, c’est très flatteur.
Dom : Nous avons 12 chansons ! Il va en falloir un peu plus avant que les gens cessent de nous comparer !
En parlant de ces groupes, je crois que vous avez déjà joué avec Muse, qu’en avez-vous appris ?
Conor : Oui, juste une fois. C’est juste un concert de plus, mais multiplié par 10 000 ! Matt Bellamy contrôle parfaitement ce qu’il fait sur scène, il est très en confiance. Il est très habile, ainsi que tout le groupe, tout se fait avec beaucoup de limpidité.
Et comment s’est présentée cette opportunité de jouer avec eux si tôt dans votre carrière ?
Joe : Leur tour manager connaît notre manager. Il a pu leur faire écouter notre musique, ils ont aimé et ils ont décidé de nous faire jouer avec eux !
Dom : C’est super quand un groupe de renommée internationale s’intéresse et te donne ta chance, oui c’était une belle opportunité.
Ce soir vous jouez dans une toute petite salle parisienne, le Pop Up du Label, mais j’imagine que les choses ont changé pour vous au Royaume-Uni à ce niveau-là ?
Dom : Oui, beaucoup plus de gens viennent !
Conor : Je pense que nous avons beaucoup appris en pratiquant notamment. Nous sommes meilleurs sur scène avec une plus grande maîtrise du set. Il y a moins de blancs, une meilleure interaction avec le public, nous sommes plus à l’aise avec ça. Mais tout est question de pratique vraiment afin de pouvoir évoluer.
Joe : Oui, le set est bien plus naturel maintenant alors qu’avant nos concerts ne duraient qu’une demie heure en première partie d’autres groupes, c’est difficile de montrer ce que tu sais faire dans ces conditions-là.
Dom : Oui, avec le temps tu apprends ce qu’il faut faire ou ne pas faire, tu apprends de tes erreurs. Tu deviens meilleur pour attirer l’attention du public, j’ai remarqué cette évolution, nous avons grandi ensemble.
Philip : On ne se tape pas autant dessus sur scène qu’aux débuts !
Dom : Bien que j’aie donné un coup de guitare sur la tête de Phil il y a une ou deux semaines de ça !
Philip : Oui, il m’a fait si mal que j’ai un peu perdu le fil du temps depuis…
Vous n’avez pas encore les moyens de casser vos instruments sur scène !
Dom : Oui, j’avais plus peur pour ma guitare que pour sa tête !
Philip : Je ne t’en veux pas, c’était un sacré coup !
Conor : En tout cas nous n’avons vraiment pas les moyens de casser nos instruments !
Vous jouez ce soir à Paris deux semaines après de terribles événements, comment vous sentez-vous ?
Joe : C’est dur, nous donnons tous les bénéfices à une association (The Sweet Stuff Foundation, ndlr). C’était très étrange parce que nous étions en tournée quand c’est arrivé, nous étions en train de jouer et ni le public ni nous ne savions ce qui était en train de se passer. Après avoir fini le public est rapidement parti, tout le monde consultait ses comptes Facebook, Twitter, puis la nouvelle est tombée. Eagles Of Death Metal est un groupe que nous aimons beaucoup, ça nous a porté un coup, parce que c’est notre métier, c’est ce que nous faisons. Pendant les jours qui ont suivi il y avait un drôle de sentiment qui planait dans l’air.
Conor : Oui, ça nous a affectés, sans aucun doute, nous étions plutôt déprimés les jours suivants, et pas juste à cause du fait d’être dans un groupe mais de ce qui qui est arrivé d’une façon plus générale, ça nous a brisé le cœur aussi.
Dom : On se sent un peu désespéré, il y a si peu que l’on puisse faire. Nous essayons d’apporter notre soutien aux victimes comme nous le pouvons. C’est une chose tellement horrible.
Joe : Nous avions hâte de venir jouer ici, parce que pas mal de personnes nous ont demandé sur Twitter si nous allions annuler. Nous le voulions, c’était la bonne chose à faire.
Joe & Dom : On va essayer de faire le meilleur show possible ce soir !
Et quel est l’avenir pour le groupe ? Une tournée plus longue, un album dans les cartons ?
Conor : Nous allons tourner en Amérique, au Japon et en Australie en début d’année prochaine !
Joe : Et nous reprenons les dates en Europe en mars, plus le Royaume-Uni, puis la saison des festivals ! Bref, 2016 ne sera fait que de tournées ! Et puis à la fin de l’année prochaine nous retournerons enregistrer.
Dom : « That’s the plan ! »
Propos recueillis à Paris le 25 novembre 2015.
Un grand merci à Nothing But Thieves, ainsi qu’à Charles Provost de Him Media pour avoir rendue cette interview possible.
Pour plus d’infos :
Lire la chronique de ‘Nothing But Thieves’ (2015)
Voir la galerie photos du concert au Pop Up du Label, Paris, le 25/11/2015
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