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PALE SEAS – Interview – Paris, vendredi 22 novembre 2017

Pale Seas aurait pu faire partie de ces jeunes groupes prometteurs trop vites apparus et aussi rapidement oubliés. A deux doigts de sortir leur premier album en 2012, Ils ont tout annulé à la dernière minute. Une décision étonnante mais mûrement réfléchie… « Stargazing For Beginners » est le résultat de cinq années de travail, de réflexion, d’isolement et de remise en cause. Ce désir de perfection se voit aujourd’hui récompensé par une œuvre qui a su capter les émotions et la poésie de Pale Seas. Jacob Scott, auteur et chanteur du groupe, nous raconte cette longue histoire.

PALE SEAS - Interview - Paris, vendredi 22 novembre 2017

Le groupe a débuté entouré par une certaine excitation, puis il y a eu un très long silence de près de 5 ans, sans nouvelles, quelle en est la raison ?

Jacob : Nous avions enregistré un album avec Paul Butler sur l’île de Wight. Il était terminé, nous avions fait à Londres une soirée de lancement de l’album qui était supposé sortir deux semaines plus tard. Nous en étions vraiment aussi proches. Mais en gros nous trouvions simplement qu’il n’était pas assez bon. Ce n’est pas pour discréditer les personnes qui ont travaillé dessus, nous n’avions juste pas le sentiment qu’il était terminé, et franchement c’était de ma faute, je considérais que les chansons n’étaient pas prêtes à voir le jour. Nous sommes donc revenus à la case départ. Je trouvais que les chansons étaient vraiment solides, mais la façon dont nous les avions assemblées aurait peut-être été meilleure en y passant plus de temps. Parfois c’est difficile de savoir quand s’arrêter, parce que tu commences à les rendre pires, mais j’étais convaincu qu’elles s’amélioraient à chaque fois que nous leur ajoutions quelque chose, c’était globalement plus concis. Nous sommes donc partis sur l’île de Wight pendant deux ans, après cette fête de lancement, et nous sommes repartis à zéro. Du premier lot de chansons, seulement deux sont restées sur le nouvel album. Ça nous a obsédés, nous voulions tous être satisfaits du résultat. C’est pour ça qu’il a fallu tellement de temps.

Donc aucune tournée pendant tout ce temps, juste de la composition et des enregistrements ?

Jacob : Oui, c’est tout ce que j’ai fait. Enfin, j’ai travaillé dans un magasin de disques pendant 6 mois par intermittence, et j’en ai profité pour faire un peu de recherches. Dans ces endroits tu passes les mêmes disques tous les jours, c’est subliminal. Mais il y a très peu de disques qui restent toujours là, indéfiniment. Et je crois qu’inconsciemment je me référais à ces albums, je voulais que le miens soit l’un de ces albums que tu passes chez les disquaires et non un truc que tu passes une fois et dont tu n’entends plus jamais parler.

Et à quoi ressemble le groupe aujourd’hui ? Est-ce le même qu’il y a 5 ans ?

Jacob : Oui, la seule personne qui ait changé c’est notre batteur, nous en avons eu trois jusqu’ici mais j’ai vraiment envie que celui que nous avons maintenant soit celui qui reste, il est absolument fantastique.

C’est celui que l’on entend sur le disque ?

Jacob : Non ! Nous avions un autre excellent batteur qui jouait sur l’album qui s’appelait Will. Nous avons rencontré le nouveau à Warrington, près de Manchester le premier soir de notre tournée, il y a presque 5 ans. Il était dans le groupe en première partie et je n’avais jamais été aussi terrifié de ma vie de voir une première partie, parce que sa batterie sautait d’un bout à l’autre de la scène, chaque élément s’éloignait peu à peu de lui, c’était vraiment très bizarre à entendre, mais si excitant à regarder ! Nous avions un batteur à l’époque mais je me disais que j’aurais vraiment aimé que ce soit lui ! Deux ans et demi plus tard environ, notre batteur est parti d’un commun accord, et celui-ci est la première personne qui nous soit venue à l’esprit. Nous l’avons appelé et il était partant ! Donc le groupe est resté le même, mais avec Andrew à la batterie maintenant.

Pour revenir aux débuts du groupe, il y a 5 ans et même plus, comment est né Pale Seas ?

Jacob : Trois d’entre nous se sont rencontrés à l’université de Southampton. Le premier que j’ai rencontré, c’était Graham, notre guitariste. Nous étions intéressés par les mêmes choses, et nous avions les mêmes références musicales, tout comme Matt, c’était le premier bassiste que j’ai rencontré qui avait les mêmes goûts que moi. Et c’était assez difficile à trouver, tout le monde n’aime pas la même chose que nous, c’était une chance d’avoir pu se trouver.

PALE SEAS - Interview - Paris, vendredi 22 novembre 2017Et avant cela, ta mère était peintre. Est-ce que cela a eu une influence d’une manière ou d’une autre sur ton éducation musicale ?

Jacob : Oui, énorme. Ce qu’elle peignait était basé sur son expérience. Tout ce qu’elle essayait de poser sur papier ou sur toile était pour elle une catharsis pour chasser ses démons. Il fallait qu’elle peigne, il n’y avait pas d’autre moyen. Elle ne pouvait pas écrire ou chanter sur ses démons, mais elle pouvait les peindre. C’était sa façon d’aborder la vie. Elle peint toujours aujourd’hui. Quand je rentre à la maison elle me fait des dessins, et une grande partie de ma façon d’écrire de la musique est basée sur mes expériences, traduire ce que je traverse en chansons. Elle a toujours eu une influence incroyable sur moi, et aujourd’hui encore. Elle était mère célibataire et elle m’a élevé toute seule.

Parlons un peu de l’album, « Stargazing for Beginners ». A quoi fait référence ce titre ? Regarder les étoiles ?

Jacob : Notre ancien batteur, c’était mon ex. C’est fou à quel point les choses changent, mais à l’origine c’était destiné parler d’amour, de vivre l’amour, quelque chose de fort ensemble. Nous nous sommes séparés environ 5 mois après le début de Pale Seas, mais nous sommes tout de même restés ensemble au sein du groupe deux ans et demi de plus. Et doucement les chansons se sont transformées en une chose qu’elle n’étaient pas destinées à devenir à l’origine. Je me suis rendu compte que je voulais faire en sorte qu’elle m’aime. Je chantais beaucoup de ces chansons en duo. Donc elle chantait sans savoir que ces paroles parlaient d’elle, c’était vraiment très triste. « Stargazing for Beginners » devait donc être une exploration de notre amour, mais le sujet est finalement devenu la perte d’une chose que l’on recherche à nouveau et à laquelle on essaie de faire face. Mais le titre est resté, j’aimais le fait qu’à un moment donné il s’agissait de quelque chose de positif.

A ce sujet, la voix féminine sur le titre « Stargazing for Beginners », c’est elle ?

Jacob : Oui, c’est elle ! Elle a une très belle voix !

Le titre « Someday » est l’un de ceux qui se détachent rapidement de l’album, quelle est l’histoire de cette chanson ?

Jacob : Elle capture probablement à elle seule que ce que ce disque aborde de la façon la plus succincte possible. C’était la dernière que nous avions enregistrée et c’est celle qui a pris le plus de temps. J’ai écrit les couplets un an et demi avant son enregistrement et j’avais la conviction que ça allait être celle qui résume le mieux le disque. Nous ne voulions pas le sortir avant que cette chanson soit terminée. C’était une source de pression. Je pense qu’elle traite du fait que certaines choses ne te quittent probablement jamais, des sentiments qui restent à jamais, et il faut faire avec. Cette chanson aurait facilement pu être celle qui clôt l’album parce qu’elle offre cette perspective, mais elle était trop entraînante pour être placée là. Nous l’avons aussi enregistrée avec trois ou quatre personnes différentes, dans beaucoup d’endroits différents, mais finalement nous y sommes parvenus !

Deux chansons plus anciennes ont été conservées pour cet album, « Bodies » et « On My Mind ». Avaient-elles une importance particulière pour être gardées, réenregistrées et présentes sur l’album ?

Jacob : « In My Mind » est une chanson à laquelle je me sens particulièrement attaché. Elle résonne toujours en moi, tout comme l’état d’esprit dans lequel je me trouvais en l’écrivant. Je vois encore pourquoi j’avais alors ces pensées. C’est pour ça que j’ai choisi de les garder, j’y vois encore un peu de moi-même, ce qui n’est pas le cas pour d’autres qui sont plus malveillantes, tout en étant rêveuses.

D’ailleurs j’ai récemment écouté les versions originales, que j’aurais probablement aimées à l’époque, mais en les comparant avec celles-ci on voit tout de suite la différence, c’est beaucoup plus abouti, notamment dans la voix.

Jacob : Oui, le son est bien plus ample. Quant à la voix, on ne peut pas vraiment l’entendre sur la version originale, elle est tellement noyée derrière la reverb. Mais tout cela est en grande partie venu avec la confiance. J’ai posé ma voix, telle quelle, aussi forte que possible.

Comment s’est passé l’enregistrement avec Chris Potter (The Verve, Urban Hymns) & Paul Butler (Michael Kiwanuka, Devendra Banhart) ?

Jacob : Ils sont tous les deux incroyables, chacun à sa manière. Paul travaille beaucoup à la source, sur la création de quelque chose qui se connecte à l’esprit. C’est une véritable expérience de travailler avec lui parce que tu pénètres dans son monde, et ce pendant tout le temps que tu passes avec lui. Et c’est aussi un musicien très doué. Tu le vois marcher d’un bout à l’autre du studio, prendre un instrument, en jouer… parfaitement ! Il nous laissait beaucoup faire ce que nous voulions, il trouvait qu’il y avait une raison pour que les chansons soient construites ainsi, et voilà ! « C’est ce que nous allons enregistrer ! », disait-il. Puis Chris est arrivé, c’était intéressant parce que « My Own Mind » était l’un des premières chansons qu’il ait entendues et elle avait été enregistrée par Paul. Il trouva tout de suite qu’il pouvait y apporter quelque chose. Il a écouté tout ce que nous avions fait avec Paul, son rôle était plutôt difficile parce qu’il devait ajouter des éléments à ce que nous avions déjà fait sans trop charger les titres ni les rendre trop compliqués. Il a une vraie conscience de la mélodie, il a une vision en tête et il sait exactement comment ça doit sonner à l’arrivée, et c’est tout ce qu’il fait : déplacer les choses jusqu’à ce qu’il entende ce qu’il a à l’esprit. C’est très excitant d’être dans une pièce avec lui parce que je ne sais pas ce qui se passe dans sa tête mais lui le sait très bien, c’est exaltant de se retrouver assis à côté de quelqu’un qui sait ce que tu ignores. Nous n’avons pas passé tellement de temps avec Chris cependant, beaucoup plus avec Paul. Mais il était très rapide et efficace. Nous avions un grand studio sur l’île de Wight et nous n’en avions jamais exploré les capacités. Dès son arrivée il a mis deux amplis d’un côté de la pièce et les micros de l’autre et il a capturé cet instant. On se serait cru dans une cathédrale, il savait vraiment ce qu’il faisait. Paul aussi. Chacun à sa façon.

Vous avez effectivement enregistré l’album dans une vieille abbaye sur l’île de Wight, je suppose que ce lieu a eu une influence sur l’atmosphère l’album ?

Jacob : Oui en effet. Nous étions tellement isolés, au milieu de nulle part. Les falaises étaient à deux ou trois minutes de marche et cette abbaye était dans un champs. C’est un très vieux bâtiment, massif. Nous travaillions la nuit, nous avions le droit puisque tu peux faire autant de bruit que tu veux là-bas. Nous y avons passé environ deux ans et demi, nous dormions dans une chambre à côté, nous nous réveillions, l’un de nous avait une idée et nous partions directement enregistrer. C’était un peu comme aller dans ta Batcave, c’était fou ! Nous avons eu beaucoup de chance d’avoir ce studio. C’est celui de notre label, ils l’ont monté à partir de rien et nous sommes le premier groupe à avoir enregistré là-bas. Donc ils nous ont donné beaucoup de temps parce que eux aussi voulaient que ça sonne bien.

Pour terminer je vais citer le dernier titre de l’album : “Evil is Always One Step Behind”… Il semble que désormais il n’y ait au contraire qu’un pas vers de très belles choses pour Pale Seas. Comment te sens-tu, maintenant que ce disque – qui a mis tellement de temps à voir le jour – est maintenant enfin sorti ?

Jacob : C’est formidable ! Ce fut une telle attente, et un tel poids sur nos épaules. Je suis très heureux qu’il soit enfin sorti. Quand les gens te demandent « vous avez un album ? » tu peux leur montrer ce truc auquel tu crois. Et je n’aurais pas pu dire ça si nous avions sorti l’autre album il y a 5 ans, je n’aurais pas été capable de le dire. Ce fut un long parcours pour en arriver là, j’ai l’intime conviction que le groupe ne fait que débuter à partir de ce point, et c’est très excitant.

Propos recueillis à Paris le 22 novembre 2017

Un grand merci à Jacob Scott, à Pale Seas, et à Bérengère Rabier pour avoir rendue cette interview possible.

Pour plus d’infos :

Lire la chronique de « Stargazing For Beginners » (2017)

Olympic Café – Paris, vendredi 13 octobre 2017 : galerie photos

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