Le 8 novembre dernier Phantogram se produisait au Petit Bain à Paris. Une aubaine pour leurs fans américains qui n’ont plus vraiment l’occasion de les voir dans un cadre aussi intime de l’autre côté de l’Atlantique. C’est était une aussi pour nous, afin de comprendre un peu mieux comment fonctionne ce duo qui a beaucoup changé depuis ses débuts il y a 10 ans. Plus fort, plus produit, plus Pop aussi, le nouvel album de Phantogram explore de nouvelles voies sonores tout en restant fidèle à son image sombre et expérimentale. Joshua Carter, qui forme la moitié du groupe avec Sarah Barthel nous a accordé un peu de temps pour nous décrire la genèse de « Three » et leur évolution artistique.
Pour l’enregistrement de « Three » vous avez quitté New York pour enregistrer à Echo Park, à Los Angeles. Est-ce que ce changement d’atmosphère était important pour vous ?
Josh : En fait nous vivions à Los Angeles depuis un an et demi environ, après notre dernière tournée, donc nous étions déjà sur place. Je ne pense pas que le lieu ait vraiment forgé le son de l’album ou influencé son contenu. Nous aurions probablement fait le même album à New York.
Vous avez enregistré avec Ricky Reed (qui fut jadis le chanteur de Semisonic et qui a co-écrit le tube d’Adele « Someone Like You », ndlr), a-t-il produit tout l’album ?
Josh : Non, nous avons réfléchi à plusieurs coproducteurs avant de travailler avec lui, mais nous aimions son style parce qu’il a une très bonne éthique de travail, avec lui il faut que le boulot soit fait. Nous allions au studio à des horaires précis pendant lesquels nous travaillions tout le temps. C’était un peu comme aller au bureau, très différent des sessions en studio que j’avais faites dans le passé où on y restait toute la journée à travailler, boire, regarder des vidéos sur Youtube, fumer des joints… Là nous étions très concentrés pour que le travail soit fait.
L’enregistrement de cet album a été marqué par une tragédie personnelle (le suicide de la sœur de Sarah Barthel, ndlr), penses-tu que ça vous a donné plus de force pour repousser vos limites et sortir le meilleur album possible ?
Josh : Oui, certainement. Notre musique est en grande partie sombre par nature et pour traverser cette épreuve, le suicide de Becky, l’écriture du disque et la forme qu’il a prise furent un procédé très cathartique.
J’imagine que tout cela a rendu votre album encore plus personnel. Etiez-vous anxieux de le dévoiler au public ?
Josh : Non, en fait c’est vraiment dommage que ce soit devenu le sujet de conversation autour de ce disque, même si c’est une part importante de cet album et de ce que nous y avons mis. Nous sommes heureux du résultat, mais tristes que cet élément en fasse partie.
J’ai également lu que certaines chansons du disque ont été inspirées par le décès de David Bowie et de Prince. Est-ce que le titre « Answer » parle de cela, notamment lorsque tu dis “All of my heroes are gone / But I know they’re out there” ?
Josh : Oui, c’est directement lié au fait de perdre des gens que nous aimons autour de nous. J’écoutais plus Bowie, j’étais un grand fan et pour Sarah c’était plutôt Prince.
J’ai entendu que vous aviez voulu ouvrir votre musique aux fans et leur permettre d’entendre vos nouveaux morceaux avant qu’ils soient finalisés. Cette interaction est importante pour vous ?
Josh : Je ne suis pas sûr que nous l’ayons fait à ce point. Normalement je garde les choses pour moi mais il est bon de pouvoir donner aux autres un aperçu de ce sur quoi nous travaillons, de leur donner un avant-goût. En tant que fan de musique moi-même je serais intrigué de voir ce que font les groupes que j’aime. Je pense que c’est la principale raison pour laquelle nous avons laissé nos fans avoir un léger aperçu de notre travail en cours.
Et la pochette de l’album représente une forêt en feu, qu’est-ce que ça signifie ?
Josh : Le concept entier de l’album, c’est « cette belle tragédie ». C’est un album blanc et le feu – c’est moi qui ai conçu la pochette – devait être à l’origine une maison en feu qui représente la destruction de la famille, quelque chose de très personnel qui tombe en pièces, mais avec un beau ciel bleu en arrière-plan. Et j’aime le contraste avec le cadre blanc de l’album, cette juxtaposition : la tragédie opposée à la lumière.
Le côté visuel de votre musique semble très important ?
Josh : Oui, sans aucun doute. Nous sommes loin d’être aussi connus ici qu’aux Etats-Unis, mais là-bas nous bénéficions d’une très grosse production pour une audience plus grande. Nous avons des effets visuels vraiment très cool et nous y mettons beaucoup d’efforts, qu’il s’agisse des lumières en concert, ainsi que tout ce qui passe à l’écran.
Il y a une évolution sonore sur « Three ». Vouliez-vous rendre cet album plus direct, à l’image du premier single « You Don’t Get Me High Anymore » ?
Josh : Oui, je pense que nous voulions faire quelque chose qui aille droit au but, qui soit direct. Je peux écouter des groupes comme Can toute la journée ou des groupes KrautRock qui ont une très grande influence sur notre musique, mais nous voulions faire quelque chose qui ait une sensibilité plus Pop que sur nos disques précédents, écrire des chansons plus courtes pour aller droit à l’essentiel et par conséquent faire un album concis. Il y a juste 10 chansons pour une durée de 38 minutes et c’est la durée que j’aimerais avoir quand j’écoute un album. C’est pour ça que j’aime des groupes comme les Beatles, ils écrivaient des chansons qui allaient justement droit au but. Tom Petty disait : « Don’t bore us, get to the chorus! » (ne nous ennuyez pas, allez droit au refrain, ndlr). C’est ce que nous nous efforçons de faire sur ce disque, tout en gardant les expérimentations.
Les paroles de cette chanson en particulier, « You Don’t Get Me High Anymore », sont particulièrement sombres. Quelle est l’histoire de ce morceau ?
Josh : ça traite du sentiment de mécontentement de ce qui se passe autour de toi. Le titre peut être interprété de façon très littérale, comme si on parlait de drogues, et aussi d’amour, mais le sujet c’est surtout le mécontentement. Et nous voulions que les paroles restent abstraites, avec un lyrisme absorbant et une certaine imagerie autour de tout ça.
Et penses-tu que Big Grams, votre collaboration avec Big Boi de OutKast, a eu une influence sur le son qu’allait avoir cet album ?
Josh : Non je ne pense pas. Nous avons toujours été influencés par le Hip Hop, peut-être du « Southern Rap » comme 808, mais tu pourrais faire la même remarque si nous écoutions plus de Depeche Mode, et il y en a peut-être un peu.
C’est aussi la première fois que vous invitez beaucoup de collaborateurs, dont Tricky Stewart (producteur de titres de Britney Spears, Christina Aguilera, Rihanna, Beyoncé, ndlr) and The-Dream (chanteur et lui aussi producteur pour Rihanna, Beyoncé, ndlr).
Josh : Oui, ils étaient très fans de notre musique et ils nous ont demandé s’ils pouvaient participer. Tricky m’a appelé un jour à l’improviste, je ne savais pas vraiment qui c’était, et il m’a dit qu’il était très fan et qu’il voulait notre album dédicacé. Lui et The-Dream ont montré de l’intérêt pour notre musique et ils viennent d’un univers très différent. Tricky Stewart a écrit et produit « Umbrella » pour Rihanna et d’autres tube Pop complètement dingues. The-Dream a fait beaucoup de choses très cool en Pop, Hip Hop et R&B. Nous voulions juste voir ce qui allait en ressortir et expérimenter avec eux. Nous n’avions pas vraiment l’intention de travailler avec qui que ce soit en particulier, mais au fil des ans après avoir travaillé avec des gens différents comme The Flaming Lips, OutKast, The Antlers, de gros groupes et d’autres plus petits, nous nous sommes rendus compte que ça pouvait être fun de collaborer et de voir ce qui se passe. C’est exactement ce que nous avons fait sur cet album.
Et pensez-vous avoir trouvé sur cet album le bon équilibre entre les expérimentations et le fait de vouloir rester accessibles au public en même temps ?
Josh : Oui, vraiment. J’ai tendance à nous définir comme un groupe de Pop expérimentale, nous apportons une sensibilité Pop à nos expérimentations.
Vos chansons sont d’ailleurs très différentes les unes des autres, elles ont chacune leur propre son. Comment parvenez-vous à obtenir une telle variété ?
Josh : Cette diversité est très importante pour nous. Je t’ai dit que nous avons été très influencés par les Beatles et David Bowie, mais aussi Radiohead. Quand tu écoutes les albums de ces groupes, toutes les chansons sonnent différemment, mais c’est toujours le même groupe. Si nous voulions être un groupe de Garage / Punk Rock, nous pourrions le faire, mais nous ne voulons pas être catalogués comme appartenant à un style spécifique. Il est toujours bon d’avoir une large palette, en faisant par exemple une chanson au piano puis la suivante plus étrange, pleine d’arrangements et de samples. Tout ça va ensemble.
Quel est le titre le plus différent des autres sur l’album ?
Josh : « Barking Dog ». Cette chanson est différente parce que c’est la seule sans batterie, sans percussions, bien qu’elle sonne d’une façon très percutante. Celle-ci ainsi que « Answer » n’ont pas vraiment de refrain. « Barking Dog » est intéressante parce qu’elle est certainement inspirée par des artistes comme Steve Reich qui utilise beaucoup de samples, mais aussi des groupes comme Mogwai ou Godspeed You Black Emperor, ce genre de son, mais avec notre propre touche.
Et ‘Destroyer’ est apparemment une assez vieille chanson qui a finalement terminé sur votre album. Quelle est l’histoire de ce morceau ?
Josh : Oui, c’est une chanson que Sarah et moi avions commencé à écrire à Brooklyn et sur laquelle nous avons travaillé longtemps. Elle était plus ou moins inspirée par Pink Floyd au début, puis elle a fini par tourner vers une ballade rythmée plus proche de Sinead O’Connor ou de Prince. Il nous a fallu du temps pour qu’elle prenne forme, elle s’est notamment précisée après le suicide de Becky pour devenir ce qu’elle est aujourd’hui.
Est-ce facile de continuer en duo alors que vous essayez constamment d’apporter une grande variété de nouveaux sons à votre musique ?
Josh : Oui, je pense que c’est plus facile ainsi parce que trop de cuisiniers gâtent la sauce. Sarah et moi avons une vision très similaire donc nous travaillons très bien ensemble. Si trop de gens venaient ajouter leur contribution il serait plus difficile de faire les choses comme nous le voulons.
Il y a une certaine noirceur dans l’album, mais sans s’y noyer pour autant, la dernière chanson « Calling All » en est un bon exemple. La noirceur est-elle pour vous plus un moyen d’expression que le véritable centre des chansons ?
Josh : Oui, je dirais que cette noirceur – ou cette tristesse – comprend une part d’espoir, c’est comme une lumière au bout du tunnel.
Et aimes-tu le fait qu’en fin de compte Phantogram soit un groupe auquel on puisse difficilement coller une étiquette ?
Josh : Oui, je préfère qu’il en soit ainsi, qu’il soit difficile de nous cataloguer.
Et le fait d’expérimenter au fil des ans a-t-il eu un impact sur votre carrière, ou plutôt sur vos fans ?
Josh : Essayer des choses différentes avec notre son et continuer à expérimenter c’est ce qui me donne du bonheur en tant qu’artiste et depuis le début c’est pour cela que nous faisons de la musique, parce que nous voulions être un groupe très varié et avoir une large palette sonore. Quant à la façon dont les fans ont été affectés, je suis sûr que certains voudraient que nous fassions la même chose encore et encore et d’autres sont ouverts au changement. Mais je ne peux pas contrôler ce qu’ils aiment, je suis juste heureux que des gens aiment ce que nous faisons, nos fans sont formidables.
Propos recueillis à Paris le mardi 8 novembre 2016.
Un grand merci à Joshua Carter et Sarah Bartel de Phantogram, à Charles Clément pour avoir rendue cette interview possible ainsi qu’à toute l’équipe de Caroline Records France.
Pour plus d’infos :
Lire la chronique de « Three » (2016)
Le Petit Bain, Paris, mardi 8 novembre 2016 : galerie photos
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