Après avoir sorti un single en 2015 Phoebe Bridgers a pris son temps avant de revenir avec un premier album fin prêt. Celui de partir en tournée – avec Julien Baker notamment – celui de trouver le bon label (Dead Oceans), celui de parfaire sa musique afin de pouvoir enregistrer le disque qu’elle voulait, celui d’une « singer songwriter » Folk qui manie les sons et les émotions. C’est au lendemain de son passage en concert à Paris en juin dernier, en première partie de Whitney au Café de la Danse, que nous avons pu la rencontrer afin qu’elle nous raconte son histoire, mais aussi celle de ses chansons.
Pour te présenter peux-tu me parler un peu de toi, d’où viens-tu et quand as-tu commencé à faire de la musique ?
Phoebe Bridgers : Je viens de Pasadena, dans la banlieue de Los Angeles. Mes parents étaient tous les deux de grands amateurs de musique et honnêtement je ne me souviens pas avoir voulu faire quoi que ce soit d’autre dans ma vie ! Mes parents m’ont toujours apporté leur soutien, ils voulaient me faire chanter devant les gens, c’est probablement pour ça que j’en ai toujours eu envie.
Et quand as-tu commencé à écrire tes propres chansons ?
Phoebe Bridgers : Dès que j’ai appris à jouer de la guitare. Étant enfant je chantais déjà puis j’ai commencé à en jouer vers l’âge de 10 ans et à écrire une chanson par-ci par-là, mais j’ai vraiment commencé à composer sérieusement vers 15 ans.
Tu as commencé à tourner il y a environ deux ans avec Julien Baker, qui était elle aussi une toute jeune singer songwriter ?
Phoebe Bridgers : Oui, j’ai commencé il y a deux ans exactement avec Mason Jennings, puis au début de l’année dernière Julien m’a emmenée avec elle. Je l’adore, elle est super ! J’aime son album, mais c’est vraiment intéressant de la voir jouer ses chansons toute seule à la guitare. Quand tu fais un disque il y a tellement d’arrangements en studio et quand tu la vois jouer tu te rends compte qu’elle joue tout ça elle-même, c’est impressionnant.
Parlons un peu de toi ! Tu avais sorti « Killer » il y a deux ans déjà mais « Smoke & Signals » a été ta première chanson sortie un peu plus tôt cette année. De quoi parle-t-elle ?
Phoebe Bridgers : C’est une chanson d’amour, en gros c’est un cliché d’une personne, au milieu de cette putain d’année 2016 qui a été l’une des pires et coûté cher à beaucoup de monde, avec de nombreux de morts, un gouvernement brutal, et le fait d’être amoureux en même temps. Être avec la personne que tu aimes c’est un peu sortir de ce monde où l’on a peur de tout ce qui se passe. C’est une chanson d’amour au milieu de l’apocalypse.
Cette chanson est le premier aperçu de ton album, mais « Killer » est également dessus. C’était la première chanson que tu aies jamais sortie, j’imagine que la dévoiler au monde, pour la première fois, ce n’était pas une mince affaire ?
Phoebe Bridgers : Oui, énorme même ! J’avais mis de la musique sur Soundcloud auparavant, mais sans avoir de label jusque-là pour sortir mes compositions, personne autour de moi pour m’aider, et le fait que des personnes qui ne connaissaient pas ma musique l’aiment c’était extraordinaire. Tout cela a donc mis du temps à se mettre en place mais c’était une super expérience.
Tu avais travaillé avec Ryan Adams sur ce morceau, comment vous êtes-vous rencontrés ?
Phoebe Bridgers : Par le biais d’un ami en commun, un batteur qui joue avec lui à Los Angeles et avec moi aussi. On s’est vus une fois et le lendemain nous avons enregistré ensemble, et depuis nous sommes amis !
Apparemment c’est un fan ! Il te compare à Bob Dylan et fait les louanges de ta musique. Que penses-tu de cette comparaison ?
Phoebe Bridgers : C’est très intimidant, mais je garde ça à l’esprit quand j’ai besoin de me convaincre, « Je me souviens que Ryan a dit ça un jour ! », ça me motive pour continuer à faire de la musique et être à la hauteur de cette comparaison !
La musique Folk, c’est ce que tu écoutes ? Ta musique me fait beaucoup penser à des artistes telles que Laura Veirs, avec une pointe de Sharon Van Etten peut-être, mais globalement plus Folk.
Phoebe Bridgers : Oh ! Cool ! Bon, je déteste cette réponse mais j’écoute vraiment toutes sortes de musiques. Et pourtant je déteste quand quelqu’un me répond ça ! Mais malgré ça je suis super, hyper inspirée par la musique Folk, c’est la première que j’ai vraiment écoutée et c’est probablement pour ça que j’en fais.
J’ai remarqué qu’il y avait pas mal d’invités sur ton album, notamment Conor Oberst ou Julien Baker. Tu aimes les collaborations ?
Phoebe Bridgers : Absolument. Julien ne joue pas vraiment ni ne chante sur l’album. Pendant l’enregistrement je lui envoyais mes idées et elle me donnait son avis, elle a été d’un grand soutien. En revanche Conor chante sur « Would You Rather » et j’adore ça, je crois que c’est ce que je préfère faire. Et John Doe du groupe Punk de Los Angeles « X » chante aussi sur l’album. J’adore écrire et enregistrer avec des gens.
Avant même d’écouter ton album, en lisant les titres des chansons « Motion Sickness », « Funeral », « Killer » … il y a un sentiment de mélancolie et de noirceur qui se dégage. Le contenu du disque est-il très personnel, basé sur tes propres expériences ?
Phoebe Bridgers : Oui, extrêmement personnel, mais je ne me sens pas comme une personne déprimée ou sombre. La musique me permet de surmonter ces sentiments, tout comme la musique que j’écoute qui est souvent très triste. C’est donc très personnel mais sans être pour autant mon portrait. J’essaie de ne pas me prendre trop au sérieux. Je ne voulais pas faire un disque émotionnellement lourd et épuisant, mais il est profondément personnel et vraiment très sombre.
Tu n’as donc pas de crainte de trop te livrer et de faire face aux réactions des autres ?
Phoebe Bridgers : Julien (Baker) et moi en avons parlé. C’est effrayant bien que je n’y avais pas pensé avant d’être interviewée. Maintenant elle y pense beaucoup avant d’écrire et même d’enregistrer. Elle se dit « Oh mon dieu, les gens vont entendre ça ». Mais je ne sais pas, je n’ai pas vraiment cette expérience passée d’avoir sorti une œuvre très personnelle mais qui sait ? En tout cas je n’y pense pas lorsque j’écris, mais je ne sais pas comment je me sentirai lorsqu’il sortira et que le public l’entendra, peut-être m’empêcherai-je d’écrire ce genre de choses à l’avenir ?
Je pense que tu n’as pas trop à t’inquiéter, il est généralement plus facile d’écrire sur des choses tristes que sur le soleil qui brille, et puis c’est moins ringard !
Phoebe Bridgers : Ah ! Oui, je suis bien d’accord !
Il y a une chanson qui s’appelle « Demi Moore » qui pour moi traite de la solitude, mais pourquoi ce titre ?
Phoebe Bridgers : C’est juste parce qu’une phrase de la chanson sonne comme son nom lorsque je la prononce, donc j’ai trouvé ça plutôt marrant de la nommer ainsi, c’est un titre choisi par accident !
Aucun lien avec l’actrice donc ?
Phoebe Bridgers : Non, pas du tout, mais je me demande si elle l’entendra un jour, ce serait marrant.
Tu as signé avec le label Dead Oceans un peu plus tôt cette année. Cela t’a-t-il pris du temps pour trouver une maison de disque, puisque tes premières chansons ont environ deux ans ?
Phoebe Bridgers : Je ne dirais pas qu’il a été difficile de trouver un label, mais plutôt de trouver celui qui me convienne. Je voulais vraiment enregistrer mon album avant de signer avec quelqu’un. Je n’avais fait qu’une seule chanson auparavant avec Ryan Adams et c’était entièrement acoustique. Là je voulais faire quelque chose qui me représente puis signer avec celui qui aimerait ça, au lieu de laisser un label décider de ce à quoi j’allais ressembler. C’était la meilleure décision à prendre parce que Dead Oceans a vraiment compris ce que je voulais faire et ils ont décidé de me signer après avoir entendu le disque. C’était un choix intelligent, je les adore.
Ton album était donc prêt depuis longtemps ?
Phoebe Bridgers : Oui, ça devait faire 5 mois environ. Je l’ai mixé après avoir les avoir rejoints, mais j’avais fini l’enregistrement en novembre l’année dernière et j’ai signé avec le label il y a un mois (en mai 2017, ndlr).
Peux-tu me parler de ta méthode d’écriture, les mots viennent sur la musique, tu t’inspires de ce qui t’entoure ?
Phoebe Bridgers : Oui, j’en parlais il y a peu à deux amis songwriters et aucun ne fait ça, mais il doit y en avoir parce que certains prennent des notes. J’en ai sur mon téléphone, je note des choses pour m’en souvenir plus tard, juste une ligne, ou le nom d’un tableau que j’aime, pour y revenir ensuite. A chaque fois que j’écris je prends mon téléphone et je lis mes notes. En dehors de ça je peux aussi bien commencer avec la musique que les paroles. C’est un peu fou, mais je pense constamment à écrire que je sois dehors ou chez moi.
Et comment s’est passé l’enregistrement de l’album, qui l’a produit ?
Phoebe Bridgers : Il a été produit par deux personnes : Tony Berg et Ethan Gruska. Nous avons enregistré à Brentwood dans la maison de Tony. Il a un studio, tout près de sa piscine, c’est plutôt fun !
C’est un producteur expérimenté, c’était une bonne expérience d’enregistrer avec lui ?
Phoebe Bridgers : Oui, incroyable ! Il m’a vraiment mise au défi. Je voulais quelqu’un qui fasse ressortir le meilleur de moi et pas juste me laisser enregistrer ce que je voulais. Et Ethan aussi est incroyable. Il connaît tout sur les synthés et les sons et c’est un excellent pianiste, il en joue sur le disque.
A la fin de l’album il y a une très belle reprise de Mark Kozelek, « You Missed my Heart », pourquoi as-tu choisi cette chanson ?
Phoebe Bridgers : Parmi toutes les chansons que je choisis de reprendre je ne me dis jamais qui me conviendrait le mieux, c’est plutôt une question de frustration. Tu sais, lorsque tu adores une chanson et que tu veux l’écouter 5 fois à la suite, comme « Bed Head » de Jay Som pour moi récemment, je ne peux pas m’en passer à tel point qu’il faut que je la joue. C’est ce qui est arrivé avec cette chanson de Mark Kozelek, sauf que je ne sais pas jouer au piano. Les parties de guitares sont très belles mais je me disais que ça sonnerait vraiment bien au piano. Donc j’ai demandé à Ethan de l’apprendre et de la jouer et tout le monde a été unanime : il fallait la mettre sur l’album ! La chanson originale est sur son album avec Jimmy LaValle « Perils From The Sea », c’est une version au synthé très différente, mais celle à la guitare dont je parlais est sur son album live.
Ton album sort fin septembre, es-tu impatiente ?
Phoebe Bridgers : Oui ! J’avais l’impression que ça n’arriverait jamais, je le pense encore mais je sais que ça va arriver ! Je suis à la fois impatiente, excitée, effrayée… tous les sentiments que tu peux ressentir dans ces moments-là, mais principalement excitée !
Propos recueillis à Paris le jeudi 29 juin 2017.
Un grand merci à Phoebe Bridgers, à Agnieszka Gérard pour avoir rendue cette interview possible, ainsi qu’à toute l’équipe de Pias France / Dead Oceans.
Lire la chronique de « Stranger in the Alps » (2017)
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