Lorsque nous avions rencontré St. Vincent à l’été 2011 avant la sortie de ‘Strange Mercy’, nous avions été marqués par l’évolution rapide de cette artiste qui avait commencé quelques années plus tôt au sein de The Polyphonic Spree. Aujourd’hui le chemin parcouru semble d’autant plus grand qu’elle s’est totalement réinventée sur un nouvel album aux allures futuristes dont elle a bien voulu nous confier quelques détails à l’occasion de son passage à la Cigale à Paris le 18 février dernier.
Les tournées pour ‘Strange Mercy’ et ‘Love This Giant’ ont duré un an et demi, que se passe-t-il lorsque tu arrives à la fin d’un emploi du temps aussi intensif ?
St. Vincent : Je suis rentrée chez moi et j’ai dit à tout mon entourage « que l’on ne m’embête pas pendant 15 jours, je vais prendre quelques vacances ». Mais 36 heures plus tard j’ai rappelé tout le monde et je leur ai dit « oubliez-ça, j’écris un nouveau disque ! ». J’ai donc commencé à écrire cet album tout de suite après.
Et ce disque a été plus difficile à écrire ou les choses se sont-elles passées en douceur ?
St. Vincent : Non, il n’a pas été plus difficile. Je ne dirais pas que cet album s’est fait sans efforts, parce ça en représentait évidemment beaucoup, mais je l’ai juste abordé avec une certaine confiance en moi, et donc le processus a donc été beaucoup plus facile et rapide. J’ai commencé à écrire en octobre et j’enregistrai le mois de mai suivant. Et au milieu de tout cela j’étais aussi en tournée.
Il y avait un thème précis sur tes précédents disques, d’Actor, dont le titre est explicite, à ‘Strange Mercy’ qui aborde l’idée de la douleur et de la recherche de réconfort, y-en-a-t-il un précis pour celui-ci ?
St. Vincent : Je dirais que pour chaque disque que j’ai écrit, des archétypes différent sont apparus. ‘Strange Mercy’, c’était un peu l’idée d’une femme au foyer des années 60, qui boit du vin blanc et prend des barbituriques. Sur ‘Love This Giant’, c’était la Belle et la Bête. Mais c’est David qui était la Belle et moi la Bête. Sur cet album, l’archétype, c’est un leader de secte dans un futur proche.
Tu as attendu ton quatrième album pour le nommer simplement « St. Vincent », est-il plus personnel ?
St. Vincent : Tous les disques que j’ai fait ont été incroyablement personnels. Pour celui-ci je lisais la biographie de Miles Davis où il disait que la chose la plus dure à faire pour un musicien est de sonner comme soi-même. Et je pense que pour moi c’est le cas sur cet album.
J’ai lu dans le communiqué de presse que tu décris ce disque comme « un album de fête qui pourrait être joué à un enterrement ». Peux-tu m’expliquer cela ?
St. Vincent : Oui, je voulais que le groove soit vraiment primordial. Moi je voulais aussi qu’il y ait de l’empathie, du cœur et du pathos.
Cet album semble mettre beaucoup plus en avant les rythmes et arrangement électroniques, étais-tu à la recherche d’une nouvelle direction musicale ?
St. Vincent : Comme je le disais j’aime la musique qui a du groove et c’est une chose difficile. J’ai été très inspirée par la tournée de ‘Love This Giant’ où les gens dansaient, et je me suis dit que ce serait sympa de pouvoir faire un disque sur lequel les gens pourraient danser.
Pour ton précédent album tu m’avais dit avoir rangé ton laptop au placard pour la composition, et tout fait à la guitare. J’imagine que c’était différent cette fois-ci ?
St. Vincent : Ce disque est arrivé de beaucoup de façons différentes. Il y a des chansons comme ‘Prince Johnny’ où les paroles venaient d’abord, puis la musique ; d’autres comme ‘Rattlesnake’ où je travaillais sur des boucles électroniques ; et d’autres chansons avec la musique d’abord, puis les paroles tout à la fin. Tout s’est fait assez différemment, mais j’ai fait beaucoup de démos de cet album, juste seule sur mon ordinateur, avant d’aller en studio.
Lorsque j’écoute tes chansons, qu’elles soient anciennes ou nouvelles, j’ai le sentiment que tu es une perfectionniste, au sens où chaque titre comprend de nombreuses couches d’instruments et révèle de nouvelles choses après chaque écoute. Cette description te semble-t-elle juste ?
St. Vincent : Je ne dirais pas que je suis perfectionniste, car la perfection en musique serait quelque chose de très ennuyeux. La perfection, c’est la bonne note sur le bon rythme, le tout parfaitement accordé, et du coup le résultat final est très ennuyeux. Mais je pense être très exigeante parce que cette musique le requiert. Ces chansons sont comme des puzzles en termes d’acoustique, il y a de nombreux sons qui s’entremêlent et s’ils ne sont pas mis ensemble et mixés de la bonne manière, ils pourraient communiquer quelque chose que je n’ai jamais eu l’intention de faire passer.
Une fois encore John Congleton a produit ton album. Il semble qu’il y ait une belle alchimie entre vous ?
St. Vincent : Oui, nous sommes amis, on vient tous les deux du Texas, et on s’entend très bien !
Il a produit tous tes albums ?
St. Vincent : Non, il est arrivé sur ‘Actor’ qu’il a terminé, puis il a fait les autres.
Tu as invité le batteur des Dap-Kings, était-ce pour apporter une teinte particulière à l’album ?
St. Vincent : Oui, je voulais ce côté Soul et « salé », et je savais qu’il jouerait bien avec Bobby Sparks, qui joue du minimogg (un synthétiseur, ndlr), et ça s’est vraiment très bien passé.
Et tu as également invité Mckenzie Smith de Midlake, quel rôle a-t-il joué sur cet album ?
St. Vincent : Lui aussi jouait de la batterie, Homer (Steinweiss, des Dap-Kings) a joué sur à peu près la moitié des titres et lui sur l’autre.
Quelle est la signification de la chanson ‘Digital Witness’ ? Est-ce le fait d’être prisonniers de nos vies virtuelles, sur les réseaux sociaux ?
St. Vincent : Ce n’est pas vraiment une critique de notre temps, c’est plutôt émettre l’idée de se demander ce que toute cette technologie apporte à nos cerveaux, sur le court et le long terme. On devient obsédé par l’idée de documenter nos vies, on ne peut pas juste manger un sandwich, il faut le prendre en photo, le publier et attendre une salve d’applaudissements pour l’avoir mangé. D’une certaine manière tout cela me fait penser aux mouvements des données qui sont classées et hiérarchisées, ensuite tu portes un regard nouveau dessus. Mais ça n’a pas l’air si pénible, on a juste l’impression que tout le monde semble s’incliner devant l’autel du dieu du contenu.
C’est comme vouloir montrer à tous combien ta vie est formidable lorsque tu publies quelque chose.
St. Vincent : Oui, c’est une chose à laquelle beaucoup de monde aspire, on trouve une forme d’espoir dans le fait de vouloir créer une version idéale de nous-mêmes.
D’ailleurs en venant ici j’ai publié sur ma page « je vais interviewer St. Vincent » pour voir les réactions de mon entourage !
St. Vincent : Bien sûr, mais je fais la même chose tu sais !
En parlant du monde digital, la pochette de ton album a un aspect très futuriste, c’était intentionnel ?
St. Vincent : Bien sûr, tout était intentionnel. J’ai mûrement réfléchi à l’image que je voulais présenter, et je voulais illustrer le pouvoir. Je pensais au fait que « le pouvoir est dans la pose ». Il était intéressant de voir quels types de micromouvements traduisent le mieux le pouvoir et ceux avec lesquels ça ne marche pas, comme tourner ma tête ou mes jambes dans tel ou tel sens. Il s’agissait de prendre la photo de la meilleure façon possible pour communiquer cette idée de pouvoir, qui était ici un regard précis, tout cela étant lié au thème du leader de secte dans un futur proche.
Il y a deux ans tu as fait un album avec David Byrne et beaucoup tourné avec lui. Qu’as-tu appris à ses côtés ? Penses-tu qu’il a eu une influence sur les chansons que tu as écrites ensuite ?
St. Vincent : Ce que j’ai appris de David était surtout existentiel. Il est très optimiste et regarde toujours vers le futur, et c’est très agréable d’être à ses côtés.
Je me souviens avoir assisté à ton concert plein de fougue au Café de la Danse en 2011 à Paris. Comme tu as beaucoup tourné depuis, as-tu encore plus développé l’aspect scénique de tes chansons? A quoi peut-on s’attendre ce soir ? (à la Cigale, ndlr)
St. Vincent : Oui j’ai beaucoup travaillé dessus. L’univers visuel de l’album est encore plus élargi en concert. C’est très cinétique, ça fait un peu penser à des hallucinations dues à la fièvre.
J’ai le sentiment que tu as aujourd’hui acquis une belle notoriété aux USA, est-ce un challenge pour toi de venir jouer en France devant un public qui ne te connait peut-être pas aussi bien ?
St. Vincent : Je pense que mes fans sont super, où qu’ils soient. Et les choses évoluent ici aussi donc c’est une bonne chose. L’important c’est d’offrir à mon public le meilleur show possible.
Tu as changé de label alors que tu étais depuis tes débuts sur le label 4AD (Beggars, ndlr), était-ce simplement la fin de ton contrat ou recherchais-tu un nouveau départ dans une nouvelle structure ?
St. Vincent : C’était les deux en fait. Mon contrat était terminé et j’ai fait ce disque moi-même, je l’ai auto financé, puis j’ai essayé de voir quoi en faire, où aller avec. L’album était prêt. La question que je me posais était donc « devrais-je retourner chez 4AD ou aller ailleurs ? ». Il n’y avait rien d’amer dans mon départ, mais je n’ai aucun regret.
Propos recueillis à Paris, le mardi 18 février 2014
Un grand merci à St. Vincent, ainsi qu’à Maxime de Boogie Drugstore pour avoir rendue cette interview possible.
Pour plus d’infos :
Lire la chronique de ‘St. Vincent’
Galerie photos du concet à la Cigale, le mardi 18 février 2014
Lire la chronique de ‘Strange Mercy’ (2011)
Lire l’interview de St. Vincent, le vendredi 24 juin 2011
Galerie photos du concet au Café de la Danse, le Mercredi 30 novembre 2011
Lire la chronique de ‘Actor’ (2009)
Lire la chronique de ‘Marry Me’ (2007)
La Maroquinerie, Paris, dimanche 26 avril 2009 : compte-rendu / galerie photos
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