« On fait un peu partie de la classe ouvrière du Rock »
On ne s’en était presque pas rendu compte, mais cela fait déjà 20 ans que The Dears fait partie du paysage musical et fait vivre sa musique à la fois poignante, romantique et Rock dans l’âme. Si le groupe a connu de nombreux changements, son noyau dur composé du couple Murray Lightburn et Natalia Yanchak est toujours le même. A l’occasion de l’un de leurs trop rares concerts parisiens, ils nous ont parlé de leur histoire et de leur dernier album en date, « Times Infinity Volume One », qui est enfin sorti en France ce mois-ci.
Beaucoup de temps s’est écoulé entre “Degeneration Street” et ce nouvel album, pouvez-vous me dire ce que vous avez fait entretemps ?
Natalia Yanchak : En 2011 nous avons donc sorti« Degeneration Street », et après ça nous avons eu un bébé, puis Murray a sorti un album solo. Nous avons donc commencé à travailler sur le nouvel album quand le bon moment est arrivé, avec suffisamment de chansons sur lesquelles travailler. Nous ne suivons pas un planning strict, on prend les choses comme elles viennent.
Et pourquoi la sortie physique de « Times Infinity Volume One » n’est-elle arrivée qu’au début du mois de février en France et en Europe, alors qu’au Canada il était sorti depuis septembre 2015?
Natalia Yanchak : Ce fut très long pour nous aussi, ce n’était pas un choix. Si ça n’avait tenu qu’à nous il serait sorti partout au même moment, puis le « Volume Two » serait sorti quelques mois plus tard. C’est juste à cause de l’industrie de la musique, des labels, des agents, des managers, tous ces gens qui mettent en place des stratégies. Même pour la suite de notre album, ils nous avaient dit au début « Nous allons le repousser de quelques semaines », et puis après c’était une semaine de plus, et le temps de le dire une année s’est écoulée.
Dans votre biographie le groupe est décrit comme étant « orchestral, Pop, noir et romantique ». Les termes romantique et orchestral sont-ils ceux qui définissent le mieux la musique de The Dears depuis ces 20 dernières années ?
Natalia Yanchak : Oui sans aucun doute, mais il faut utiliser la phrase dans son intégralité. Tu ne peux pas juste mettre orchestral et romantique sans la partie Rock ou Pop, parce que notre musique n’est pas orchestrale d’une façon classique. Nous ne jouons pas avec un orchestre, mais nous créons le nôtre avec des instruments acoustiques, analogiques et aussi digitaux comme des synthétiseurs, ce qui rend notre orchestration peu conventionnelle.
Et d’où vient le nom de l’album, « Times Infinity » ?
Natalia Yanchak : Ça vient d’une phrase que nous utilisons avec notre fille : « Je t’aime à l’infini multiplié par l’infini » (« I love you times infinity » en anglais, ndlr). C’est une expression assez commune, et nous voulions exprimer ce sentiment infini en créant quelque chose qui, d’une certaine manière, existera toujours.
La thématique de l’album est donc liée à l’amour pour vos enfants, ou peut-être à votre situation actuelle dans votre vie et dans votre carrière ?
Natalia Yanchak : Je pense que ce sont toutes ces choses à la fois. Le thème de l’héritage est important, même si nous ne pensons pas nécessairement aux thèmes que nous allons aborder à l’avance, ils se développent avec la musique. Mais il y a sans aucun doute l’amour et les relations, l’intimité et la séparation.
Murray Lightburn : Nous exprimons aussi le fait qu’il y a beaucoup de choses en jeu, parce que tu as quelque chose de précieux pour toi (sous-entendu : leurs enfants, ndlr) et tu as beaucoup à perdre. Et dans ce cas de figure tu abordes la vie d’une manière très différente. Je crois que c’est sous-jacent tout au long de l’album, ce sentiment d’anxiété mêlé à la satisfaction de ta vie. Tu as peur de tout perdre.
Et pensez-vous que cela rend tout de même l’humeur de l’album plus optimiste que par le passé, moins noire que certains de vos disques précédents ?
Natalia Yanchak : Il y a certainement une part d’optimisme, mais aussi de réalisme, c’est un équilibre entre les deux.
La chanson “Here’s to the Death of All Romance” fait-elle volontairement écho à “22 : The Death of All the Romance” qui est sortie 12 ans plus tôt ?
Murray Lightburn : Oui, absolument. A l’époque où la première chanson a été écrite nous étions dans une situation différente, alors qu’aujourd’hui l’idée qu’elle exprime inclue beaucoup d’autres éléments qui sont en jeu comme faire un emprunt pour un logement, avoir des enfants et les cheveux gris. L’idée romantique est toujours là mais elle est aussi sarcastique. Le titre exprime la mort de l’idylle alors qu’en fait elle n’est pas du tout morte, elle s’est au contraire épanouie. C’est donc sarcastique en faisant référence à nous-même.
Sur « Someday All This Will Be Yours » il y a donc également une histoire avec les enfants et une idée d’héritage ?
Murray Lightburn : Oui, ça parle de ce que tu laisses derrière toi, d’en tirer une certaine fierté mais aussi de l’humilité. C’est une façon simple de dire « ce n’est pas grand-chose mais ça t’appartient ». Je n’aime pas trop utiliser cette image mais c’est un peu comme l’idée du rêve américain : bâtir une propriété qui t’appartient et à laquelle tu as contribué, et tu en tires une certaine fierté dans ton identité qui n’a pas besoin de trouver ses racines dans des idéaux nationalistes mais bien plus profonds.
Et quelle serait la chanson la plus romantique de l’album ?
Natalia Yanchak : Je dirais « To Hold and Have ».
Murray Lightburn : Oui, c’est évident. Une fois de plus, tout comme sur “Here’s to the Death of All Romance” qui s’en rapproche aussi un peu la question qui se pose est « Qu’est-ce qui nous motive ? Que faisons-nous et pour qui le faisons-nous ? » et aussi « Qu’est-ce qui te fait lever le matin ? ». Je ne dis pas que tout le monde doit procréer, fonder une famille ou quoi que soit de ce genre, mais je pense qu’une partie du romantisme à aussi à voir avec ce qui t’inspire, qui te motive et te fait aller de l’avant, pourvu que ce ne soit pas quelque chose de négatif . Si c’est la haine qui te motive alors c’est triste, mais dans cette chanson nous en parlons d’un point de vue purement positif.
Natalia Yanchak : Nous essayons d’encourager les gens à y penser et à se motiver par l’amour.
Murray Lightburn : Et c’est aussi pour ça que nous restons toujours écartés de la politique. Les gens sont obsédés par la politique aujourd’hui, mais en tant que groupe nous avons le sentiment que ce n’est pas notre rôle de dire quoi que ce soit sur ce sujet, pour deux raisons : d’abord nous ne voulons pas imposer nos opinions politiques ou religieuses à qui que ce soit, The Dears ce n’est pas ça. Et ensuite – certains te diront peut-être que c’est lâche, même si je ne le crois pas – c’est que si nous devions faire des discours et soutenir des partis politiques, si cela mettait à l’écart certaines personnes et les empêchait d’écouter notre musique, ça n’irait pas. Ce qui est important c’est que les gens viennent nous voir et écoutent notre musique, et si juste cela améliore leur vision du monde d’une façon positive, alors c’est bien plus efficace que tous les discours du monde. Nous ne sommes pas là pour leur dire pour qui voter. La seule façon dont nous pourrions être actifs c’est en incitant les gens à aller voter car c’est le seul pouvoir que nous « croyons » avoir.
Il y a eu beaucoup de changements de musiciens au sein du groupe pendant les 10 dernières années, est-ce que cela rend les choses plus difficiles pour retomber sur vos pieds et garder votre marque de fabrique d’un album à l’autre ?
Tous les deux : Non ! (Rires)
Murray Lightburn : Non, The Dears c’est un peu comme une vieille maison, si tu choisis d’y entrer, tu peux choisir d’y ajouter un objet pour la décoration comme une lampe, refaire la cuisine, mais ça reste toujours la même vieille maison. Quand j’écris ma musique je peux facilement identifier ce que The Dears feraient avec tel ou tel morceau. Et les autres choses que j’écris, elles vont ailleurs, sur d’autres projets, mais pas avec The Dears.
Comme ton album solo ?
Murray Lightburn : Oui, mon album solo, et j’ai également travaillé sur d’autres projets comme faire de la musique pour des podcasts. Je fais beaucoup de musique et je ne peux pas tout utiliser pour The Dears.
Donc « Times Infinity Volume 2 » est attendu plus tard cette année ?…
Murray Lightburn : Oui, en mai ou juin, nous espérons.
Les deux disques sont-ils liés ? Avez-vous considéré à un moment donné sortir un double album ?
Murray Lightburn : Je voulais sortir les deux albums en même temps, comme « Use Your Illusion 1 & 2 » (des Guns N’ Roses, ndlr), mais personne n’a voulu le faire. J’ai donc dit « au moins si le second peut sortir dans les 6 mois qui viennent ce serait vraiment cool ». Ils m’ont dit « Oui ! Bien sûr, pas de soucis on va le faire ! »… Et personne ne l’a fait. Nous sommes actuellement sur le point de changer de maison de disques au Canada, afin de pouvoir aligner au moins nos dates de sorties à l’international.
Le groupe fête déjà ses 20 ans. Imaginiez-vous à l’époque que vous seriez encore là, à faire de la musique ?
Murray Lightburn : Tu sais, nous étions à Amsterdam l’autre jour, et maintenant à Paris, et quand j’avais 15 ans et que je jouais de la guitare en écoutant mes cassettes je n’aurais jamais imaginé que tout ça m’aurait emmené jusqu’ici, à parler avec toi ou à faire un concert sur un bateau ce soir ! (Le Petit Bain, ndlr). Certains pensent que choisir de faire une carrière musicale c’est vouloir être comme U2, mais je n’ai jamais aspiré à ce genre de succès et je suis déjà très reconnaissant de la renommée que nous avons obtenue jusqu’ici. Mais ce qui est super c’est de garder l’anonymat. Ma vie m’appartient toujours. On fait un peu partie de la classe ouvrière du Rock, par opposition aux stars internationales. J’aime vraiment ça, ça me rend heureux.
Oui, et je ne pense pas que la qualité de la musique doive être mesurée par le succès et les chiffres de vente.
Murray Lightburn : Oui bien sûr. Tout ça, ce sont des foutaises. Ce n’est pas important. Et ce n’est pas comme si toute ma vie était basée là-dessus. Nous avons des enfants maintenant et nous mettons beaucoup d’énergie à nous impliquer dans notre vie familiale, à élever nos enfants et à les rendre heureux. Je ne pense pas être assez narcissique et égocentrique pour être carriériste avec seulement le désir de conquérir les Charts. Ce n’est pas moi.
Et pensez-vous être encore là dans 20 ans ?
Murray Lightburn : Oui, je l’espère. Je ne sais pas comment nous le ferons et à quoi nous ressemblerons dans 20 ans. Si tu es toujours inspiré pour écrire et sortir un disque, puis le jouer en concert devant des gens c’est ce qui compte. Mais nous nous concentrons sur un album à la fois. Une fois que le Volume 2 sera sorti je ne peux pas te garantir quand et si un nouvel album de The Dears sortira, mais je suppose que ça arrivera.
Propos recueillis à Paris le mercredi 22 février 2017.
Un grand merci à The Dears, ainsi qu’à Johannès Bourdon et toute l’équipe du Petit Bain pour avoir rendue cette interview possible.
Pour plus d’infos :
Lire la chronique de « Times Infinity Volume One » (2017)
Le Petit Bain, Paris, mercredi 22 février 2017 : galerie photos
‘Degeneration Street’ (2011)
‘Gang Of Losers’ (2006)
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