Après avoir créé le buzz il y a deux ans grâce à un album qui mêlait habilement arrangements électroniques et refrains Pop Rock parfaitement calibrés, The Hundred In The Hands est aujourd’hui de retour avec ‘Red Night’, un disque plus atmosphérique et particulièrement hanté sur lequel le duo New Yorkais nous dévoile aujourd’hui ses ambitions, mais aussi ses démons… Vous pourrez lire l’interview dans son intégralité ci-dessous.
Comment vous êtes-vous rencontrés et comment le groupe a-t-il commencé ?
Eleanore : On s’est rencontré quand Jason faisait partie d’un autre groupe. Il avait fait un disque et recherchait des personnes pour tourner avec lui. Il a entendu parler de moi par un ami commun, et il m’a contacté via Myspace ! J’ai sauté sur l’occasion de partir en tournée et c’est comme ça que nous nous sommes rencontrés.
Jason : Nous avons fait nos bagages puis nous sommes partis en tournée pendant environ un mois et demi, puis on est sorti ensemble dès le deuxième soir de la tournée.
Et quelle fut votre toute première expérience musicale ?
Jason : Dans la vie ?
Oui !
Jason : Mon père avait fait une cassette de toutes les chansons des Beatles qui convenaient bien aux enfants : ‘Octopus Garden’, ‘Yellow Submarine’…
Eleanore : Mon premier rapport à la musique c’était la danse. J’ai fait beaucoup de danse classique quand j’étais enfant, pendant des années. Et je me souviens que mes parents mettaient de la musique à la maison et j’allais tout de suite m’habiller pour danser ! Souvent ils avaient des amis invités à dîner et j’essayai d’attirer l’attention en dansant dans le salon sur la musique. Je n’étais pas vraiment consciente de ce que je faisais…
Et que signifie le nom du groupe, ‘The Hundred In The Hands’?
Eleanore : A Hundred In The Hands, c’est le nom d’une bataille américaine entre les autochtones et les colons venus s’installer là. Ce fut une victoire pour les autochtones, ce qui distingue cette date des autres dans l’histoire. Le chef Indien Crazy Horse y a participé. C’est un triomphe pour les futurs perdants.
Jason : L’histoire dit que la nuit de la bataille ils se bousculaient pour entrer et sortir du camp en disant « j’en ai plein les mains… » Et le jour suivant ils ont tué près d’une centaine de soldats.
Avez-vous déjà envisagé de recruter d’autres membres à plein temps, ou cette formule à deux vous convient-elle ?
Jason : Ca nous convient très bien. On vient de prendre un batteur pour le live, donc on a un membre en plus pour les tournées. Cependant on n’a jamais eu l’intention de n’être qu’un duo, on pensait qu’on aurait une autre personne avec nous mais on ne l’a jamais trouvée. C’est assez dur de trouver un membre permanent.
Eleanore : Oui, je pense que maintenant ce serait difficile d’intégrer un autre membre à plein temps, mais on a toujours parlé d’élargir les prestations live au-delà de nos deux personnalités. Un batteur c’est le début de cela, et peut-être après pourrons-nous ajouter une ou deux autres personnes à nos spectacles.
Et quelle forme prennent les chansons sur scène, sont-elles différentes des versions studio ?
Jason : En général elles sont plus fortes, plus lourdes. Ça nous prend du temps parce que nous écrivons et enregistrons en même temps, donc ce n’est pas comme si on venait de finir l’album et qu’on disait « Oh, on peut jouer 10 nouvelles chansons ! ». On doit réfléchir à ce que l’on peut faire seulement sur ordinateur, en dehors de cela certains titres sont impossibles à jouer. Il faut réapprendre les chansons et trouver une nouvelle façon de faire sortir ces sons, donc les choses ont été assez différentes.
Eleanore : Oui, bien sûr c’est différent. C’est fort, c’est une combinaison de sons forts et modérés, puis des choses plus délicates, donc trouver le bon équilibre est toujours un combat. Parfois les chansons sont plus énergiques et chaotiques en concert que sur disque, mais nous aimons cela.
Vous avez autoproduit cet album, alors que sur le précédent vous aviez fait appel à plusieurs producteurs. Vous aviez envie de tout faire par vous-même cette fois-ci ?
Jason : Oui. Pour le 1er disque nous apprenions encore comment écrire ensemble, et tout ce travail était inspiré par les albums que nous aimions déjà. On aimait beaucoup la Pop en général, donc on essayait constamment de rendre l’ensemble plus propre. On a fini par tout produire nous-même jusqu’aux trois quarts du disque, et arrivés là on a pensé aux producteurs qui conviendraient bien à chaque chanson et les conduiraient jusqu’au bout. Cette fois, on s’est dit qu’on ne s’arrêterait pas à 75% et qu’on irait jusqu’au bout tout seuls!
Eleanore : Oui. On voulait un contrôle créatif total, ce qui est une bénédiction et une malédiction! C’était très excitant mais c’était vraiment un challenge de s’occuper de choses comme le mixage, parce que nous sommes seulement des musiciens, pas des ingénieurs.
Jason : Mais au-delà d’être excité par tout ce procédé, on voulait surtout faire un disque qui sonne comme un « tout », et prendre le temps de s’asseoir en studio et de le développer nous-même.
Y-a-t-il un thème spécifique aux chansons de cet album ?
Eleanore : Oui !
Jason : On a commencé par écrire deux chansons sombres, elles parlaient choses très noires. ‘Empty Stations’ parle en partie du décès de Trish (Keenan, ndlr) de Broadcast, et de Gerard (Smith, ndlr) de TV On The Radio. Gerard et moi avions l’habitude de jouer dans la même station de métro. Donc quand il est mort j’ai écrit une chanson, je veux dire un texte publié sur le web où je racontais comment c’était alors. Je descendais les marches du métro pendant qu’il jouait et j’entendais monter le son de sa guitare. J’imaginais que si l’écho de sa musique s’engouffrait toujours dans les tunnels on pourrait alors la capter, comme lorsque tu navigues entre deux stations de radio et que tu touches à l’au-delà, que tu captes des messages. Des choses assez sombres s’étaient passées entre nous à l’époque, donc on ne savait pas comment en parler alors. C’est pour ça qu’on a écrit là-dessus. Une fois qu’on a su comment en parler, le disque s’est vraiment ouvert et a pris son envol. Et la première chose qui en est sortie est ‘Lead In The Light’ qui est un peu comme le retour du soleil après une longue nuit. Donc aller de ‘Empty Stations’ à ce titre, c’est plus ou moins le thème de l’album, traverser une longue nuit jusqu’à ceux que tu aimes, en passant par les différents tunnels, les rues vides.
Et la pochette de l’album est-elle liée aux thèmes des chansons elle aussi ?
Eleanore : Les photos de la pochette ont été réalisées par un ami artiste, Jesse Hlebo, qui est installé à Brooklyn. Il a une méthode de travail très ‘industrielle’. Il s’agit de pièces qui furent inversées pendant le processus.
Jason : Il nous a filmés et il a fait des photos qu’il a superposées, puis il les a imprimées, scannées, froissées, bougées sur le scanneur dans tous les sens… On a fait appel à lui parce qu’on aimait son art en général. Il nous a montré certains de ses travaux et son style se rapprochait de la façon dont le disque avait été fait. Certaines choses sont nettes, d’autres floues, et on est exactement au milieu de tout cela. Tout est lié. Puis on a envoyé les images terminées à Till Wiedeck à Berlin et il a fait la typographie avec une approche assez similaire.
Eleanore : On parlait juste de concepts. Ceux qui sont important pour nous, pour la réalisation du disque, et qui leur ont permis d’explorer ces idées avec leur point de vue d’artistes. Je pense que ça a très bien marché, on était content du résultat.
L’atmosphère générale de l’album est bien plus sombre et expérimentale que sur le précédent. Est-ce quelque chose que vous envisagiez depuis le début ?
Jason : Je pense que c’est quelque chose de naturel, par rapport à ce que l’on aime. Mais c’est vrai que le 1er album était plus axé sur des singles, un univers Pop d’où ressortaient toutes les influences qui allaient avec. Alors que cette fois-ci nous voulions faire un disque qui étire tout cela, en traitant de ce thème plus sombre, on s’est donc engagé là-dedans.
Eleanore : Comme tu le disais nous avions fait un disque plus Pop. On voulait aller dans une autre direction mais on avait peur de le rendre trop différent du précédent. Mais notre label nous a vraiment poussés à explorer de nouveaux territoires pour ce disque, ce qui a été très libérateur pour nous. Et je pense que notre background est moins Pop que ce qui ressortait du premier disque, même si on en est très fier. C’a été fun pour nous de faire quelque chose de plus expérimental cette fois-ci.
Jason : De ce point de vue c’est le disque Pop qui était le plus expérimental pour nous, parce qu’on essayait des choses que l’on n’avait jamais faites auparavant ! C’est comme revenir vers quelque chose de familier et en tirer des enseignements.
Comme ce disque est bien plus atmosphérique, vouliez-vous justement éviter ces Pop songs accrocheuses cette fois-ci ?
Eleanore : Pas « éviter » nécessairement mais je pense que…
Jason – reprend : …Il faut que soit excité par ce que tu fais d’un disque à l’autre, et ce son Pop nous excitait justement plus sur le premier album, et pas cette fois-ci. Là on était emballé par tout ce qui tendait à être plus lent, et il faut suivre ce qui fait bouger ton corps.
Diriez-vous que sur cet album les sonorités électroniques ont pris le dessus sur les guitares, qui sont toujours là mais plus en arrière ?
Jason : En fait tout ce qui sonne comme des synthés, ce sont des guitares. Il n’y a presque pas de claviers sur les chansons ‘Red Night’ et ‘Stay The Night’. On a ralenti et joué avec le son des guitares. C’est plutôt la guitare qui est devenu un instrument bien plus travaillé. C’est pareil pour les paroles, tu entends des choses qui sont clairement du chant et d’autres qui sont des couches faites à partir des voix, également abstraites.
Eleanore : Oui, je pense qu’on a beaucoup manipulé les sons. C’est une grande partie dans la réalisation de ce disque. Et nous aimions le fait de ne pas savoir ensuite d’où venaient ces sons, avec quoi ils étaient produits. C’est beaucoup le cas avec les guitares.
En parlant d’abstrait, le choix du nouveau single, ‘Keep It Low’ ne paraît pas être le plus évident, était-ce une manière pour vous de dire « Nous sommes de retour avec quelque chose de différent » ?
Eleanore : Nous n’étions pas sûrs du single qui serait le plus approprié. Je pense que plusieurs chansons de l’album étaient des singles potentiels de notre point de vue mais ‘Keep It Low’ était celui que beaucoup de gens que nous respections et en qui nous avions confiance ont choisi.
Jason : Il comportait beaucoup de choses qui sont dans le disque, donc c’était naturel. C’était aussi la dernière chanson que nous avions composée, donc la plus fraîche dans notre esprit.
Pour ma part j’aurais choisi ‘Come With Me’ mais je ne connais l’album que depuis quelques jours donc je n’ai pas assez de recul !
Eleanore : ‘Come With Me’ est sans aucun doute direct donc oui, mais celle-ci représente beaucoup mieux le disque.
Jason : Sur le dernier disque on pensait que chaque chanson était potentiellement un single, et je ne crois pas que nous y ayons vraiment pensé cette fois-ci !
Et comment se passe l’écriture des chansons entre vous, en tournée, à la maison ?
Eleanore : On est incapable d’écrire en tournée. On a essayé, il y a des gens qui font ça très bien, mais nous pour ça on a besoin d’arrêter les concerts et sortir seuls…
Jason : Elle reste à la maison et moi je suis en studio pendant un mois, et on prépare chacun des ébauches : un sac de paroles, un sac d’accords… Puis on commence à écrire et enregistrer en même temps, en voyant quelles paroles conviennent à quel passage. Sur le premier album j’ai composé des mélodies vocales avec les paroles mais sur celui-ci je me suis contenté des paroles et Eleanore s’est occupée du chant. C’est comme un patchwork, un couplet de ma chanson, un autre de la sienne.
Eleanore : Une ligne dans une ligne… On crée un tas de choses et puis on les brasse ensemble !
Jason, tu as passé plus d’une année à Berlin, une ville à la scène électronique très vivante, est-ce que tu penses que cela a eu une influence sur ce que tu allais faire ensuite avec The Hundred In The Hands ?
Jason : Certainement. Sur le dernier disque de Boggs on essayait d’implémenter certaines de ces idées. L’atmosphère générale de la ville a dû avoir une grosse influence dont je m’inspire encore. Par exemple il y a beaucoup de désolation et d’espaces urbains vides dans cet album et il y a sans aucun de cela à Berlin.
Et c’est important pour vous d’être un groupe New-Yorkais ? Auriez fait la même musique en venant d’ailleurs ?
Jason : On a essayé de venir d’ailleurs, on a essayé de s’installer à Paris… Ça n’a pas marché !
Eleanore : Je ne pense pas que l’on soit fier d’être un groupe New-Yorkais. On adore tous les deux la ville, et beaucoup de grands artistes y émergent. C’est submergé de musiciens aujourd’hui, il y a tellement de groupes.
Jason : On n’a plus l’impression que c’est quelque chose d’unique ou de spécial. Pour les gens qui ont un groupe en Amérique, tout dépend de leur proximité d’une côte ou de l’autre. Ils vont à Los Angeles ou New York, mais principalement New York. Notre studio est dans un bâtiment que l’on partage avec 25 autres groupes qui sortent aussi des disques et partent en tournée. Un pâté de maison plus loin c’est pareil. Et tous ces groupes en tournée passent par le magasin de guitares du coin. C’est spécial parce que grâce à cela il y a beaucoup de compétition au niveau créatif. C’est sain parce que ça te rappelle toujours que tu n’es pas aussi bon que tu le crois, qu’il faut essayer plus fort.
Eleanore : Oui, c’est certainement une bonne énergie, mais c’est surtout chez nous !
Tout s’est enchaîné très rapidement au début de votre carrière – vous avez signé avec Warp alors que vous n’aviez pas fini votre premier disque – pensez-vous que cela a rendu l’écriture de votre second album plus difficile puisqu’il vous a fallu réfléchir sur une période plus longue.
Jason : Je ne pense pas que ça ait vraiment eu un impact.
Eleanore : J’ai l’impression qu’il y a eu une contrainte de temps sur les deux disques. Comme tu l’as dit sur le premier nous avions écrit quelques chansons mais pas tout un album et nous avons été signés, et là il fallait écrire un album ! Et pour celui-ci nous sommes rentrés chez nous après la tournée et nous nous sommes dit, « allez, disque suivant ! ». Mais je pense que ça a bien marché en terme de délais et le temps pendant lequel nous nous y sommes dédiés.
Jason : Nous savions que nous voulions faire un album qui sonne différemment, on ne savait juste pas comment il allait sonner. Je n’aurais pas deviné que le rythme de l’album serait si lent et lourd, parce que les versions que nous avions jouées de ‘Commotion’ et de ‘Young Aren’t Young ‘ en tournée était bien plus puissantes et énergiques que ce qui est ressorti sur le disque. Je n’aurais donc pas imaginé que c’était ce que nous allions faire, on a essayé ça ne sonnait pas bien, un peu forcé. C’était une partie du processus où on a arrêté de s’inquiéter de ce que les gens penseraient. Une fois qu’on a fait ça, c’était facile.
Eleanore : Les gens disent toujours que les seconds albums sont difficiles…
Jason : Ils le sont !
Eleanore : Oui, c’est sûr, ils sont tous durs, mais de façons différentes.
Est-ce que ça signifie beaucoup pour vous d’être signés à un label comme Warp Records ?
Eleanore : Oui, certainement ! Nous sommes très fiers d’être sur ce label dont nous adorons les groupes, il y en a beaucoup dont nous sommes fans, et aussi tout ce qu’ils ont fait dans le domaine de l’Electro depuis longtemps. Et nous sommes fans de leurs nouveautés aussi.
Jason : Ils sortent des disques pour toutes les sortes de public, parce qu’ils aiment ça et qu’ils sont fans, c’est comme une famille.
Eleanore : Ce sont de bonnes personnes, on a de la chance!
Propos recueillis à Paris le mercredi 23 mai 2012 à Paris.
Un grand merci à The Hundred In The Hands, Clara Lemaire, Fabrice Martin et toute l’équipe de La Mission pour avoir rendue cette interview possible.
Pour plus d’infos :
Lire la chronique de ‘Red Night’
Lire la chronique de ‘The Hundred In The Hands’ (2010)
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