Stars Are Underground arrête enfin sa longue série d’interviews des filles du Rock pour rencontrer Therapy?, une légende du Rock indépendant qui en a fait vibrer plus d’un pendant les années 90, de ‘Troublegum’ à ‘Infernal Love’, en passant par ‘Nurse’. Aujourd’hui le trio Irlandais est de retour avec son 12ème album studio, ‘Crooked Timber’. Nous les avons rencontrés lors de leur passage au Nouveau Casino le 4 décembre dernier pour notre première interview vidéo! Vous pourrez ensuite la lire dans son intégralité ci-dessous.
‘From The Crooked Timber Of Humanity, no straight thing was ever made’ (‘L’homme a été taillé dans un bois si tordu qu’il est douteux qu’on en puisse jamais tirer quelque chose de tout à fait droit.’, ndlr) Pouvez-vous m’expliquer le choix et la signification de cette citation de Kant pour illustrer votre album?
Andy Cairns : En fait nous voulions vraiment choisir cette phrase parce que nous aimons beaucoup Samuel Beckett, qui a d’ailleurs passé une grande partie de sa vie à Paris, et particulièrement son travail dans les années 50, qui a influencé notre nouvel album, ‘Crooked Timber’. Et parmi les philosophes qui ont influencé son travail d’alors le nom de Kant a surgi. J’ai fait un peu de recherches à son sujet, car je n’en savais pas tellement sur lui quand j’ai lu cette fameuse phrase. On en a fait une chanson, ‘Crooked Timber’. On n’avait pas de titre pour l’album peu avant sa sortie et on s’est dit que ce terme convenait bien, car de mon point de vue toutes les chansons sur ce disque posent la question ‘Pourquoi suis-je là ? Pourquoi est-ce que je fais tout ça ?’. C’est une phrase très réconfortante, comme si elle vous disait ‘hey, c’est ok d’être humain’, il ne faut pas se sentir trop coincé en essayant d’être ce que l’on n’est pas.
Il s’est écoulé plus de temps avant la sortie de ce nouvel album, aviez-vous besoin d’une pause de la routine albums / tournées tous les 2 ans ?
Michael McKeegan : Je pense que nous avions juste besoin de changement, pas forcément de repos. On a signé avec notre nouveau label 2 ans avant la sortie du disque et on leur a dit que l’on voulait faire les choses un peu différemment cette fois-ci, ne pas aller directement enregistrer en studio et ils ont dit ‘OK, prenez votre temps, faîtes comme ça vous convient’. C’était vraiment bien parce que quand on se détache de cette routine tournées / albums, on se rappelle de ce qui est important. Cette fois-ci on s’est rassemblé dans un petit local de répétition, on a commencé à jouer ensemble et on s’est dit ‘On ne va pas enregistrer ce disque avant que nous trois décidions que ce soit le bon moment, et pas notre management, ni notre label, ni nos fans. C’est bien d’être égoïste parfois, ça te ramène à tes débuts, trois gars qui répètent ensemble, on est revenu à ça et c’était un bon point de départ pour le disque.
A la première écoute, ce disque n’est pas très facile, vous ne vouliez pas quelque chose d’aussi direct que sur les albums précédents ?
Andy Cairns : Pas vraiment, non. Je pense que, lorsque nous avons commencé à travailler sur cet album, nous sentions que vouloir en faire un succès commercial aurait impliqué s’assoir à table ensemble et se demander ce qu’il fallait jouer, ce qu’en diraient les critiques… C’aurait été trop de pression car ça n’aurait pas été la musique nous voulions faire, elle n’aurait pas reflété ce que nous écoutons. Si on essayait de faire un ‘Troublegum Part II’, c’a déjà été fait par un tas de jeunes groupes à la fin des années 90, signés par des Majors, au bon endroit, au bon moment. Si à notre âge on décidait de faire ça aujourd’hui, ce serait vraiment triste, pathétique. On essaie de faire de la musique qui a un sens pour nous. En fait il faut que ce soit intéressant pour nos fans et pour les autres, c’est notre 12ème album. Et à la première écoute ce n’est pas un disque très commercial sur lequel on se dit instantanément ‘Ouah ! Ca va vendre beaucoup d’exemplaires et MTV va aimer ça’. C’est un album sur lequel il faut passer un peu de temps. Et c’était notre intention, on voulait faire un album qui mène quelque part. Tu l’écoutes pendant 50 minutes et tu voyages avec pendant tout ce temps. C’était donc une décision consciente. On est heureux de l’avoir fait. Je sais que pas mal de gens ont eu du mal au début mais ils y reviennent et nous disent que c’est la meilleure chose que l’on ait fait.
Michael McKeegan : Oui, je trouve que ‘Troublegum’ était un excellent album, et je suis très fier qu’on l’ait fait et que tant de gens l’aiment. Mais si les gens veulent entendre ‘Troublegum’… Ils n’ont qu’à se repasser …‘Troublegum’ ! Tu vois ce que je veux dire ? C’était un album bien précis, tout comme ‘Infernal Love’ en était un autre. Notre 1er album s’appelait ‘Babyteeth’ et ‘Troublegum’ était en quelque sorte ‘Babyteeth’… Part IV !… C’est-à-dire simplement le 4ème de la liste, et aujourd’hui c’est presque ‘Babyteeth XII’. C’était le point de départ, et ‘Troublegum’ était juste l’un de ces albums venus en chemin. Il y avait une histoire avant et il y en a eu une belle et longue après. C’est super que ce soit le pilier de notre carrière et que les gens l’aiment à ce point, car beaucoup de groupe n’ont jamais eu leur ‘Troublegum’, on est très chanceux d’avoir eu ça.
En fait le nouvel album semble être plein d’influences musicales assez différentes. Je pense à des titres tels que ‘Exiles’, ‘Crooked Timber’ ou encore le très long instrumental ‘Magic Mountain’. Essayez-vous de diversifier votre musique aujourd’hui ?
Andy Cairns : Oui. C’est vraiment un album basé sur les idées, parce qu’avant on se concentrait surtout sur la mélodie. On écrivait des titres de 3 minutes 30… Alors qu’avec celui-ci on est donc venu avec des idées. Pour ‘Exiles’, on écoutait beaucoup de musique électronique, de Dubstep, qui a vraiment ce genre de rythme planant. Et nous avons eu l’idée de faire sonner la guitare d’une façon assez fantomatique. Cette chanson parle d’une photographie intitulée ‘Earth Rise’, c’est la vue de la terre depuis l’espace prise lors d’un des premiers vols dans l’espace. Le tempo de ‘Bad Excuse For Daylight’ vient du second mouvement du ‘Sacre Du Printemps’ de Stravinsky. Et plein d’autres petites choses comme ça. On lit pas mal des livres, et quand on arrive en répète le matin on se dit ‘tiens, si on essayait ça ?’ C’était un challenge. En fin de compte on était content du résultat sur la première composition, alors on s’est dit ‘écrivons-en une autre comme ça’. C’était bien de parler des titres et d’y passer plus de temps.
Michael McKeegan : Oui, ça ressemblait plus à un ‘projet’ !
Et pourquoi avoir choisi comme pochette d’album votre bon vieux logo, le ‘Gemil’ ?
Andy Cairns : Honnêtement on avait passé tellement de temps à travailler sur l’album et à le mixer, alors quand s’est posée la question de l’artwork on s’est rassemblé autour d’une table avec notre label et notre management. Pour nous ça semblait vraiment stupide, on leur a dit ‘mettez juste notre nom et le titre de l’album et ce sera bon comme ça’.
Michael McKeegan : On voulait garder ça simple. Tout le monde voulait mettre telle ou telle chose sur la pochette, on leur a dit, gardez ça dépouillé, car le disque est assez dépouillé dans son attitude et son approche. Il fallait que ça reste assez effronté et direct.
Il y a eu beaucoup de changements au sein du groupe les dix dernières années – particulièrement vos batteurs – pensez-vous que finalement être en trio c’est la bonne formule ?
Andy Cairns : Sans aucun doute. On a commencé en trio, puis on a joué à quatre pendant un moment et parfois l’alchimie n’était pas là. Ca ne convient pas à notre style, c’est pourquoi c’est beaucoup mieux à trois.
Et êtes-vous nostalgiques des années 90, de l’époque de la gloire, les charts, la télé… ?
Andy Cairns : Non, je ne dirais pas nostalgique… Ce serait bien que nos disques se vendent autant que ‘Troublegum’. Mais ‘Crooked Timber’ se vend aussi bien que nos quatre derniers albums. Franchement c’était juste un moment des années 90 et on est toujours là aujourd’hui. On n’en a même pas vraiment profité à l’époque parce qu’on était tellement débordés. De 1992 à 1995 on a toujours été en tournée, donc quand c’est arrivé on ne s’est pas vraiment arrêté pour en profiter, on jouait tous les jours, on faisait des interviews toute la journée puis on reprenait le Tour bus… Je crois que j’en profite beaucoup plus maintenant qu’à l’époque, car c’est bien plus fun aujourd’hui.
Michael McKeegan : Il y avait beaucoup de stress alors. Mais on n’est pas vraiment des gens qui regardent en arrière, au contraire, on avance. Et comme le disait Andy, même si on a fait ‘Troublegum’, on a toujours pensé à l’étape suivante, comment continuer et faire quelque chose de différent. Je ne suis pas du genre à me dire ‘Je me souviens de 1993, c’était super !’. 2009 a été super aussi, 2010 sera encore meilleur, il faut regarder vers l’avenir, sinon tu meurs.
Aujourd’hui Therapy? a environ 20 ans, est-ce que vous imaginiez ça quand le groupe s’est formé ?
Andy Cairns : On a commencé en décembre 1989, Michael est arrivé en janvier 1990, donc officiellement l’anniversaire se fera l’an prochain. Mais on n’a pas l’impression que ça fait 20 ans. Je parlais à un journaliste Allemand la semaine dernière qui a justement 20 ans, et il découvrait tout juste Therapy ? Il est né quand on a sorti ‘Babyteeth’ ! Ce gars a été à l’école primaire, au collège, au lycée et le voila maintenant journaliste… C’est un peu effrayant, c’est une vie entière !
Interview réalisé par David Servant le vendredi 4 décembre 2009 au Nouveau Casino, Paris
Captation et montage vidéo : Sylvain Charrier.
Un grand merci à Therapy? et à Ben Oldfield de The Orchard.
Pour plus d’infos :
Lire la chronique de ‘Crooked Timber’
Lire la chronique de ‘Never Apologise, Never Explain’
Lire la chronique de ‘I Am The Money’ (single)
Lire la chronique de ‘Infernal Love’
Lire la chronique de ‘Troublegum’
La Maroquinerie, Paris, lundi 2 octobre 2006
Ambassador Theatre, Dublin, Samedi 8 Décembre 2001
L’Escall, Nantes, vendredi 6 octobre 1995