Wolf Alice, c’est LA grande révélation de l’année au Royaume-Uni. Un album encensé par la critique entré directement en seconde place des charts, une nomination au Mercury Prize, une tournée à guichets fermés outre-Manche… un véritable phénomène qui est passé du statut de meilleur espoir à star du moment en un rien de temps. Nous n’avions surtout pas l’intention de rater le train en marche et sommes partis à la rencontre du groupe lors de son passage au Festival des Inrocks à Paris, un an après la frustrante annulation de leur concert en 2014.
Pouvez-vous me parler un peu de vous, comment a débuté Wolf Alice ?
Ellie : Nous sommes un groupe installé au Nord de Londres, mais Joff vient de Cornouailles, Theo du Sud de l’Angleterre et Joel du Surrey, juste en dehors de Londres. Nous avons commencé en tant que quatuor en 2013.
Joff : Oui, fin 2012. Nous voulions juste être un groupe et faire des concerts. On voulait surtout se faire plaisir, avant de faire des chansons.
Il paraît que vous avez commencé comme un duo Folk ?
Joff : Pas vraiment en fait. Nous avons commencé à composer et jouer sur des guitares acoustiques parce que c’est tout ce que nous avions au début.
Et aujourd’hui comment se passe la composition justement, c’est un travail en commun ?
Ellie : Oui, tout dépend des chansons en fait, certaines sont juste écrites par l’un d’entre nous, d’autres par tout le groupe, il n’y a pas de règle.
L’album est justement très varié, j’imagine qu’il a été écrit sur une longue période de temps ?
Joff : Oui, ça nous a pris du temps. Il y a des morceaux qui avaient plus de trois ans, alors que d’autres n’avaient que trois ou quatre mois au moment de l’enregistrement. Comme la plupart des premiers albums, il s’agit d’une collection de chansons écrites au fil du temps, jusqu’à ce que tu arrives à ce stade. De ce point de vue on peut vraiment appeler ça « un premier album ».
Les premiers singles que vous aviez sortis il y a deux ou trois ans auraient pu donner l’impression que vous une direction musicale plutôt Grunge, ce qui n’est pas du tout le cas aujourd’hui. Pensez-vous que votre écriture a évolué au fil du temps ?
Ellie : Je pense que ça a évolué, mais pas dans le sens où nous étions alors un groupe Grunge et plus maintenant. Si tu écoutes les Faces B de nos premiers singles, ‘Fluffy’ et ‘Bros’, elles sont très différentes des Faces A. ‘Fluffy’ est d’ailleurs une chanson très différente de ‘Bros’, alors je ne sais pas pourquoi autant de gens ont supposé que nous avions un style précis. Nous avons toujours essayé de montrer plusieurs facettes. Sur scène nous avons probablement un côté plus Heavy et Grunge. Mais en ce qui concerne nos enregistrements nous avons toujours essayé d’y apporter une certaine variété.
Je me souviens lorsque j’étais abonné au NME il y a plus de deux ans, vous étiez déjà le groupe qui allait rapidement exploser selon eux. Mais ‘My Love Is Cool’ a mis du temps avant d’arriver?
Ellie : Je crois que c’était surtout la faute de la presse dans le cas présent ! Ils nous ont mis dans leur liste d’artistes à suivre alors que nous n’avions qu’un seul morceau, et rien d’autre en stock. Mais nous n’avons pas succombé à la pression des médias qui ont créé tout ce buzz, en nous disant « Merde ! Il va falloir sortir un album rapidement maintenant ! ». Nous avons donc pris le temps qu’il fallait, et laissé retomber un peu l’attention des journaux. Ça n’a finalement pas pris tellement de temps, on a juste parlé de nous très tôt !
En revanche pour les gens qui vous découvrent aujourd’hui il semblerait presque que vous sortez de nulle part, alors que le chemin menant à ce disque a pris un certain temps. Y-a-t-il eu des moments de doutes, de désespoir pendant les deux dernières années ?
Theo : Je pense que nous avons toujours cru en ce que nous faisions, même quand nous n’avions pas encore de maison de disque ou d’album enregistré. Donc il n’y a jamais eu de doutes et nous n’avons jamais pensé arrêter. Comme dans toute aventure il y eu de bons moments et d’autres effrayants, des hauts et des bas.
Ellie : Je pense que nous avons plus connu la frustration que le désespoir !
Joel : Oui, le désespoir est un terme un peu fort !
Theo : Je me demande même si j’ai jamais fait face au désespoir dans ma vie ! (rires)… La culpabilité, la honte, la crainte, voilà mes trois choix ! La confusion aussi. Chacun fait surface au hasard !
De la pression peut-être ?
Theo : Je pense que la pression est saine pour nous.
Joel : Il n’y a que la pression que tu t’imposes toi-même.
Ellie : On en a ressenti un peu ces derniers temps.
Il est finalement difficile de décrire cet album par un seul genre. Est-ce que chaque titre reflète la personnalité de chacun d’entre vous ? Êtes-vous chacun attachés à un morceau en particulier ?
Theo : Je pense que nous y sommes tous attachés de la même façon, mais ça reflète en effet le fait qu’entre nous les influences sont variées. Aujourd’hui on écoute tellement de sorte de musiques qu’il est difficile de ne pas voir cela se retranscrire dans ce que tu crées.
En effet vous avez l’air d’essayer beaucoup de choses différentes. Essayez-vous de vous écarter du cliché d’un groupe de Rock ? Quel son avez-vous voulu donner à cet album ?
Joff : Varié !
Ellie : Oui ! Mais c’est vrai. Si tu écoutes un truc plus Pop, prenons par exemple Lana Del Rey, tu peux te dire « c’est super, j’ai envie de faire une chanson comme celle-là ! ». Et nous en ferons une comme ça. Puis tu écoutes ensuite un truc bien plus lourd, comme les Deftones, tu te dis la même chose et puis tu penses « Oh non! Nous ne pouvons pas parce que nous avons déjà pris la route de Lana Del Rey… ». Eh bien au contraire nous nous disons « bien sûr !», et nous ferons un truc qui ressemble aux Deftones, même si nous nous sommes engagés dans autre chose. Nous ne nous inquiétons pas du genre, pas pour le moment en tout cas. Je ne pense pas que nous ressentions l’envie d’aller dans une direction précise, nous sommes plutôt décontractés.
Joff : C’est plutôt bien en pensant à notre prochain album, nous ferons juste ce qui nous plaît !
Et comment avez-vous choisi quels morceaux de vos précédents EPs figureraient sur l’album ?
Theo : Il n’y a en fait aucune chanson des EPs sur l’album, mais les deux singles ‘Bros’ et ‘Fluffy’. C’était surtout parce que quand nous les avons enregistrés nous disposions d’un temps vraiment limité en studio. Pour ‘Fluffy’ nous voulions vraiment lui rendre justice en lui apportant une nouvelle dynamique. Et pour ‘Bros’ nous nous sommes dit que nous pourrions explorer cette chanson différemment… Enfin, notre label nous l’a dit ! (il éclate de rire, ndlr). Mais on s’en fout à partir du moment où nous restons honnêtes envers nous-mêmes !
Vous ne vouliez pas conserver ‘Moaning Lisa Smile’ sur l’album ?
Joff : Il figure sur la version américaine.
Ellie : Je pense que cette chanson nous a accompagnés depuis si longtemps que nous n’avions pas l’intention de la remettre sur l’album, parce qu’elle avait fait son temps.
Mais c’est bien, ça fait plus de morceaux à découvrir !
Ellie : Oui !
Joel, on peut t’entendre sur ‘Swallowtail’, pourquoi as-tu décidé de chanter sur ce titre ?
Joel : Euh, je ne sais pas en fait…
Ellie : Joel a toujours été un chanteur, il était temps d’utiliser ses talents !
Joff : On parlait il n’y a pas longtemps de Queens of the Stone Age, et sur leurs disques, notamment les premiers, il n’y a pas toujours le même chanteur, ça offre un peu de répit à l’auditeur. Quand tu opères ces changements ça t’offre une nouvelle palette de choses à explorer.
Joel : Il y a en fait beaucoup de voix différentes sur l’album, qui fait les mots parlés sur ‘Fluffy’ ?
Joff : C’est toi !
Joel : Oh… Tu y fais autre chose alors…
Joff : Non !
Ellie : Si, il a raison !
Joel : Et Joff est vraiment très doué pour faire les cris (ndlr : ‘Screamo shout’ en anglais, screamo est un sous-genre musical dérivé de l’emo et du punk hardcore). Donc dès qu’il s’agit de crier Joff prend le micro.
Finalement vous êtes tous chanteurs !
Joff : Non !
Theo : Non, vraiment pas, nous sommes des crieurs !
Joff : Ellie et Joel savent chanter. Theo et moi savons juste faire des bruits avec nos bouches !
Et comment s’est passé l’enregistrement de l’album ?
Joff : L’enregistrement a duré 6 semaines pleines, sans week-ends. Pas si long que ça en fin de compte. Mais c’était bien, de tous les enregistrements que nous avions fait jusqu’ici, c’est-à-dire principalement nos deux EPs, c’est probablement celui qui c’est le mieux passé.
Vous avez travaillé avec Mike Crossey, qui a déjà produit d’excellents groupes comme les Arctic Monkeys ou Blood Red Shoes. Comment s’est passée cette collaboration ?
Ellie : Oh c’était génial, c’était fun !
Il vous a donné des directions à suivre ?
Theo : Les chansons étaient globalement prêtes lorsque nous sommes entrés en studio, mais je pense qu’il a essayé de tirer la meilleure performance possible de notre part, comme trouver la bonne émotion pour un titre et de la capturer. C’est un atout de grande valeur qui vient de lui.
Donc il y a quelques mois votre album sort et vous vous retrouvez subitement en seconde position des Charts britanniques, comment vous sentez-vous à ce moment précis, vous avez été surpris ?
Theo : C’était dingue, nous étions tellement excités cette semaine-là !
Joel : Je me souviens, nous étions à Glastonbury quand nous avons appris la nouvelle, il s’est passé beaucoup de choses à la fois ce week-end-là, et même toute la semaine. C’était super fun de passer cette semaine ensemble sans avoir à penser à cet aspect des choses, au label et au management, et à faire des concerts dont Glastonbury.
Theo : C’était une semaine fantastique !
Joel : Nous avons appris la nouvelle en nous réveillant.
Joff : Oui ça m’avait un peu mis de mauvaise humeur, parce que j’aurais voulu être n°1 ! Puis je me suis rendu compte « Putain, t’es idiot ou quoi ? ». N°2 c’était bien au-delà de tout ce que nous avions espéré, puis j’ai versé une petite larme.
Joel : Oui, il était vraiment bourré !
Joff : J’avais complètement perdu la tête !… Mais bon, c’était Glastonbury !
En parlant de concert, j’imagine que votre public a changé ces derniers mois, en taille notamment ? Vos sets ont-ils beaucoup changé ?
Joff : Oui, c’est certain.
Theo : Sans aucun doute, notre dernière tournée au Royaume-Uni fut la plus grosse que nous ayons jamais faite. C’est vraiment impressionnant. Nous avons toujours voulu jouer sur de grosses scènes et peu à peu nous avons commencé à nous sentir plus à l’aise, et meilleurs aussi. C’était vraiment cool de pouvoir mettre en place un vrai spectacle, ce qui était auparavant assez compliqué financièrement.
J’aimerais également vous parler de vos vidéos très cool, de ‘Fluffy’ à ‘Moaning Lisa Smile’, en passant par la dernière ‘You’re a Germ’, toutes construites comme de petites histoires. Est-ce un aspect de votre musique auquel vous portez une attention particulière ?
Ellie : Oui, je pense qu’on essaie de se faire plaisir avec ces vidéos, parce ça peut-être maladroit de se retrouver star d’un mini-film quand on est musicien. J’ai signé pour faire de la musique, pas pour être comédienne ou actrice. Donc on se paie surtout une bonne part de rigolade en faisant ces clips parce qu’on a l’opportunité de faire beaucoup de prises. Mais c’était aussi très gratifiant de pouvoir créer quelque chose quand nous avons commencé et que nous n’avions pas de moyens. Donc oui, nous en sommes très fiers.
Vous êtes l’une des grandes révélations britanniques de l’année, mais lesquels de vos compatriotes nous recommanderiez-vous, je crois que vous connaissez bien Superfood ?
Theo : Oui, ils sont super. Je crois qu’ils sont en train d’enregistrer, ils ont beaucoup de nouvelles compositions, nous avons vu deux de leurs membres l’autre jour. Mais honnêtement le nouvel album de Fat White Family, dont nous avons entendu plusieurs chansons ces derniers jours, sera probablement incroyable.
Ellie : Oui, Bo Ningen avec qui nous jouons aussi, ils sont super. Nous avons aussi tourné récemment avec Drenge.
Theo : Et aussi ce groupe américain qui s’appelle Made Violent avec qui nous avons également tourné.
Tout ce succès est très excitant j’imagine, mais je peux légitimement dire que ceci n’est que le début de votre aventure, comment appréhendez-vous le futur et les années à venir ?
Joff : Horribles !
Ellie : Epouvantables ! (rires)
Theo : Honnêtement, très excités. Je pourrais presque qualifier ce qui s’est passé cette année pour nous de ‘stupide’, j’ai parfois presque l’impression que nous ne le méritons même pas. Quoiqu’il arrive, ce sera certainement fun, à moins que notre karma nous rattrape !
Propos recueillis à la Cigale, Paris, vendredi 13 novembre 2015
Un grand merci à Wolf Alice, à Mélissa Phulpin pour avoir rendue cette interview possible, ainsi qu’à toute l’équipe de Caroline International France.
Pour plus d’infos:
Lire la chronique de ‘My Love Is Cool’ (2015)
Galerie photos du concert au festival des Inrocks, la Cigale, Paris, vendredi 13 novembre 2015
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